Accident de Brétigny : une rencontre très attendue pour les proches des victimes

© KENZO TRIBOUILLARD / AFP
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JUSTICE - Pour la première fois depuis cet accident ferroviaire, les victimes et leurs proches vont pouvoir poser leurs questions aux juges en charge de l’enquête.

Cela fait presque trois ans qu’ils l’attendent. Les familles et proches des victimes de l’accident ferroviaire de Brétigny doivent rencontrer lundi les trois juges d'instruction chargés du dossier. Un rendez-vous devenu la norme pour les catastrophes de grande ampleur et qui devrait permettre aux victimes et à leurs proches d’en savoir plus sur l’enquête en cours. Des précisions qui ne seront pas de trop dans une enquête où l'absence de coopération de la SNCF est pointée du doigt.

Un rendez-vous très attendu des familles des victimes. Depuis le début de l’enquête, "les victimes n'ont bénéficié d'aucune information de la part des juges d'instruction" , regrette Me Gérard Chemla, qui conseille l'association "Entraide et défense des victimes de la catastrophe de Brétigny", à l'origine de la demande. Cette rencontre "est la moindre des choses. On attendait cela depuis plusieurs mois, c'est curieux que cela n'arrive que maintenant", précise-t-il, avant d’ajouter : "notre demande, c’est de savoir qui va avoir à répondre devant la justice. Est-ce qu’il va y avoir simplement des personnes morales ou aussi des personnes physiques ? Et s’il y a des personnes physiques, est-ce qu’on s’est intéressé à tous ceux qui ont fauté ?" 

Depuis l'ouverture d'une information judiciaire par le parquet d'Évry, seules la SNCF et Réseau ferré de France (RFF) ont été mis en examen, pour homicides et blessures involontaires. Trois cheminots de la SNCF, chargés de la surveillance des voies au moment du déraillement, ont été placés mi-janvier sous le statut de témoin assisté.

Brétigny, un accident hors norme. Bien qu'il s'agisse du plus grave accident ferroviaire depuis une trentaine d’années, de nombreuses zones d'ombre persistent. Le 12 juillet 2013, le train reliant Paris et Limoges déraillait en gare de Brétigny-sur-Orge, dans l’Essonne, faisant sept morts et des dizaines de blessés. L’état des voies ferroviaires est rapidement pointé du doigt et plus particulièrement l’état de délabrement d’une éclisse, une sorte de grosse agrafe sur l’aiguillage : cette dernière était fissurée et trois des quatre boulons la fixant aux rails étaient cassés ou dévissés. En pivotant, cette pièce a probablement fait dérailler le train.

Simple usure ou défaut d’entretien ? Tout l’enjeu de l’enquête est donc de savoir si cette éclisse s’est cassée de manière fortuite ou suite à un manque de vigilance de la part de la SNCF. Mais pour les experts indépendants qui ont étudié cet accident pour la justice, la responsabilité de la compagnie ferroviaire est clairement engagée. En effet, leur premier rapport pointe le délabrement complet de ce tronçon ferroviaire extrêmement fréquenté et considère qu’un accident était "inévitable". Le second n’est pas plus indulgent envers la SNCF et RFF, la société gestionnaire du réseau : il souligne qu’un des boulons manquait depuis des mois et qu’une pièce était fissurée depuis cinq ans. "Une surveillance efficace aurait sans aucun doute permis de détecter la non-conformité de cet assemblage crucial pour la sécurité des circulations", accuse-t-il.

La sincérité de la SNCF remise en cause. Accusée de ne pas avoir entretenu correctement cette portion du réseau ferroviaire, la compagnie ferroviaire est en outre suspectée de ne pas avoir été transparente dans cette affaire. Fin janvier, Le Canard Enchaîné révèle en effet que plusieurs cadres et dirigeants de la SNCF ont été placés sur écoute, une surveillance qui laisse penser que l’entreprise tient un double discours. Côté pile, la SNCF assure aux enquêteurs avoir entretenu cette zone comme il se doit. Côté face, ses cadres reconnaissent entre eux que plusieurs alertes avaient été lancées en interne pour dénoncer l’état de cette portion. Pire, son service juridique est soupçonné d’avoir manipulé l’enquête en briefant les salariés avant qu’ils soient entendus par la justice. Ce que dément formellement la SNCF.

"L'intention des juges était très louable". A l'issue de leur rencontre, les sentiments des familles et de leurs proches étaient mitigés. "C'était une journée très importante, les victimes étaient en attente de ce premier contact avec les juges", a expliqué Thierry Gomes, président de l'association "Entraide et défense des victimes de la catastrophe de Brétigny" (EDVCB). Me Alexandre Varaut, conseil de plusieurs victimes, s'est montré plus sceptique : "l'intention des juges était très louable mais c'est un coup d'épée dans l'eau. (...) Ce qui a été dit, les avocats le savaient déjà et les victimes n'ont pas entendu ce qu'elles voulaient, c'est-à-dire des délais et des responsables".