Une interdiction de sortie du territoire contestée en justice

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M.-A.B. avec AFP , modifié à
Le rapporteur public a demandé mercredi au tribunal administratif de Paris d'annuler l'interdiction de sortie de territoire prise à l'encontre d'une jeune femme en application de la loi antiterroriste

Le fait de pratiquer un islam rigoureux justifie-t-il d'être interdit de sortir du territoire ? C'est la question qui était posée mercredi au tribunal administratif de Paris, devant lequel Emeline, une jeune convertie contestait cette mesure qui la frappe depuis mai dernier. C'est la première fois que le tribunal est saisi sur ce sujet depuis que cette mesure destinée à entraver les départs des candidats au djihad a été adoptée dans le cadre de la loi antiterroriste. La décision a été mise en délibéré au 7 juillet.

L'interdiction de sortie du territoire, c'est quoi ?

La loi dite "antiterroriste" permet d'imposer une interdiction de sortie de territoire pour six mois renouvelables jusqu'à deux ans en cas de "raisons sérieuses de croire" que la personne "projette des déplacements à l'étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes" ou "sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes".

Cette mesure doit permettre de lutter contre la multiplication des départs de Français candidats au jihad en Syrie, dont les autorités redoutent qu'ils puissent ensuite commettre des attentats à leur retour, comme ce fut le cas notamment de Mehdi Nemmouche, principal suspect de la tuerie de mai 2014 au Musée juif de Bruxelles.

Le rapporteur souhaite que l'interdiction soit levée. Le rapporteur public a demandé au tribunal d'annuler l'interdiction de sortie du territoire frappant la jeune femme. Le magistrat a estimé que le ministère de l'Intérieur avait "commis une erreur manifeste d'appréciation en pensant qu'il existait des éléments sérieux" sur les intentions de cette femme de 23 ans d'aller en Syrie. Il a également demandé que soit ordonnée la restitution de sa carte d'identité et d'examiner sa demande de passeport.

"Manque de précision" sur un voyage en Arabie Saoudite. Vêtue d'un djilbab,la jeune femme qui se fait appeler par son deuxième prénom, a reconnu auprès de journalistes avoir une pratique rigoureuse de l'islam et vouloir vivre dans un pays musulman pour pratiquer "plus facilement sa foi". Elle a cependant nié tout projet de départ en Syrie. Cette Mulhousienne, qui s'est convertie à 16 ans, s'était vu opposer une interdiction de sortie de territoire en mai à la suite d'une demande de passeport pour suivre des cours de théologie dans une faculté réservée aux femmes en Arabie saoudite. Un projet qui, pour le ministère, manquait de précision.

Pour le rapporteur public, le "manque de précision" de ce projet "traduisait plus son indécision qu'une volonté de dissimulation". Il a ainsi repris les arguments de l'avocat de la jeune femme, Me François Zind, qui a évoqué "une velléité" plus qu'une véritable décision. Alertée par le changement de comportement de sa fille, sa mère avait fait un signalement aux autorités qui l'avaient entendue après avoir appris son projet.

"Comment prouver une intention ?".  Les services de renseignement lui avaient demandé de s'expliquer sur des propos justifiant la djihad, qu'elle a toujours niés. "Mourir en martyr, c'est des points supplémentaires engrangés pour gagner le paradis", a lu le rapporteur public citant des déclarations qu'aurait tenues Emeline à sa mère. Ces "propos apparaissent d'aucune portée en raison de l'absence d'éléments de contexte", a estimé le magistrat rappelant qu'ils figuraient dans le Coran et pouvaient être repris par beaucoup de musulmans.

"Vous ne pouvez pas nous reprocher de ne rien faire quand il y a des attentats et en même temps refuser que l'on prenne des mesures", a répondu l'avocate du ministère de l'Intérieur, cinq jours après une nouvelle attaque attribuée à un islamiste, en Isère. "Comment prouver une intention ? C'est difficile, en plus quand il faut aller vite pour éviter les départs", a reconnu l'avocate. Pour Me Zind, si sa cliente est bénévole dans une association de soutien scolaire de Mulhouse proche des mouvements salafistes, "aucun élément factuel" ne vient justifier cette interdiction. "Seuls des éléments d'ordre moral" ont été avancés, a plaidé l'avocat. 

Le rapporteur demande le rejet pour deux autres requêtes. Le tribunal, qui a mis sa décision en délibéré au 7 juillet, s'est également penché sur deux demandes similaires qui seront tranchées le même jour. Cette fois-ci, le rapporteur public a préconisé le rejet des deux requêtes, estimant que les intentions de deux jeunes d'aller faire le jihad en Syrie étaient constituées. L'un d'eux avait fait part sur un forum de sa volonté "de se faire sauter dans le métro parisien".

Il avait en outre participé à une manifestation en faveur du port du niqab organisée par un "groupuscule islamiste" aujourd'hui dissous. Le second s'était, lui, rendu en Turquie en avril 2014.