Assurance chômage : les mesures qui divisent patronat et syndicats

Les règles d’indemnisation des chômeurs devraient évoluer au terme des négociations.
Les règles d’indemnisation des chômeurs devraient évoluer au terme des négociations. © LOIC VENANCE / AFP
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Réunis mercredi, les partenaires sociaux ont programmé un cycle de réunions jusqu'à la mi-janvier pour discuter d'une nouvelle réforme de l'assurance chômage. L’application de la réforme achoppe sur plusieurs points clés.
ON DÉCRYPTE

Elles n’ont pas les mêmes vues mais elles vont être obligées de se parler, et si possible de s’entendre : réunies au siège de l'Unédic, les huit organisations patronales et syndicales ont programmé un cycle de réunions pour discuter d'une nouvelle réforme de l'assurance chômage. Les partenaires sociaux débuteront la négociation sur la nouvelle convention d'assurance chômage le 9 novembre jusqu'à la mi-janvier. Après la promulgation de la loi "avenir professionnel" en septembre, les partenaires sociaux ont donc trois mois pour parvenir à un accord, faute de quoi le gouvernement décidera seul de l’application concrète de la réforme du système. Plus facile à dire qu’à faire tant syndicats et patronat ont des conceptions opposées de l’avenir de l’assurance chômage.

Nouveau calcul de l’allocation chômage

Le gouvernement a sommé les partenaires sociaux de trouver entre 3 et 3,9 milliards d’euros d’économies sur trois ans, l’équivalent d’une année de recettes. Objectif : s’attaquer pour de bon à la dette de l’Unédic, désormais lourde de 35 milliards d’euros. Pour y parvenir, l’exécutif cible le salaire journalier de référence, qui sert de base au calcul de l’allocation chômage. Il estime que la formule actuelle rend "beaucoup plus intéressant, pour le salarié comme pour l'employeur, de fractionner des contrats à temps plein plutôt qu'être employé continûment à temps partiel".

Pour y remédier, le gouvernement pourrait contraindre les partenaires sociaux à revoir la formule. Au lieu de diviser le total des salaires perçus par le nombre de jours travaillés, la piste d’un décompte mensuel est sur la table. Par ailleurs, il envisage d’augmenter de quatre à six le nombre minimum de mois travaillés pour pouvoir bénéficier d’une indemnisation. Enfin, la période d’indemnisation pourrait être réduite, la base "un jour travaillé = un jour indemnisé" passant à "un jour travaillé = 0,9 jour indemnisé".

" Il faut poser la question du montant et de la durée des indemnisations "

Ces possibles changements font grimacer les syndicats qui y voient un coup porté à l’indemnisation des chômeurs ayant travaillé à temps partiel auparavant. La CGT a prévenu qu’elle ne négocierait "aucune baisse des droits des chômeurs". De l’autre côté de la table, le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, souhaite "poser la question du montant et de la durée des indemnisations".

Limiter le cumul chômage-emploi

La convention actuelle de l’assurance chômage permet de cumuler allocation et activité réduite (tous les types de contrats sont acceptés), avec une limite : le cumul des revenus est plafonné au montant du dernier salaire versé avant la période de chômage. Par ailleurs, si la période de versement de l’allocation chômage touche à son terme, un chômeur inscrit à Pôle emploi peut "recharger" ses droits immédiatement à condition d’avoir travaillé 150 heures minimum lors de sa dernière activité partielle.

Pour le gouvernement, ce système, qui doit inciter à retrouver un travail, est néfaste à double-titre : il peut avoir pour conséquence de s’enfermer dans la précarité des petits boulots et ne pousse pas réellement à revenir à l’emploi puisque le cumul d’une activité à temps partiel et de l’indemnisation chômage peut apporter une rémunération égale, dans certains cas, à un travail à temps plein. Pour y mettre fin, l’exécutif envisage par exemple de limiter le cumul chômage-emploi dans le temps, à 15 mois. Un seuil de revenus ou d’activité pourrait également être mis en place, au grand dam des syndicats.

La piste de la dégressivité des allocations

Cette mesure ne serait pas nouvelle puisqu’elle a été mise en place dans les années 1990, avant d’être arrêtée en 2002, faute de résultats. Le principe - diminuer progressivement le montant de l’allocation jusqu’à la fin des droits -, encourage fortement le retour à l’emploi. Mais il instaure également un sentiment d’urgence qui pousse parfois les chômeurs à se tourner vers des emplois moins qualifiés et donc à prendre la place d’autres chômeurs susceptibles d’être intéressés par ces emplois. Reste que la mesure pourrait générer des économies. Tous les chômeurs ne seraient cependant pas concernés : Édouard Philippe a évoqué fin septembre les personnes ayant eu des "salaires très élevés" et celles présentant une "très forte employabilité".

" Une dégressivité, pourquoi ? Certains seraient des profiteurs ? "

C’est sans doute sur ce point que le projet du gouvernement rencontrera la plus forte opposition de la part des syndicats. La CFDT a fait savoir que la dégressivité est une "ligne rouge", son secrétaire général Laurent Berger estimant qu’"aucune étude économique n’a prouvé l’efficacité" de cette mesure. "Une dégressivité, pourquoi ? Certains seraient des profiteurs ?", a de son côté dénoncé le patron de la CGT, Philippe Martinez

La taxation des contrats courts verra-t-elle le jour ?

Il semble peu probable que les syndicats acceptent les mesures d’économie citées ci-dessus sans la moindre contrepartie. Dans cette optique, ils ont fait de la taxation des contrats courts leur cheval de bataille. Le bonus-malus sur les CDD, censé en limiter les usages abusifs par les employeurs, est bien inscrit dans la loi "avenir professionnel" mais le texte ouvre la voie à un assouplissement. Il précise en effet que la mesure pourrait ne pas s’appliquer partout si les branches qui abusent des contrats courts (BTP, restauration, hôtellerie, services à la personne…) signent des accords avant la fin de l’année.

Une porte de sortie dans laquelle le patronat entend bien s’engouffrer. Il affirme qu’il n’est pas opposé à la taxation des contrats courts mais refuse catégoriquement de l’inscrire dans la réforme, et donc de l’imposer à l’échelle nationale. En effet, selon le Medef et la CPME, cette question doit être laissée à l’appréciation des branches. Et les organisations patronales de citer en exemple les accords trouvés sur ce point dans les secteurs de la propreté et de la métallurgie, ainsi que les discussions en cours dans le BTP. Ces exemples seront-ils suffisants pour que les patrons obtiennent gain de cause ? Pas sûr : les accords déjà signés ne portent pas sur le nombre de contrats consécutifs mais sur leur durée et les périodes d’interruption.

Pourquoi syndicats et patronat ont intérêt à s’entendre

L’exécutif a lancé un ultimatum aux organisations syndicales et patronales : si elles ne parviennent pas à un compromis d’ici au 26 janvier, le gouvernement reprendra le dossier en main et imposera ses propres arbitrages pour cette réforme. Une menace à ne pas prendre à la légère : en février, Matignon avait retoqué l’accord sur la formation professionnelle. Un passage en force que les syndicats ont toujours en travers de la gorge.

C’est d’ailleurs le seul point qui met tout le monde d’accord autour de la table : patronat et syndicats redoutent sérieusement une reprise en main par l’État. "En cas d’échec, ce pourrait être l’une des dernières négociations, sinon la dernière", craint Marylise Léon, négociatrice en chef de la CFDT, citée par Les Échos. Comprendre par-là que si l’État fixe le cadre cette fois, il pourrait ne plus lâcher les rênes à l’avenir.