Outreau : acquittement de Legrand requis, la défense ne plaide pas

Daniel Legrand
Daniel Legrand © AFP
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Noémie Schulz avec CB et C.P.-R. , modifié à
Tandis que les avocats des fils Delay ont plaidé la culpabilité de l'accusé jeudi matin, le parquet a requis l'acquittement de Daniel Legrand, jeudi après-midi. Un réquisitoire à l'issue duquel la défense a décidé de ne pas plaider.

C'est un réquisitoire très fort qu'a livré l'avocat général, jeudi après-midi, après les plaidoiries de la partie civile, plus tôt dans la matinée, qui défendaient la thèse de la culpabilité du prévenu. Comme lors du deuxième procès d'Outreau en 2005, le parquet a en effet requis l'acquittement pour Daniel Legrand. Et comme lors de ce procès devant la cour d'appel de Paris, les avocats de la défense ont finalement renoncé à leur plaidoirie, une décision rarissime.

Daniel Legrand fils comparaît devant la cour d'assises des mineurs d'Ille-et-Vilaine pour des viols sur les quatre enfants Delay, qu'il aurait commis alors qu'il avait moins de 18 ans. Déjà jugé pour ces faits en 2005, mais en tant que majeur, il avait été acquitté.

Les parties civiles plaident la culpabilité de Legrand. Les avocats de Jonathan Delay, l'un des enfants qui, en 2001, a été à l’origine de l’affaire Outreau, en accusant une vingtaine de personnes de viols, ont poursuivi jeudi matin leur plaidoirie. Les conseils de ce jeune homme, aujourd'hui âgé de 21 ans, ont, eux aussi, défendu la thèse de la culpabilité de Daniel Legrand pour ces faits de pédophilie.

La veille, les deux avocats de Chérif et Dimitri Delay, deux des parties civiles, avaient, eux aussi, plaidé la culpabilité de l'accusé. Les avocats des parties civiles sont en effet sur la même ligne : ils reviennent sur les aveux qu'avait fait Daniel Legrand au cours de l'instruction du juge Fabrice Burgaud, fin 2001, avant de se rétracter début 2002, en affirmant avoir voulu montrer que ses accusateurs mentaient. "Daniel Legrand a peut être tout simplement avoué parce que ça le libère, le soulage. Je reconstruis mais à paraît logique", a plaidé Me Reviron, l'un des deux avocat de Jonathan Delay.

Acquittement requis par le parquet. Mais le plus fort de la journée s'est joué dans le réquisitoire de l'avocat général, Stéphane Cantero, qui a demandé que Daniel Legrand soit acquitté. Un réquisitoire puissant mais sans surprise, puisque le magistrat n'avait pas caché, au cours des onze jours de débats de ce procès entamé le 19 mai, qu'il entendait plaider l'acquittement de l'accusé. Ce dernier avait déjà acquitté en 2005, en tant que majeur, comme l'avaient été douze autres des dix-sept accusés de cette affaire, qualifiée de "fiasco judiciaire".

"J'attendais que ça, la vérité". "Je vous demande" d'acquitter "non parce qu'il y a des doutes mais parce que Daniel Legrand est innocent, parce qu'il n'a rien fait!", a lancé Stéphane Cantero aux six jurés, quatre femmes et deux hommes, en concluant son réquisitoire qui a duré deux heures. Au micro d'Europe 1, Legrand fils s'est déclaré "satisfait" après ce réquisitoire : "L'avocat général a dit la vérité, il a compris que j'étais innocent. C'était émouvant, j'attendais que ça, la vérité."

Outreau, "l'affaire de la déraison". Le magistrat a aussi pointé la responsabilité de l'institution judiciaire sans pour autant faire son procès. Il est notamment revenu sur le rôle du juge Fabrice Burgaud, nuançant : "Mais ce n'est pas la faute du juge d'instruction,qui n'a pas été machiavélique. C'est l'erreur de l'institution judiciaire dans son ensemble". Une institution "qui a laissé le juge Burgaud tout seul avec un greffier totalement inexpérimenté et inapte à cette fonction", a estimé l'avocat général.

L'avocat général a comparé l'instruction menée dans ce dossier vieux de quinze ans à un monde kafkaïen rendant folles les personnes mises en cause et expliqué ainsi les aveux temporaires de Daniel Legrand. Des aveux sur lesquels les avocats des parties civiles avaient principalement appuyé, mercredi soir et jeudi matin, leurs plaidoiries sur la culpabilité de Daniel Legrand.

Pour Jonathan, ce réquisitoire est "une honte". Par ailleurs très ému par le sort des fils Delay, violés par leurs parents Myriam Badaoui et Thierry Delay et un couple de voisins, le magistrat a souligné avec respect et empathie : "Ce sont des victimes. Victimes des faits les plus odieux et maltraités par la procédure". Stéphane Cantero a estimé que leurs accusations, récentes, étaient le fruit de "souvenirs reconstruits", résultant de leur enfance faite de traumatismes et de viols, mais aussi des violences psychologiques vécues lors de l'instruction et des procès. A l'issue de l'audience, Jonathan Delay le troisième de la fratrie, s'est dit écœuré par les réquisitions de l'avocat général : "C'est une honte. On a été reconnu comme victime, c'est tout."

Comme en 2005, la défense renonce à plaider. Quant aux six avocats de Legrand fils, ils ont finalement décidé de ne pas plaider, estimant qu'il n'y avait rien à ajouter après ce réquisitoire en faveur de l’innocence de leur client. C'est Hubert Delarue qui a annoncé cette décision très rare, en lisant un texte au nom de tous les avocats de la défense. "A l'avenir, personne ne pourra plus mettre en doute l'innocence de Daniel Legrand [...] il doit pouvoir enfin comme tous les autres acquittés se promener la tête haute", a-t-il lu devant la cour, avant d'ajouter : "Les quatre enfants Delay sont des victimes, comme nous l'avons toujours dit."

"En réalité, ce dossier était vide [...] il était inutile, de notre point de vue, d'en rajouter", a-t-il expliqué à Europe 1, jugeant que cette déclaration commune avait "davantage de force" qu'une succession de six plaidoiries, qui "n'auraient rien apporté de plus". En 2005 devant la cour d'appel de Paris, la défense avait déjà renoncé à plaider après le réquisitoire d'acquittement.

Le verdict est attendu vendredi, après une audience matinale consacrée aux derniers mots de l'accusé, qui encourt vingt ans de réclusion criminelle.

Suivez l'audience en direct en compagnie de notre journaliste Noémie Schulz :