Le Vasistas

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De toute façon, l’affaire s’annonçait mal : la prononciation laborieuse du mot (« vazisstass ») en limitait d’entrée l’usage oral si ce n’est à travers sa déformation populaire en « vagistas » ; et puis, n’utilisait-on pas depuis les temps sinon immémoriaux mais au moins villageois et citadins, les fenêtres ou portes à guichet, sans nul besoin de ce mot barbare ?

De toute façon, l’affaire s’annonçait mal : la prononciation laborieuse du mot (« vazisstass ») en limitait d’entrée l’usage oral si ce n’est à travers sa déformation populaire en « vagistas » ; et puis, n’utilisait-on pas depuis les temps sinon immémoriaux mais au moins villageois et citadins, les fenêtres ou portes à guichet, sans nul besoin de ce mot barbare ?

 

 

 

 

 

 

Mais de là à transformer la moindre ouverture d’aération si ce n’est de lumière en classieux Velux, synonyme de modernisme et d’efficacité, il y a bien un pas que je vous propose de ne pas franchir. Un vasistas n’est pas une lucarne ni un œil de bœuf et encore moins un oculus, que diable !

 

 

 

 

 

Un peu d’histoire.

 

Si, dans nos campagnes, on ne se souciait guère de lorgner à travers une porte ou une fenêtre l’arrivée d’un étranger, c’est que les premières étaient aussi rares que le second ! En revanche, dans les villes, il en allait tout autrement et il n’était pas question d’ouvrir à n’importe qui. D’où l’idée de pratiquer une ouverture mobile à la porte d’entrée, ou sur l’une des fenêtres de façade, pour se faire une idée de la trogne du visiteur et juger ainsi de l’opportunité de lui autoriser l’entrée.

 

Cette sorte de guichet, parfois grillagée pour des raisons évidentes de sécurité, se retrouvait dans la plupart des établissements publics de l’Europe occidentale : estaminets, auberges, maisons de plaisirs… bref, des lieux de passage où tous n’étaient pas forcément bienvenus. Ainsi, quand la nuit venue, quelqu’un frappait à l’une de ses portes, assoiffé ou saisi par le démon de la chair, le tenancier ne manquait pas de lancer un : « Qu’est-ce que c’est ? » ou un « C’est pour quoi ? » tout aussi accueillant, à travers son guichet, l’éclairage public brillant par son absence.

 

 

 

 

 

En passant par la Lorraine… (air connu)

 

Par une de ces raisons mystiques qui expliquent la perpétuelle évolution des langues vivantes, la locution allemande « Was ist dass ? », traduction littérale de la phrase d’accueil de notre aimable aubergiste, s’est étendue à toute la France, en passant par l’Est du pays, pour désigner la petite partie mobile d’une porte ou d’une fenêtre qui s’ouvre ou se ferme à volonté.

 

Un des nombreux emprunts à la langue allemande, tout comme « loustic », « chopine » ou « handball », mais là, je m’égare. On s’éloignait pourtant du sens originel du vasistas, à savoir un guichet qui correspond davantage aux judas optiques et autres œilletons qui équipent aujourd’hui nos portes citadines.

 

 

 

 

 

 

Outil de salubrité publique

 

Dès le XVIIIe siècle, le terme « vasistas » s’applique le plus souvent à une petite ouverture servant à l’aération d’un réduit, d’un grenier, plus rarement à son éclairage. Ainsi, dans les « Annales d’hygiène publique et de médecine légale » parues en 1830, on recommande de prévoir des vasistas pour fournir la quantité d’air nécessaire à l’assainissement de la salle d’autopsie.

 

Une aération également recommandée dans « L’Art de faire le beurre et les meilleurs fromages », quelques années plus tard (1866) pour obtenir les meilleurs résultats d’affinage. Ou bien encore, dans le « Dictionnaire de l'industrie manufacturière, commerciale et agricole » (1838), où on y décrit le vasistas comme la meilleure façon d’aérer des latrines ou pour abaisser la température élevée de la salle des théâtres.

 

Ne voyez, évidemment, aucun rapport entre ces différents exemples, ce serait de mauvais goût. En voici d’ailleurs la définition ferme et définitive selon un dictionnaire technologique de 1835 : « Partie mobile d’une porte, d’une portière de voiture, d’une fenêtre, afin d’établir à volonté un courant d’air utile et souvent indispensable pour l’assainissement d’une pièce, d’un appartement habité, dans lesquels l’air ne circule pas suffisamment.. »

 

 

 

 

 

Vasistas ou Velux ?

 

Depuis que l’hygiène publique a fait les progrès que l’on sait, les besoins en aération se sont moins fait sentir (jeu de mots olfactif) et le vasistas est devenu, au fil du temps, une petite fenêtre à ouverture simplifiée, offrant éclairage et ventilation de complément. Que l’on retrouve généralement sur la pente d’un toit pour les besoins d’un couloir, d’une cage d’escalier, d’un grenier.

 

Mais voilà qu’en 1941, le sieur Villum Kann Rasmussen, accessoirement danois, élabore un système ingénieux pour installer facilement des fenêtres de toit à l’étanchéité et à la robustesse incomparables. Une invention de génie, doublée d’une création non moins géniale, son appellation Velux (« VE » pour « ventilation » et « Lux » pour « lumière » en latin et non en hommage au regretté Guy).

 

La suite est facile à deviner : les Velux s’imposent en France (comme ailleurs), remplacent les discrets vasistas d’antan mais offrent surtout une appellation facile à prononcer en lieu et place du « Was ist dass » originel qui fit souffrir des générations d’écoliers. Sans compter que trois guerres contre les Germains n’avaient guère favorisé la popularité de ce terme lourdement teutonisé.

 

De là à confondre l’un avec l’autre et de rebaptiser l’ouverture sinistre et vaguement rouillée d’un mauvais toit par l’appellation Velux (déposée, je le rappelle), il y aurait comme un gros abus de langage. Même si, à l’image de Frigidaire, Carte Bleue, Klaxon, Plexiglass, et autres Placoplatre, Velux devra bien, un jour ou l’autre, payer rançon à son succès et accepter que son appellation protégée devienne propriété commune.