Pourquoi l’arrêt de l’A380 est en fait une bonne nouvelle pour Airbus

L'A380 n'a jamais vraiment séduit les compagnies aériennes.
L'A380 n'a jamais vraiment séduit les compagnies aériennes. © CARL COURT / AFP
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avec AFP et Benjamin Peter , modifié à
La fin annoncée du programme A380 d’ici 2021 n’est pas vraiment une mauvaise nouvelle pour Airbus, qui va pouvoir se concentrer sur des marchés plus porteurs. Les salariés se montrent sereins pour l'avenir.
ON DÉCRYPTE

Atterrissage forcé pour l’A380 d’Airbus. L’avionneur a décidé d’arrêter la production de son emblématique géant des airs, lancé en grande pompe en 2007 : le temps de livrer les dernières commandes et en 2021, l’A380 ne sera plus au catalogue d’Airbus. Cette décision, aveu d’échec de la stratégie du groupe européen sur le long-courrier, est aussi un soulagement car le programme était à l’agonie depuis plusieurs années, faute de commandes. Porté par le succès de l’A320, Airbus devrait donc rebondir rapidement après ce coup d’arrêt et assurer la pérennité de son activité et de ses salariés.

Airbus achève une bête malade

Les chiffres parlent d’eux-mêmes pour contextualiser l’échec de l’A380. Depuis 2001, date de sa mise en vente, Airbus n’a obtenu que 320 commandes. Sur les cinq dernières années, seuls 17 avions, d'une capacité de 575 à 850 passagers selon les aménagements, ont été commandés, conséquence conjuguée de ventes faibles et d’annulations en pagaille. Boudé par les compagnies aériennes, le programme avait été maintenu en vie depuis trois ans grâce à un ralentissement du rythme de production passé à un exemplaire par mois en 2018, contre un total de 27 sur l'ensemble de l'année 2015.

Il y a un an, le dernier client de l'A380, Emirates, lui avait offert une bouffée d'oxygène avec une nouvelle commande de 36 avions qui devait assurer la pérennité du programme. Mais l'espoir a été de courte durée puisque la compagnie du Golfe a finalement décidé d’annuler l’achat de 39 exemplaires, remplacés par 40 A350, douchant définitivement les espoirs de survie du plus gros avion de ligne au monde. "On avait bien conscience qu’Emirates tenait l’A380 à bout de bras. On savait que ça ne tenait qu’à un fil. Aujourd’hui, ce fil est rompu", constate, au micro d’Europe 1, Françoise Vallin, coordinatrice Airbus Group du syndicat CFE-CGC.

Des challenges plus importants à relever

Paradoxalement, cette annonce a été bien accueillie par les marchés financiers : à 16h, l’action d’Airbus s’envolait de 4,3%. En tuant une bête malade, l’avionneur s’est soulagé d’un poids : la production au ralenti de l'A380 a affecté les résultats financiers d'Airbus en 2018, avec un impact négatif de 463 millions d'euros sur le bénéfice opérationnel. La décision d’arrêter les frais lui permet donc de se délester d'un programme sans avenir et de se concentrer sur les long-courriers de moyenne capacité, le cœur du marché aujourd'hui.

"Cette décision est aussi le reflet d'une stratégie. Airbus a deux batailles à livrer et a besoin de toutes ses forces pour l'emporter face à Boeing : celle de la famille A320 (son moyen-courrier, ndlr) et celle de son gros porteur A350", a commenté, pour l’AFP, Philippe Plouvier, expert aéronautique et directeur associé au cabinet de conseil Boston Consulting Group. Une bataille qu’Airbus peut aborder avec un certain confort : l'an dernier, le groupe a vu son bénéfice net augmenter de 29% à trois milliards d'euros, et son chiffre d'affaires 2018 a progressé de 8% à 63,7 milliards d'euros.

Et l’avenir s’annonce radieux grâce à la transformation de la commande d'Emirates en A350 : elle vient booster un peu plus le carnet d'Airbus, qui représente dix ans de production. Avec cette annonce, Airbus dépasse désormais le millier d'A350 et d'A330 en carnet de commandes. "Compte tenu des 7.600 avions que compte notre carnet de commandes, nous entendons accélérer notre montée en cadence", a souligné Tom Enders, en indiquant qu'Airbus allait augmenter sa production. Les prises de commandes en 2018 ont totalisé 55,5 milliards d'euros, portant la valeur du carnet de commandes à 460 milliards d'euros au 31 décembre dernier.

Inquiétude modérée chez les salariés

Quid des salariés ? Jeudi, sur le site de Blagnac, l’inquiétude était très modérée. Airbus s’est montré d’emblée rassurant en promettant que les 3.000 à 3.500 salariés concernés d'ici trois ans par la fin du programme A380 seraient aisément reclassés en interne grâce à une production en pleine expansion. "L'actuelle montée en cadence (de production) de l'A320 et la nouvelle commande de gros porteurs d'Emirates offriront de nombreuses possibilités de mobilité interne", explique Airbus.

"Nous attendons des rencontres avec la direction pour mesurer les conséquences sociales", a déclaré Françoise Vallin, de la CFE-CGC, 2ème syndicat à Airbus. "Nous restons confiants, la bonne santé d'autres programmes devrait permettre de redéployer les salariés, en France en tout cas. En Espagne ou en Angleterre ce sera peut-être différent", a-t-elle indiqué.

Même son de cloche chez son homologue de la CGT Michel Molesin : "C’est sans inquiétude pour nous puisqu’il va y avoir une montée en cadence de l’A320 et l’A350. Ça ne devrait poser aucun souci et on s’attachera à ce que ce soit bien le cas", a-t-il assuré à Europe 1. L’inquiétude concerne surtout les fournisseurs et les sous-traitants d’Airbus, par exemple ceux qui acheminent les pièces de l’A380 jusqu’à Toulouse, qui pourraient voir leur activité diminuer.