Pourquoi taxer davantage les GAFA va être (très) compliqué

Le siège de Google, aux États-Unis. L'entreprise est dans le collimateur de plusieurs pays européens.
Le siège de Google, aux États-Unis. L'entreprise est dans le collimateur de plusieurs pays européens. © JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
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Thibaud Le Meneec
Plusieurs pays européens veulent une imposition plus lourde sur les géants du numérique, experts en optimisation fiscale. La bataille est pourtant loin d’être gagnée.

Gigantesque, technique, risqué… Les adjectifs ne manquent pas pour qualifier le dossier de l’imposition des GAFA, acronyme réunissant les multinationales du numérique que sont Google, Apple, Facebook ou encore Amazon. Le thème était au menu de la réunion des 28 ministres des Finances de l’Union européenne à Tallinn, vendredi. Et selon le JDD, les pays favorables à des taxes bien plus élevées à l’encontre de ces multinationales, comme la France, l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne, auraient convaincu six nouveaux pays de l’UE parmi lesquels l’Autriche et la Bulgarie de se joindre à leur combat. Mais les partisans de cette taxe se heurtent malgré tout à de nombreux obstacles, dans un combat qui se chiffre en milliards d’euros.

Blocage de quelques pays. Le premier obstacle est politique. Il s’agit pour les pays favorables à une taxation plus forte des géants du numérique de convaincre ceux qui le sont moins, voire hostiles à toute taxation. Irlande, Pays-Bas, Malte ou Chypre… Tous ces pays ont un intérêt certain à ne pas voir des impôts plus élevés au niveau européen pour Google, Apple, Facebook ou Amazon, car ces sociétés sont situées sur leur territoire. La raison ? Ils pratiquent des taux d’imposition bien plus faibles que dans le reste de l’Union européenne et tirent plusieurs avantages de cette présence étrangère, comme des emplois et quelques millions d’euros d’impôts chaque année.

Instaurer au niveau continental une "taxe d’égalisation" voulue par la France, l’Allemagne ou encore l’Espagne reviendrait à réduire l’attractivité de ces paradis fiscaux, et donc à fragiliser une partie de ces économies. Ce fut notamment une des recettes irlandaises pour se développer dans les années 1990 et 2000. Mais c’est aussi en raison de cette très faible fiscalité que l’Irlande a durement plongé dans la crise après 2008.

Quel taux d’imposition ? En admettant que les 28 arrivent à se mettre d’accord lors d’un Conseil européen décisif, le 4 décembre prochain, sur une taxe ciblant les géants du numérique, rien ne serait joué pour autant. Car si Berlin, Paris ou encore Rome veulent prendre pour assiette le chiffre d’affaires de ces entreprises plutôt que le montant de leur profit, quel serait le taux d’imposition de ces recettes ? 33,33%, taux de l’impôt sur les sociétés en France ? 25%, à l’image de ce qui se fait en Autriche ? 15%, comme en Allemagne ? Et pourquoi pas un taux différent pour chaque pays ? Derrière le cas de la difficile taxation des GAFA, c’est toute la problématique de l’harmonisation fiscale en Europe qui émerge. Le ministre de l’Economie Bruno Le Maire espère néanmoins que la Commission européenne avancera une proposition concrète de taxe "au milieu de l’année 2018", rapporte le JDD. D’ici là, se mettre d’accord à 28 sur les modalités de ce nouvel impôt ne sera pas chose facile. Juridiquement, également, mettre en place un impôt sur le chiffre d’affaires qui n’est pas une TVA est interdit en Europe, rappelait récemment dans Challenges l’avocat fiscaliste Vincent Renoux, auteur d’une note sur la fiscalité du numérique.

De nouveaux montages fiscaux en vue. En face, les géants du Web ne vont pas rester passifs. Ils pourraient d’abord démontrer leur ingéniosité en trouvant des parades à une imposition plus contraignante sur le Vieux continent. Ils ont déjà fait leur preuve : grâce à des montages fiscaux complexes aux noms aussi exotiques que le "double irlandais" ou le "sandwich néerlandais" (impliquant de vrais paradis fiscaux comme les îles Caïman ou Gibraltar), les mastodontes du numérique évitent de payer les sommes dont ils devraient s’acquitter s’ils étaient des entreprises "comme les autres". À savoir composées d’“établissements stables”, tels des hangars. Le projet de les taxer davantage va-t-il prévoir des garde-fous pour les empêcher d’utiliser de tels instruments d’optimisation fiscale ? Surtout que les sommes en jeu sont colossales : en avril 2013, le cabinet Greenwich Consulting évaluait le manque à gagner pour l’administration fiscale française à plus d’un milliard d’euros, en ajoutant la perte liée à la TVA sur le commerce en ligne, pour les seuls Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

La menace de recours devant les tribunaux. Et si les tentatives d’optimisation fiscale ne leur permettent pas de revenir à la situation actuelle, les GAFA décideront sans doute de pousser la porte des tribunaux. Rien d’étonnant à cela : le recours que vient de déposer Google lundi dernier contre l’amende record de 2,4 milliards d’euros infligée par la Commission européenne n’est que le dernier épisode d’une bataille judiciaire que se livrent multinationales du numérique et États depuis plusieurs années. En juillet, le fisc français a ainsi perdu une manche contre Google lorsque le tribunal administratif a décidé d’annuler le redressement de 1,115 milliard d’euros qui lui était infligé, estimant que ce n’était pas Google France mais Google Ireland Limited qui avait commercialisé des annonces publicitaires dans l’Hexagone… entre 2005 et 2010. La guerre de l’imposition des GAFA ne fait que commencer.