Les transports en commun, une bombe financière à retardement ?

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ARGENT - La cour des Comptes estime que les réseaux de transports sont menacés par des dépenses en hausse et des recettes en baisse.

Afin de désengorger les centres-villes et de lutter contre la pollution, la France a décidé de développer les réseaux de transports en commun des grandes agglomérations françaises. Et cela marche : dans les 287 réseaux de transports urbains – hormis celui de la région parisienne* -, la fréquentation a bondi de 25% entre 2000 et 2010. Mais pour la Cour des comptes, l’histoire n’est pas si belle car le développement du transport en métro, tramway ou bus coûte de plus en plus cher et rapporte de moins en moins. Résultat, les Sages pointent "un effet de ciseaux inquiétant pour la pérennité du système". Europe1.fr vous résume les principaux enseignements de ce rapport.

POURQUOI LA FACTURE NE CESSE DE S’ALOURDIR

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© TBC

L’agrandissement des réseaux coûte cher. Entre 2008 et 2013, les périmètres de transport urbain (PTU) ont vu leur superficie augmenter de 40%. Certes, les villes ne cessent de s’agrandir et certains quartiers doivent être désenclavés, mais la Cour des comptes estime que certaines agglomérations en font trop et parle même d’un "phénomène de rurbanisation" : en clair, les régies vont jusqu’à des endroits où ce n’est pas leur raison d’être. Et le rapport de pointer le cas niçois, où la création d’une métropole a englobé 19 nouvelles communes  situées en zones rurales et montagnardes : l’opération a coûté 2,5 millions d’euros supplémentaires mais n’a généré que 100.000 euros de recettes supplémentaires.

Il n’y a pas ou peu de concurrence. Lorsque une agglomération ne veut pas municipaliser les transports en commun, elle fait face à un choix très limité : les  mastodontes Transdev et Kéolis "détiennent en 2012, hors Île-de-France, entre 30 et 40% de pars de marchés", précise le rapport. "Dans ce contexte, les autorités organisatrices ont peu de marge de négociations et les relations entre délégants et délégataires sont souvent déséquilibrées". Résultat : que le service soit de qualité ou pas, les opérateurs privés sont quasiment toujours gagnants. Et quand ces sociétés ne respectent pas leurs engagements, elles sont rarement sanctionnées même si des pénalités étaient prévues, comme ce fut le cas à Rouen.

Le personnel bénéficie d’un traitement de faveur. La Cour des comptes estime que les employés des réseaux de transports en communs ont vu leur rémunération augmenter plus que la moyenne. Pourtant, ces derniers travaillent 34,5 heures par semaine en moyenne et les absences ne cessent d’augmenter : plus de 25 jours par an en moyenne depuis 2010. Le rapport parle pudiquement de "politiques accommodantes suivies en matière de temps de travail et de rémunérations".

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© PHILIPPE HUGUEN/AFP

Les recettes ne cessent de reculer. Si les dépenses augmentent continuellement, les recettes, elles, ont tendance à stagner. Les agglomérations rechignent à augmenter les tarifs des utilisateurs et la participation des entreprises est quasiment à son maximum légal. Quant au financement de l’Etat, prévu dans le cadre du Grenelle de l’environnement, il va bientôt reculer. Bref, le financement parait limité quand les dépenses ne cessent d’augmenter, ce qui conduit les Sages de la rue Cambon à proposer plusieurs solutions.

CE QUE RECOMMANDE LA COUR DES COMPTES

Rationaliser l’offre de transport. "En centre-ville, il s’agit de densifier et simplifier le réseau, en évitant les doublons de lignes et en adaptant les horaires de passage à la fréquentation du réseau (heures de pointe/heures creuses). En périphérie, cela peut aller jusqu’à supprimer des lignes trop peu fréquentées en les remplaçant par une offre de services moins onéreuse et différenciée", précise le rapport.

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© JEAN-FRANCOIS MONIER/AFP

Ne plus faire du tramway et du métro un symbole. Dans les années 1990, les collectivités ont multiplié les nouvelles lignes en misant sur le fait que l’arrivée d’un métro ou d’un tramway dans un quartier allait le rendre plus dynamique. Sauf que cela n’est pas toujours vrai et peut coûter très cher. Cette course en avant pour améliorer "l’image de marque urbaine" semble néanmoins révolue, puisque le rapport souligne la "prise de conscience" des communes.

Résultat, de nombreux projets de tramways ont été abandonnés (Amiens, Avignon, Angers, Bordeaux, Caen) et le bus fait son grand retour (Metz, Saint-Nazaire, Nîmes, Chalon-sur-Saône). Quant au métro, il n’est plus question de créer de nouvelles lignes, l’accent est désormais mis sur le prolongement des lignes ou l’augmentation des capacités.

Rendre les employés plus efficaces. La masse salariale est le premier poste de dépenses d’une régie de transports en commun. Sauf que la productivité de ce personnel ne cesse de reculer depuis dix ans. Officiellement, cela s’explique par l’allongement des réseaux et la réduction de la vitesse moyenne, qui rendent l’employé moins efficace. Si elle n’écarte pas cette explication, la Cour des Comptes pense aussi au temps de travail et aux rémunérations. Elle recommande donc de revoir ce schéma pour gagner en efficacité et faire en sorte que les rémunérations n’augmentent que si la productivité s’améliore. Et le rapport de citer l’exemple de Grenoble, qui a réussi à se réformer sans blocage, et de pointer le cas de Marseille, où l’organisation du travail n’est même pas adapté aux cycles saisonniers.

Acheter en groupe pour réduire la facture. Les agglomérations achètent souvent le même matériel mais séparément, alors que des achats mutualisés permettrait de limiter l’addition. Le rapport préconise donc d’éviter les commandes sur-mesure et d’effectuer des commandes en commun. "En 2008, Brest Métropole Océane et la communauté du Grand Dijon ont lancé deux projets de tramways compatibles en termes techniques avec des plannings proches. (...) Les économies initialement prévues de 10 millions d’euros ont été deux fois plus importantes", souligne le document.

Fluidifier et rouler plus vite. Un bus bloqué dans le trafic et qui s’arrête tous les 200 mètres est tout sauf efficace. La Cour des comptes recommande donc de limiter les arrêts et d’installer des voies réservées aux bus pour permettre à un même chauffeur de réaliser plus d’allers-retours et donc de gagner en efficacité.

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© DAMIEN-MEYER/AFP

Séduire (et contraindre) les automobilistes. Convaincre ces derniers de prendre les transports en commun a un double avantage : augmenter le nombre d’utilisateurs et réduire le nombre de voitures sur les routes. Pour les inciter, il faut donc améliorer le service mais aussi rendre la voiture comparativement moins intéressante : d’abord en développant les parkings à l’extérieur de la ville, puis en réduisant encore la vitesse en centre-ville, et enfin et surtout en menant une véritable politique de contrôle du stationnement. Et il y a parfois beaucoup à faire : à Marseille, 57% du temps de stationnements est frauduleux.

Revoir les tarifs et limiter les réductions. La Cour des comptes préconise d’indexer les tarifs sur l’inflation, ce qui est souvent la règle mais pas toujours appliqué pour ne pas braquer l’électeur. De même, le rapport propose de revoir les tarifs réduits car certains publics concernés, à l’image des retraités, bénéficient parfois d’un niveau de vie supérieur à la moyenne. Le rapport propose donc de lier l’octroi d’un tarif réduit aux revenus, et non à un statut (plus de 65 ans, chômeur, etc.).

Lutter contre la fraude. Dernier conseil de la Cour des comptes et pas des moindres : améliorer la lutte contre la fraude, qui représente entre 5 et 20% des recettes dans les transports.

La fraude dans les transports, combien ça coûte ?

>> Des informations résumées dans l'infographie ci-dessous :

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© COUR DES COMPTES

* La méthode. La Cour des comptes a enquêté en 2013 et 2014 sur dix-sept réseaux de transports publics urbains répartis dans dix régions et représentant 11,1 millions d’habitants. Les Sages de la rue Cambon se sont penchés sur les cas d’Amiens, Angers, Beauvais, Blois, Bordeaux, Caen, Grenoble, Le Havre, Le Mans, Lyon, Marseille, Montpellier, Narbonne, Nice, Poitiers, Rouen et Toulon. Le réseau francilien, le Stif, n’a pas été pris en compte en raison de ses dimensions hors normes : en raison de son poids, ce dernier pèse autant que tous les autres réseaux.