En Syrie, une ligne rouge a été franchie

clauss 3:45
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Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal de Wendy Bouchard avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu.

Bien sûr on s’en est offusqué au début. Puis, on a fini par s’y habituer. On emploie le mot de "foucade", on parle de "provocation". Certains en ont même fait une théorie : la diplomatie disruptive. On finirait presque par s’en amuser à l’heure du café au comptoir entre deux résultats de foot et deux saillies politiques.

"Tiens au fait, t’as vu le dernier tweet de Trump ?". Mais depuis une semaine le temps n’est plus à l’amusement ni au détachement. Non Wendy, Donald Trump ne nous fait plus rire.

289 Kurdes ont trouvé la mort

Depuis une semaine, 289 combattants kurdes (ceux-là même qui, armes à la main, soutenus par ses soldats américains, ont expurgé la gangrène islamiste du nord de la Syrie) sont tombés sous les balles de l’armée turque. 84 civils, femmes et enfants, ont péri dans des bombardements orchestrés par Ankara, validés par le président américain. 130 000 personnes ont été déplacées. Chiffres fournis par le très sérieux Observatoire syrien des droits de l’homme.

Nos confrères américains, cette semaine, ont enquêté. Ceux du New York Times notamment ont confirmé cette semaine que la brutale, inopinée et totalement impulsive décision de Donald Trump : d’autoriser l’armée turque à intervenir et d’annoncer le départ immédiat des soldats américains que cette décision (sans que le moindre de ses conseillers ou de ses alliés dans le monde, Emmanuel Macron le confirmera, n’ait été prévenu) a été prise en quelques minutes lors d’un banal coup de téléphone avec le président turc Erdogan. Un petit coup de fil entre deux grands du monde, entre deux potes, qui déclenche une guerre.

Pour le Venezuela, la Corée du Nord, voire même l’Iran, on pouvait peut-être encore parler de disruptif. Là, une ligne rouge a été franchie. Les conséquences humaine et diplomatique sont très lourdes.

"Cauchemar stratégique"

Le leader des Républicains américain parle même d'un "cauchemar stratégique" alors que ces conseillers l’ont exhorté à un rétropédalage express. Alors voilà comment le président de la principale puissance militaire du monde, douze jours après sa conversation téléphonique avec son homologue turc, s’exprimait devant ses électeurs à Dallas, Texas : "Quand deux gamins veulent se battre dans une cour, vous les laissez puis vous les séparaient…c’est ce que nous avons fait". 

J’avais appris dans mes cours d’histoire que les conflits les plus dramatiques de l’histoire avaient été suscités par des attentats (Sarajevo et la boucherie de 14/18, l’assassinat de Rabin), que les États et le droit international étaient là pour nous en préserver, que les chefs d’État se passaient des coups de fil pour essayer de préserver la paix. Ce temps-là serait-il révolu ? N’y aurait-il plus de garde-fou ? Au sens littéral du terme. Quand le speaker démocrate de la Chambre des représentants s’interroge sur "l'effondrement inquiétant" de son président.

Un remake du Docteur Folamour 

J’ai beaucoup repensé à un magnifique film signé Stanley Kubrick. Docteur Folamour, film de 1964, en pleine Guerre froide. À l'époque, un général fou américain veut aller bombarder l’ennemi russe. Le président, le génial Peter Sellars, joue les apaiseurs. Je me demande si 55 ans après, les généraux ne seraient pas devenus présidents.