Filière djihadiste de Strasbourg : Mourad Fares "nous a donné les instructions"

De gauche à droite : Radouane Taher, Karim Mohamed-Aggad, Ali et Mohamed Hattay.
De gauche à droite : Radouane Taher, Karim Mohamed-Aggad, Ali et Mohamed Hattay. © AFP / BENOIT PEYRUCQ
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Au deuxième jour du procès, le récit des sept prévenus a dessiné en creux le visage de leur recruteur présumé, Mourad Fares.

C’est un nom qui a été prononcé à maintes reprises, mardi, au deuxième jour du procès de la filière djihadiste de Strasbourg. Jugés devant le tribunal correctionnel de Paris, pour “association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme”, les sept prévenus âgés de 24 à 27 ans ont été interrogés presque quatre heures durant sur leurs relations avec Mourad Fares. Ce Haut-Savoyard, incarcéré en août 2014, est considéré comme l’un des principaux recruteurs de candidats au djihad français, via les réseaux sociaux. C’est lui qui est soupçonné d’avoir incité la bande de copains alsaciens à partir, en décembre 2013, et de les avoir aidés dans les préparatifs de leur voyage vers la Syrie et les rangs de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), aujourd'hui renommé Etat islamique.

Trois rencontres avec Fares. Après un début d’audience consacré à l’examen de sa personnalité, Karim Mohamed-Aggad, le frère aîné de Foued - l’un des trois kamikazes du Bataclan - a fait face aux nombreuses questions de la présidente de la 16eme chambre du tribunal correctionnel de Paris. Au coeur de ces interrogations, les entrevues ayant eu lieu à plusieurs reprises avec Mourad Fares. La première a lieu début janvier 2013, en région parisienne, à La Courneuve. "C’était la première fois que je venais à Paris", se souvient Karim Mohamed-Aggad, qui s’y rend en compagnie de Radouane Taher, assis juste à côté de lui dans le box. "Vous n'êtes pas déjà dans une démarche de djihad, à ce moment-là ?", demande la présidente. "C'est possible... On a pu aborder le sujet", répond, évasif, le jeune homme de 25 ans arborant une longue barbe noire.

Une rencontre, il y en aura une nouvelle quelques mois plus tard. Cette fois, c’est Mourad Fares qui se déplace à Strasbourg. Il dort chez Karim Mohamed-Aggad. L’objet de sa venue ? "Une visite de courtoisie", réplique le prévenu, cheveux noirs et bouclés, gominés vers l’arrière. Puis une troisième, à Lyon, où certains des Strasbourgeois se déplacent à leur tour. Ensemble, ils vont au snack, au bar, visitent la grande mosquée de Lyon. Des rencontres pendant lesquelles "on s’est juste présentés, dit ce qu’on faisait dans la vie...", soutient Mokhlès Dahbi, droit dans le box, chemise blanche et rasage impeccable. 

"On ne parle pas de départ en Syrie". Parlent-ils de rejoindre la Syrie lors de ces réunions ? "Non, pas du tout", assure Karim Mohamed-Aggad. Ils abordent plutôt la hijra, l’émigration en terre d’islam. Certes, ils évoquent à Lyon "le djihad en général", mais sans citer "un pays en particulier". "On ne parle pas de départ en Syrie", insiste le jeune homme, agacé par les questions sans relâche de la présidente sur les "détails" de leur départ.

Durant ces entrevues, Mourad Fares interdisait pourtant les téléphones portables. Par peur "des infiltrés", dit le prévenu. Mais lorsqu’on lui demande pourquoi et par qui Mourad Fares craignait d’être écouté, Karim Mohamed-Aggad botte en touche… Mokhlès Dahbi, lui, dresse le portrait d’un homme "très parano, méfiant de tout le monde".

Il "nous a sensibilisé" au conflit syrien. Sur l'influence de Mourad Fares, rencontré sur Facebook, Karim Mohamed-Aggad déclare : "Oui, il a eu un rôle. Il nous a sensibilisé". L’intéressé leur parle des viols, des exactions commises par les forces de Bachar Al-Assad. "C’est lui qui m’a plus ou moins informé sur le conflit en Syrie", poursuit le jeune homme parti combattre le régime syrien. Mais s'il décrit Mourad Fares comme "quelqu’un de très éloquent, qui parle très très bien", il tempère : "Il ne m’a pas forcé à partir, ce sont les vidéos que j’ai regardées qui m’ont poussé à partir."

Les vidéos en question ? Notamment celles du film de propagande culte, 19HH, réalisé par le Niçois d'origine sénégalaise Omar Omsen, considéré également comme l’un des principaux recruteurs de djihadistes originaires de l’Hexagone. "J’en ai visionné plein", affirme Karim Mohamed-Aggad. Les films "étaient dispos sur (la) page" de Mourad Fares, qui tenait un groupe Facebook prônant la hijra. Mokhlès Dahbi aussi les a regardés "en partie". "Ces vidéos, je l’ai dit clairement, ont été un déclic pour mon départ", répète Karim Mohamed-Aggad.

Le "grand absent" de l'audience. Si le jeune homme semble vouloir minimiser l’emprise de Mourad Fares, son voisin de gauche dans le box, Ali Hattay, tourne moins autour du pot et le qualifie de "recruteur de jeunes". C’est lui qui a "nous a donné les instructions" et le "numéro de téléphone d'un passeur" pour franchir la frontière, lorsqu’ils sont arrivés à la première étape de leur voyage, en Turquie, admet finalement Karim Mohamed-Aggad. D’ailleurs, c’est encore par Mourad Fares que la bande des dix amis - sept sont rentrés, deux autres sont morts sur place et un troisième, Foued, se fera exploser au Bataclan - s’attendait à être accueillie en Syrie... Mais à leur "grande surprise", il ne sera pas présent à leur arrivée. 

Autant de situations qui illustrent le rôle vraisemblablement déterminant du recruteur présumé des Strasbourgeois... Ce qui fait regretter à Me Françoise Cotta, avocate de Karim Mohamed-Aggad, que le tribunal ne l’ait pas fait venir. "C’est quand même le grand absent de l’audience. Mr Fares aurait pu nous éclairer", déplore-t-elle. Un constat partagé par d’autres avocats de la défense, dont Me Xavier Nogueras qui suggère, non sans ironie, d’utiliser la visioconférence si le recruteur présumé ne peut être extrait de sa prison pour des raisons de sécurité. "C’est un habitué des réseaux sociaux", lance-t-il, soulevant les rires dans la salle d’audience. Une présence que le procureur n’a pas jugée "nécessaire" à ce procès.