Sur les pistes, les skieurs côtoient les "clubbeurs"

Les skieurs viennent faire une pause à la Folie Douce.
Les skieurs viennent faire une pause à la Folie Douce. © La Folie Douce
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Clément Lesaffre , modifié à
De plus en plus de "boîtes de jour" s’installent directement sur les pistes pour faire danser les skieurs entre deux descentes.

Depuis une dizaine d’années, un étrange écho résonne dans les vallées de Savoie et d’Isère. Un écho fait de basses, de "beats" et de cris enthousiastes. Ce phénomène pas très naturel porte le nom de "Folie Douce", du nom d’un réseau de "lieux de vie en altitude", selon la description qu’en fait Luc Reversade, patron de la marque. Il est le premier à avoir implanté en France ces établissements où les skieurs peuvent s’arrêter pour se détendre, boire un verre ou carrément faire la fête en mode "clubbing" directement au bord des pistes.

De la piste de ski à la piste de danse. C’est un spectacle étonnant qui ne cesse de surprendre les néophytes des sports d’hiver. A peine l’après-midi entamé et alors que certains skieurs débutent tout juste leur journée, d’autres ont déjà tombé les spatules et la combinaison pour sauter en rythme au son de la setlist du DJ du jour. Un camaïeu de doudounes colorées qui contraste avec le blanc immaculé de la poudreuse. Une sorte de "boîte de jour", même si Luc Reversade n’aime pas le terme. "Il n’y a pas que le clubbing à la Folie Douce, vous pouvez aussi manger ou simplement vous arrêter une heure ou deux", décrit-il.

Folie Douce Val d'Isère

Parti de rien. A l’origine, la Folie Douce n’avait pourtant rien à voir avec la fête. En 1981, Luc Reversade lance, avec sa mère, un petit refuge qui sert à manger sur les hauteurs de Val d’Isère. Ancien cuisinier puis moniteur de ski, cet enfant de la montagne est également un habitué d’Ibiza. Sur l’île espagnole de la fête, il observe les codes des nouvelles générations. En parallèle, la Folie Douce s’agrandit. Hyperactif, Luc Reversade multiplie les séjours dans des stations étrangères pour puiser des idées.

C’est d’Autriche que l’entrepreneur va ramener le concept qui fait aujourd’hui la renommée de la Folie Douce. "Les lieux de vie en altitude sont très courants en Autriche. Il y en a dans toutes les stations et depuis longtemps. En France, il y a 15 ans, il n’y avait rien à part des restaurants où vous mangiez et repartiez juste après". Luc Reversade croit alors fortement au potentiel de lieux où les skieurs pourraient venir faire la fête l’après-midi avant de redescendre à la station. La Folie Douce telle qu’elle se présente aujourd’hui était née.

" "Aujourd’hui, les gens ne vont plus aux sports d’hiver, ils partent en vacances d’hiver" "

Un véritable complexe en altitude. Aujourd’hui, l’établissement originel de Val d’Isère n’a plus rien à voir avec la gargote de 1981. La Folie Douce de Val d’Isère est un véritable complexe composé de plusieurs bâtiments. La marque est désormais un réseau de cinq établissements identiques en Savoie et en Isère, à Val d’Isère-Tignes donc, mais aussi à Val Thorens, Méribel-Courchevel, l’Alpe-d’Huez et Megève-Saint-Gervais. Sans compter les deux Folie Douce d’été à Cannes et Deauville.

Dès les premières années après la transformation, le succès est au rendez-vous. Au fil des saisons, la "Folie Douce" se forge une clientèle de fidèles. Comme Kévin, 27 ans, qui va au ski chaque année. Dès qu’il passe près d’un établissement du réseau Folie Douce, il marque l’arrêt. "C’est un peu devenu un passage obligé. J’y vais vraiment pour l’ambiance au top !", raconte le jeune homme. "J’y passe une heure ou deux, je bois quelques verres et surtout je danse. La musique est vraiment géniale."

Folie Douce fête

Pas pour toute les bourses. Seul bémol selon Kévin : les prix. "Les boissons sont aussi chères qu’à Paris, voire plus". Comptez bien huit euros pour une pinte de bière, quinze pour une coupe de champagne. Quant aux bouteilles de vins, le premier prix est à 45 euros. Idem pour la nourriture : que ce soit sur le pouce ou pour un vrai repas, il faut être prêt à mettre le prix.

Pas que des adeptes. Par ailleurs, pour des raisons de sécurité, la Folie Douce ne vend pas de cocktails ou de bouteilles d’alcool fort et prend en charge le raccompagnement de clients qui auraient un peu surestimé leur capacité à rechausser les skis. Ce qui n’empêche pas quelques téméraires de passer entre les mailles de la sécurité. "Parfois, c’est pénible. C’est pas rare de voir des gars partir de la Folie Douce et descendre n’importe comment parce qu’ils ont trop bu", regrette Marc, un habitué des pistes iséroises. "C’est dangereux pour eux et pour les autres. Et puis ça gâche un peu le plaisir de ceux qui viennent pour skier."

Les gérants de la Folie Douce s’organisent avec la station pour respecter l’environnement des pistes et la tranquillité des skieurs… qui doivent quand même composer avec cette drôle d’esplanade un peu bruyante, posée au milieu du paysage. Même Kévin le reconnaît, "la musique est assez forte et comme c’est vraiment au bord de la piste, ça s’entend d’assez loin. Ce n’est pas le coin de montagne le plus tranquille, c’est sûr…" Pour être tranquille, mieux vaut skier le matin ou après 17h, heure de fermeture de la Folie Douce.

L’ADN de Val d’Isère. Pas de quoi pousser Val d’Isère à intervenir : la station assure ne pas avoir à se plaindre de la Folie Douce. "La Folie Douce fait partie de l’ADN de Val d’Isère et elle apporte une vraie valeur ajoutée à la station", renchérit Emmanuel Cordival, directeur général de la station de Val d’Isère. "C’est un lieu qui plaît beaucoup, notamment, à la clientèle internationale". Pour autant, impossible de mesurer précisément le nombre de touristes qui viennent à Val d’Isère spécialement pour la Folie Douce.

Business florissant. Reste que pour Luc Reversade, les affaires marchent bien. En 35 ans, le petit boui-boui d’altitude s’est transformé en groupe florissant composé de sept établissements, avec 450 employés et un chiffre d’affaires de 4,7 millions d’euros en 2015, 2,5 fois plus qu’en 2005. Le fondateur du réseau revendique désormais trois millions de personnes qui passent par ses établissements chaque saison.

Dans les  Alpes et ailleurs. La success-story de Luc Reversade a logiquement fait des émules dans les stations françaises. On trouve de plus en plus de bars d’altitude et autres pistes de danse à même les pistes sur le domaine skiable français. Parmi d’autres, on peut citer le Pano Bar aux 2 Alpes, La Fruitière à Val Thorens, l’Après-Ski aux Gets… La liste est longue. Même les Pyrénées se laissent séduire et le patron de la Folie Douce envisage désormais de s’implanter en Suisse.

Loin de l’Autriche. Un développement exponentiel qui n’empêche pas le pionnier, désormais septuagénaire, de la fête en altitude de regretter que la France soit encore "très, très en retard sur l’Autriche". Luc Reversade ne tarit pas d’éloges sur les stations du Tyrol. "D’abord, les grandes stations autrichiennes sont mieux équipées et aménagées que les nôtres. Ensuite, elles ont développé de véritables annexes sur les pistes, sous forme d’esplanades avec des bars et des restaurants. C’est malin car vous pouvez ainsi profiter du soleil plus longtemps puisque le soleil se couche tôt dans les vallées. Les Autrichiens ont tout compris aux nouvelles attentes des skieurs."

" En dix ans, les gens sont passés de 7 heures de ski par jour à 4 heures aujourd’hui "

Moins de ski, plus d’activités. De nouvelles attentes qui tiennent en un mot : after-ski. Soit l’ensemble des activités praticables dans les stations après une bonne journée de ski.  "Aujourd’hui, les gens ne vont plus aux sports d’hiver, ils partent en vacances d’hiver", assure Luc Reversade. Or, avec la modernisation des remontées mécaniques, les vacanciers perdent moins de temps entre deux descentes qu’il y a une dizaine d’années. Donc sur un laps de temps similaire, ils skient plus et se fatiguent plus vite. "Le comportement des skieurs a changé", confirme Emmanuel Cordival. "Depuis une dizaine d’années, les gens skient moins et profitent plus de la montagne. On est passé de 6-7 heures de ski par jour, remontées comprises, à 4 heures environ."

Résultat, à l’exception des aficionados de la glisse, les skieurs qui entament leur journée à 10 heures atteignent leur quota de descente pour la journée vers 14 heures. Un changement qui oblige les stations à s’adapter afin d’occuper et divertir ceux qui rentrent au chalet dans l’après-midi. "C’est une tendance qui concerne tout le monde, en particulier les familles", analyse Emmanuel Cordival. "Nous nous devons de leur offrir des services différents des traditionnelles activités hivernales : visites culturelles, balades et même piscine !". Sans oublier bien sûr les bars et les dancefloors d’altitude où les jeunes et parfois moins jeunes vont faire la fête au soleil… avant d’aller faire la fête la nuit.

La French Touch. Malgré le retard, le changement de visage des stations montagnardes françaises réjouit Luc Reversade. Il trouve même un avantage aux Alpes par rapport au modèle autrichien. "Là-bas, les lieux de vie en altitude restent très traditionnels. Il y en a beaucoup mais ils n’évoluent plus tellement. En France, l’ambiance de ces lieux est plus jeune, plus moderne. Ça doit être la French Touch !"