Le rapport Badinter signe-t-il la fin des 35 heures ?

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L'ancien ministre de la Justice Robert Badinter, accompagné pour la remise de son rapport sur le code du travail par le Premier ministre Manuel Valls et la ministre du Travail Myriam el Khomri. © ERIC FEFERBERG / AFP
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ECONOMIE - L’ancien garde des Sceaux a remis lundi au Premier ministre son rapport sur la réforme du Code du travail.

Le gouvernement va-t-il remettre à plat les 35 heures ? C’est la question que beaucoup se posent lundi, à l’occasion de la remise par Robert Badinter de son rapport sur la refonte du droit du travail. Car ce document, articulé autour de 61 "principes essentiels", doit guider le gouvernement dans sa réforme du Code du travail promise pour la fin 2017. Et la question du temps de travail y figure en bonne place, provoquant des réactions contrastées : du côté du patronat, on estime que le rapport ne va pas assez loin, tandis que du côté des syndicats, on redoute un détricotage des 35 heures. Mais que dit exactement le rapport Badinter ?  

Que préconise le rapport Badinter ? Prudent dans son approche, ce document rappelle une règle de base : "la durée normale du travail est fixée par la loi". Que la barre soit fixée à 35, 38 ou 32 heures, c’est donc le législateur qui a le dernier mot, après consultation des partenaires sociaux. Le rapport Badinter prône également le maintien d’une autre règle : au-delà de cette "durée normale" légale, "tout salarié a droit à une compensation". Sur le papier, le rapport Badinter préconise donc le maintien des grands équilibres au sein du droit du travail. 

Des zones d’ombre qui permettent toutes les interprétations. Mais le rapport se garde bien d’aller dans le détail sur certains aspects, ce qui permet toute les interprétations. Ainsi, si le document rappelle que la loi encadre la durée du travail, à aucun moment, le terme "35 heures" y figure. Résultat, une liberté d’interprétation dont chacun profite : lundi dernier, François Hollande a assuré que la réforme ne toucherait pas à la durée légale des 35 heures hebdomadaires, un message repris depuis par Myriam el Khomri. Manuel Valls en fait, lui, une interprétation plus souple : "la dérogation à la durée légale du temps de travail à 35 heures n'est plus une transgression", a déclaré lundi le Premier Ministre. Et pour Emmanuel Macron, ce document signe "de facto" la fin des 35 heures. Bref, la ligne gouvernementale n'est pas claire sur ce sujet.

De même, si le rapport Badinter rappelle que travailler au-delà de 35 heures par semaine suppose des "compensations", il ne précise pas lesquelles. Or aujourd’hui, la loi précise que toute heure supplémentaire doit être majoré de 25%, certains secteurs ayant obtenu de limiter cette sur-rémunération à 10%. En ne précisant pas l’ampleur de ces compensations, le rapport laisse donc au gouvernement les coudées franches, ce qui fait craindre aux syndicats que les heures supplémentaires soient à l'avenir moins payées. D’ailleurs, Manuel Valls a déclaré lundi que les heures supplémentaires devraient être rémunérées "différemment" à l’avenir.

Vers des heures supp’ plus fréquentes mais moins bien payés ? Grâce à ces marges de manœuvre, le gouvernement pourrait donc "déverrouiller" les 35 heures, dixit Manuel Valls, sans pour autant les supprimer. En clair, rendre les heures supplémentaires plus fréquentes mais avec des compensations revues à la baisse. Un scénario d'autant plus probable que ces compensations seraient définies non pas au niveau national mais branche par branche : résultat, le rapport de force entre syndicats et employeurs pencherait plus facilement en faveur des entreprises.

La semaine de travail resterait donc sur le papier à 35 heures mais aller au-delà serait plus facile et moins onéreux pour les employeurs : les grands principes seraient alors préservés, tout en poursuivant le chantier de la réduction du coût du travail. "Les 35 heures ne sont pas un vrai problème, la durée effective moyenne du travail tourne autour de 39 heures. Il ne s’agit pas de revenir sur les 35 heures ou les 39 heures, il s’agit simplement de savoir combien ça coûte de faire deux, trois, quatre heures de plus que 35 heures", a décrypté Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du travail, lundi sur Europe 1.

Quel accueil des partenaires sociaux ? "Un mouvement est lancé et il n’est pas innocent de voir que c’est un gouvernement de gauche qui se saisit de cette question", a estimé Bernard Vivier. Mais même les organisations patronales sont dans leur ensemble déçues : elles espéraient la suppression pure et simple des 35 heures. Ainsi, aux yeux du Medef, "il convient de sortir définitivement du carcan des 35 heures qui reste un épouvantail pour tous les investisseurs internationaux". Encore plus libéral, le Club des entrepreneurs de croissance est aussi plus critique : "que le rapport Badinter vienne consolider des désuétudes en affirmant notamment que "la durée normale du travail est fixée par la loi" est un vrai scandale. La durée normale du travail devrait tout simplement être fixée par entreprises ou par branches mais certainement pas par des lois déconnectées des réalités du terrain économique", estime-t-il.

Du côté des organisations syndicales, les réactions sont bien plus mesurées. Si l’Unsa se déclare "perplexe", elle préfère attendre d’en savoir plus et donne rendez-vous à la ministre du Travail. La CFDT estime que ce rapport "est plutôt positif. Il n’y a pas, à mes yeux, de remise en cause du Code du travail", a déclaré son secrétaire général, interrogé par Le Monde. La CGT n’a en revanche pas encore réagi, mais on se souvient de ses critiques virulentes contre le livre de Robert Badinter, qui préfigurait son rapport.