Emploi : flop pour l'accord "historique"?

Syndicats et patronat, sommés par François Hollande de s'entendre avant fin 2012 sur une réforme du marché du travail, entament jeudi trois mois de négociation aux allures de mission impossible, tant les positions de départ divergent.
Syndicats et patronat, sommés par François Hollande de s'entendre avant fin 2012 sur une réforme du marché du travail, entament jeudi trois mois de négociation aux allures de mission impossible, tant les positions de départ divergent. © REMI OCHLIK/IP3/MAXPPP
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La négociation sur le travail démarre jeudi. La "flexisécurité" divise les partenaires sociaux.

"Améliorer la sécurisation des parcours professionnels, avec comme objectif de faire reculer la précarité tout en donnant plus de souplesse aux entreprises, c'est la gageure." Ces mots du patron de la CFDT, François Chérèque, résume parfaitement le défi épineux, voire irréalisable, qui attend le gouvernement et les partenaires sociaux dès jeudi. Syndicats et patronat entament trois mois de négociations monstres pour aboutir à une réforme du marché du travail.

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"Les salariés doivent être mieux protégés, les entreprises doivent être plus soutenues dans leur effort d'adaptation par rapport à l'activité", avait déclaré François Hollande le 9 septembre, sur TF1, en prélude aux négociations. Le chef de l’État n'a d'ailleurs pas hésité à appeler patronat et syndicats à un compromis "historique". "Si ce compromis peut venir à la fin de l'année, cette réforme deviendra force de loi", a-t-il insisté. "Mais si les partenaires sociaux ne trouvent pas c'est l’État qui prendra ses responsabilités."

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Mais le compromis, tout "historique" qu'il devrait être, semble avoir déjà du plomb dans l'aile. Car patronat et syndicats sont sur la défensive. Principal point d'achoppement: "la flexisécurité", étrange terme qui désigne la juxtaposition de deux notions apparemment opposées. D'un côté, la flexibilité du marché du travail, soit l'assouplissement des conditions de suppression de postes. De l'autre, le renforcement des garanties pour les salariés de conserver ou trouver un emploi.

Le Medef, plus "flexi" que "sécurité"  

La patronne du Medef, Laurence Parisot, semble avoir sa définition bien à elle, qu'elle livre dans un entretien à l'Express publié mercredi. Côté flexibilité, elle réclame ainsi quatre avancées bien précise. "Nous voulons pouvoir, premièrement, modifier la durée du travail, la masse salariale et le maintien des effectifs en fonction de la conjoncture, et cela en accord avec les représentants des salariés. Deuxièmement, raccourcir les délais de mise en œuvre des plans sociaux en limitant le nombre de recours possibles", énumère-t-elle dans l'hebdomadaire.

Parisot

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"Troisièmement, tout faire pour apaiser la peur de l'embauche qu'éprouvent les chefs d'entreprise, notamment en plafonnant les dommages et intérêts que les tribunaux peuvent accorder à une personne licenciée. Quatrièmement, supprimer les aberrations et apories qui obligent les chefs d'entreprise à se demander, chaque fois qu'ils licencient, de quelle faute juridique ils pourraient bien être accusés", poursuit-elle.

Et côté sécurité, Laurence Parisot transporte dans sa valise quelques possibilités de concession… Mais pas trop. "Nous sommes prêt à aller plus loin en matière de portabilité des droits (droit au chômage, à la sécurité sociale, à la formation…) pour permettre aux salariés de les conserver lors d'une entreprise à l'autre et d'accepter ainsi plus facilement de changer d'entreprise. Nous devons aussi améliorer tous les systèmes de reconversion et de formation", détaille-t-elle.

Le hic : ce surplus de flexibilité que réclame le Medef, en cette période de conjoncture morose, risque d'inciter un grand nombre d'entreprise à licencier. Ce qui ferait bondir les chiffres du chômage.

"La France a déjà beaucoup de flexibilité"

Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO

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Pas de quoi enthousiasmer les syndicats. Pour certains, CGT et Force ouvrière en tête, le simple mot de flexibilité est tabou. "Si le patronat veut plus de flexibilité on n'est pas d'accord", déclarait récemment le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly. Selon lui, la flexisécurité "est un des éléments du libéralisme économique qui nous amène dans le mur chez nous comme ailleurs".

"On ne va pas entrer dans une logique où on va une fois de plus sacrifier le travail et faire en sorte que les salariés soient encore plus la variable d'ajustement", a pour sa part déclaré à la négociatrice de la CGT, Agnès Le Bott. Selon la CGT, la France "a déjà beaucoup de flexibilté".

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Au contraire, la confédération entend même la limiter un peu plus. La CGT réclame par exemple que les salariés puissent "plus largement intervenir" dans les grandes décisions de l'entreprise. En cas de plan social, le syndicat veut "un droit suspensif des salariés" impliquant un "examen a priori du motif économique invoqué". La CGT demandera également "un encadrement des ruptures conventionnelles", des séparations à l'amiables "dont le patronat fait une utilisation abusive".

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Sans prononcer le mot "flexibilité", la CFDT se montre, elle, prête à négocier "plus de souplesse" dans les entreprises en matière de temps de travail et de salaires en période de difficultés, "si ces dispositions sont réversibles et strictement contrôlées". Mais pour son patron François Chérèque, le problème de la procédure de licenciement" est bien un "sujet bloquant pour tout le monde".

L'exemple du modèle danois

La flexisécurité est un terme qui nous vient tout droit des Pays-Bas, mais qui connaît son apogée au Danemark. Le "triangle d'or" qui y est appliqué, un mix de flexibilité du marché de l'emploi, d'une protection sociale généreuse permettant aux salariés de moins craindre le licenciement, et de politique de l'emploi active, est cité en exemple dans le monde entier.

Côté flexibilité, en 2007, on comptait 21,8% des salariés travaillant à temps partiel au Danemark, contre 13,4% en France. Côté éducation et formation : 29,6% des adultes danois avaient bénéficié d'une formation en 2006, contre 7,4% en France, détaille le Nouvel observateur. La proportion des enfants danois pris en charge était de 66%, contre 17% en France. Côté protection sociale, le Danemark propose une période de quelques mois où le taux d'indemnités est très élevé. En cas d'échec, le salarié rentre dans une seconde phase où il est accompagné. Résultat : seulement 5,6% de CDD, contre 10% en France en 2007. Et un taux de chômage de 7,6%, contre plus de 10% en France en mai 2012, poursuit l'hebdomadaire.

Mais le modèle semble difficilement transposable en France. "Le Danemark est spécifique du fait de sa "très grande tradition de dialogue social entre des responsables d’entreprises, très souvent petites ou moyennes, et des syndicats puissants fortement impliqués dans la vie de l’entreprise et le contrôle du fonctionnement du marché du travail. Ce qui facilite la conclusion d’accords acceptables par les deux parties", décrypte ainsi Christine Charpail et Olivier Marchand, de l'Insee, dans leur rapport consacré à la question.