Nobel d'économie : les lauréats sont-ils écoutés ?

L'économiste français Jean Tirole s'est vu décerner le prix Nobel d'économie 2014.
L'économiste français Jean Tirole s'est vu décerner le prix Nobel d'économie 2014. © MAXPPP
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ZOOM - Le Français Jean Tirole, fraichement désigné lauréat, propose des réformes radicales. Mais un Nobel est-il vraiment écouté ?

Il a vocation à récompenser les travaux d'économistes illustres. Le "Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel", "Prix Nobel d'économie" de son petit nom, a été décerné lundi. Et c'est le Français Jean Tirole, chercheur à l'université de Toulouse, qui a été récompensé, pour son "analyse de la puissance du marché et de la régulation", a justifié le jury dans un communiqué.

Des propositions radicales. Âgé de 61 ans, Jean Tirole n'avait pas attendu l'annonce de Stockholm pour bénéficier d'une réputation mondiale: son CV remplit 24 pages de distinctions, publications et prix en tous genres. Pourtant, sur la scène nationale, l'économiste restait relativement méconnu du grand public avant son prix. Et ses propositions de réformes, qu'il a déjà formulées à plusieurs reprises, sont pour l'instant restées lettres mortes.

Parmi ses propositions les plus connues, il y a par exemple la "taxe de licenciement", qui augmenterait en fonction du nombre de personnes renvoyées par une même entreprise. Jean Tirole défend également depuis des années l'idée du "contrat unique", qui remplacerait les CDI et CDD. Il les avait notamment détaillées dans une interview à Libération, dès 2003. Et le nouveau "Nobelisé" les a remises au goût du jour mardi, interrogé par Europe1 :

Jean Tirole : "Il y a beaucoup de réformes qui...par Europe1fr

Son prix Nobel lui donnera-t-il une aura suffisante pour être désormais écouté des politiques ? Peut-être. Les députés UMP Xavier Bertrand et Bernard Accoyer ont déjà fait savoir, lundi, qu'ils étaient partisans d'une telle mesure.  Mais un prix Nobel est-il vraiment influent ? Les 75 lauréats désignés depuis la naissance du prix ont-ils vraiment été écoutés ? Décryptage.

DES PRIX INFLUENTS

• Des "libéraux extrémistes".  Plusieurs Nobel ont théorisé ou contribué à l'essor du capitalisme financier en vigueur encore aujourd'hui. Les Américains Robert Merton et Myron Scholes, récompensés en 1997, sont par exemple  considérés comme les fondateurs des "mathématiques financières modernes", utilisés sur les places boursières.

Ils ont d'ailleurs de nombreuses fois essuyé le feu des critiques, jugés par certains responsables de la crise. En 2009 par exemple, le fondateur du magazine Alternatives économiques, Denis Clerc, signait un éditorial au vitriol dans lequel il pointait du doigt une "large majorité" de Nobel qualifiés de "libéraux les plus extrémistes", qui nous ont "conduit dans le mur". Et de dresser une liste de seulement une vingtaine de noms échappant à la critique. "Les deux tiers des prix Nobel ont été attribués" à de tels économistes regrettait également en février 2005, le descendant d'Alfred Nobel, Peter Nobel, dans une interview au Monde Diplomatique.

Nobel économie

• Des partisans de la relance. D'autres économistes, moins libéraux, ont également élaboré des théories que l'on a pu retrouver à l'œuvre dans les politiques internationales. Les travaux de Leonid Kantorovitch, primé en 1975, sur le rôle de l'investissement dans la productivité, ont ainsi inspiré la libéralisation de l'économie soviétique. Vickrey, dit "post-keynésien", primé en 1996,  prônait lui l'endettement public à outrance pour soutenir la demande. Une politique en partie appliquée par les pays occidentaux ces 20 dernières années.

DES PRIX MOINS REPRIS

• Des pensées qui dénotent. D'autres Nobel ou leurs défenseurs regrettent au contraire qu'on ne les ait pas écoutés davantage. Joseph Stiglitz, lauréat de 2001, Paul Krugman (2008) ou encore Christopher Sims et Thomas Sargent (2011) proposent tous des solutions qui tranchent avec les politiques actuelles.

Le premier, admiré des altermondialistes, a de nombreuses fois écumé les plateaux pour marteler que "l'austérité est une erreur", qu'il faut repenser la mondialisation et tout miser sur l'éducation ou "l'innovation environnementales". Le second prône à tout va que la BCE doit racheter massivement la dette des États européens et laisser l'inflation augmenter d'au moins 4%, sans faire suivre les salaires, afin de "rééquilibrer" le coût du travail. Et la cuvée 2011 de défendre depuis des décennies une mutualisation des budgets en Europe, ce "processus miracle" qui a fait ses preuves aux États-Unis, assurent les lauréats.

• Des voix au milieu de milliers d'autres. Autant de systèmes reconnus par les économistes, mais peu visibles dans la réalité politique. Ce qui ne veut pas dire non plus qu'elles sont inexistantes. "Tout ce qui est fait aujourd'hui s'appuie, ou au moins prend largement en compte, l'état actuel de la science économique, qui a énormément progressé grâce aux lauréats primés", résumait l'économiste et écrivain spécialiste de l'histoire des lauréats, Jean-Edouard Colliard, contacté par Europe1.fr en octobre 2012. "Mais cette même science représente un corpus de résultats, auquel ont pris part des milliers de chercheurs, si bien qu'on ne peut pas dire qu'on adopte les recettes d'un économiste en particulier", poursuivait l'auteur de "Les prix Nobel d'économie."