EPR : Bouygues condamné pour travail dissimulé

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avec Olivier Samain et Reuters
DROIT SOCIAL - Cinq sociétés ont été reconnues coupables d’avoir eu recours à des travailleurs détachés qui n’étaient même pas déclarés.

C’est la plus grosse affaire de travail dissimulé en France, qui plus est sur un chantier très sensible, celui de l’EPR de Flamanville – censé incarner la nouvelle génération de centrale nucléaire française. Cinq sociétés, dont le géant Bouygues TP, ont été condamnées mardi par le tribunal de Cherbourg, dans la Manche, pour ne pas avoir déclaré l’emploi de 460 travailleurs entre 2008 et 2012. Des travailleurs qui étaient pourtant détachés, venus de Pologne et de Roumanie, et coûtaient déjà moins que leurs homologues français.

Des travailleurs non déclarés sur le chantier de l’EPR. Initié par EDF, le chantier de la centrale nucléaire EPR de Flamanville a été confié à Bouygues Travaux Public. Ce dernier a ensuite eu recours à plusieurs sous-traitants pour mener à bien ces travaux : la société Welbond Armatures et Quille, qui est sa propre filiale. Ces dernières ont ensuite confié à deux entreprises le soin de trouver des travailleurs : l'agence d'intérim Atlanco, basée à Chypre, et la société roumaine de BTP Elco.

Sauf que des contrôles sur place ont montré qu’une partie des employés de ce chantier pharaonique n’étaient pas déclarés : 163 ouvriers polonais et 297 ouvriers roumains. Atlanco et BTP Elco étaient donc poursuivis pour "travail dissimulé, dissimulation de salariés, prêt illicite de main-d’œuvre et marchandage". Welbond Armatures, Quille et Bouygues TP étaient, eux, poursuivis pour "recours aux services d'une entreprise pratiquant le travail dissimulé, prêt illicite de main-d’œuvre et marchandage".

Bouygues et quatre sous-traitants condamnés. Les quatre sous-traitants de Bouygues ont été condamnés à des amendes allant de 5.000 à 70.000 euros, ce qui était attendu. Le sort de Bouygues était en revanche plus incertain, ce dernier martelant qu’il n’était pas au courant et avait fait confiance à ses sous-traitants. A en croire ses avocats, le groupe aurait été victime de leurs pratiques.

Un argument que les juges n’ont pas retenu, estimant que Bouygues TP ne pouvait pas ignorer la situation, tant par son expérience qu’en raison des coûts facturés. Le géant du BTP a donc été condamné à une amende de 25.000 euros. Me Pierre Cornut-Gentille, avocat de Bouygues TP, a dans la foulée annoncé que l'entreprise allait faire appel.

Une amende au montant bien dérisoire. Le montant de cette amende, 25.000 euros, a de quoi interloquer lorsqu’on sait que le procureur avait requis un montant bien plus élevé (150.000 euros) et surtout que Bouygues TP a réalisé en 2014 un chiffre d’affaires de plus de 1,4 milliard d’euros. Le tribunal de Cherbourg semble donc avoir fait preuve d’une grande mansuétude, et cela s’explique.

Il y a d’abord le droit encadrant les travailleurs non déclarés, qui a évolué depuis les faits : aujourd’hui l’infraction ne serait plus caractérisée, comme l’a souligné le procureur de la république Eric Bouillard. Mais il y a aussi les choix de la CGT, qui ne voulait pas mettre en péril une société pourvoyeuse de nombreux emplois.

En effet, lorsqu’une entreprise écope d’une amende dépassant les 30.000 euros, elle se retrouve exclue de tout marché public. Embarrassant pour un géant des travaux publics comme Bouygues TP, qui aurait alors été contraint de licencier massivement. "Ce qui est important pour la CGT, c’est que Bouygues est condamné, c’est-à-dire que la justice reconnait que Bouygues ne pouvait pas ignorer que les entreprises qu’elle employait en sous-traitance utilisaient des salariés qui faisaient du travail dissimulé, au noir. Certes, le montant de la condamnation de Bouygues est faible  au regard de ce qui est généré comme masses financières", a reconnu Jean-Pascal François, secrétaire fédéral de la CGT-Construction, au micro d’Europe 1.

Mais un redressement qui se chiffre en millions. Si le montant des amendes peut paraitre léger et dépend d’autres considérations, les entreprises fautives vont en revanche devoir payer les sommes qu’elles ont fraudées auprès des organismes de protection sociale.

"Les Caisses de Sécurité sociale, les Urssaf vont maintenant pouvoir récupérer les millions d’euros de cotisation qui n’ont pas été perçus ou détournés. Maintenant c’est au service de l’Etat de faire leur travail et d’aller chercher cet argent", a souligné Jean-Pascal François.  Et cette fois-ci, les chiffres sont bien plus importants : l'Etat pourrait réclamer entre 10 et 12 millions d'euros de cotisations sociales impayées aux sociétés condamnées, estiment les syndicats.