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Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.

Bonjour Hervé Gattegno. Ce matin, vous nous parlez de la grande controverse du moment : le pouvoir d’achat des Français. C’est d’ailleurs la une de votre journal, le JDD : "l’heure de vérité". Pourquoi d’après vous, ce moment est-il particulièrement décisif ?

Parce que nous sommes pile au moment où la plupart des Français vont pouvoir comparer les annonces du gouvernement avec la réalité concrète, celle qui est inscrite sur leur bulletin de salaire – c’est-à-dire qu’on va passer, là, cette semaine, des mots aux chiffres. Le gouvernement a promis qu’avec la suppression des cotisations salariales et la suppression de la taxe d’habitation (même si elle ne touche pas encore tout le monde), la grande majorité des Français allaient constater, toucher du doigt, l’augmentation de leur pouvoir d’achat. Le moment est venu de vérifier, sur pièces, si c’est la vérité. En réalité, ça va être difficile parce qu’on le sait bien, nous sommes dans un pays où on ne croit jamais qu’un pouvoir, quelle que soit sa couleur politique, est disposé à baisser les impôts – et on est bien obligé de dire qu’on n’a pas toujours tort de ne pas y croire..

Est-ce que vous voulez dire que les termes de ce débat ne sont pas tous entièrement rationnels ?

Absolument. Le pouvoir d’achat, ça se mesure avec des données objectives – votre niveau de salaire, les impôts et les charges que vous payez, le prix de ce que vous avez à payer – d’ailleurs, il y a des observatoires qui font ce calcul. Mais il y a aussi avec des données subjectives, et notamment le sentiment que vous avez de voir votre situation s’améliorer ou pas, la confiance que vous avez dans l’avenir, qui vous incite à dépenser plus ou moins. C’est comme pour la météo, il y a la température que vous donne le thermomètre et il y a la température ressentie. Regardez, l’INSEE a annoncé le mois dernier que le pouvoir d’achat a augmenté au 2ème semestre, et le gouvernement multiplie les promesses chiffrées dans le même sens. Eh bien on entend surtout parler de la hausse des prix des carburants, des impôts locaux, de la colère des retraités...

Le problème c’est que là-dedans, tout ne dépend pas du pouvoir – en tout cas, pas les prix du pétrole ni la hausse des impôts locaux. Mais le fait est qu’en ce moment, la température ressentie est fraîche. Ou pour le dire autrement, les annonces gouvernementales laissent les Français… plutôt froids.

Si je vous entends bien, le pari de l’opinion risque d’être perdu pour Emmanuel Macron. Est-ce que vous iriez jusqu’à dire que ça compromet la suite de son quinquennat ?

C’est vraiment un tournant. Sa politique contre le chômage, pour l’école, pour les retraites (qui sont le grand chantier à venir), tout ça ne peut pas avoir des résultats rapides. Si Emmanuel Macron n’arrive pas à convaincre rapidement que oui, les décisions qu’il prend améliorent concrètement la vie de ceux qui travaillent, l’impression va s’installer qu’il succombe à une forme d’impuissance – ou pire, qu’il a perdu son audace.

Rappelez-vous que François Hollande a payé son échec à inverser la courbe du chômage, que Nicolas Sarkozy a payé sa promesse de nettoyer les banlieues au karcher, qu’il n’a pas été capable de tenir ; Emmanuel Macron subira le même sort s’il échoue sur le pouvoir d’achat. Il y a 18 mois, son meilleur atout, c’était son style, son allure présidentielle – ça s’est dégradé depuis, avec toutes ses sorties à l’emporte-pièce. Il reste sa principale promesse : remettre les actifs au cœur de la société, faire d’eux les gagnants de sa politique. S’il ne les persuade pas très vite que ses décisions sont payantes, c’est eux qui vont le lui faire payer.