"Paris est une fête" : le film "de potes" qui bouscule les codes du cinéma français

Noémie Schmidt est le visage de "Paris est une fête".
Noémie Schmidt est le visage de "Paris est une fête".
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Trois ans de tournage, une dizaine de jeunes motivés, 4.000 euros de budget et à l’arrivée un film professionnel qui pourrait bien sortir en salles : c’est l’histoire folle de "Paris est une fête".

Comment réaliser un film sans argent ? Elisabeth, Noémie, Paul, Olivier, Grégoire, Rémi et quelques autres ne se sont pas franchement posé la question. En 2014, ce groupe d’amis, tous dans la vingtaine et baignant dans l’univers du cinéma et de la vidéo (professionnels pour certains), s’est lancé dans un projet un peu fou : tourner un long-métrage avec en tout et pour tout une caméra miniature, un bout de scénario et beaucoup de bonne volonté. Le nom du film : Paris est une fête. Rien à voir avec Hemingway, si ce n’est une même volonté de s’immerger dans l’atmosphère vibrante de la ville lumière.

L’idée de départ est mince : Anna, une jeune femme paumée, évite la mort de peu. Une expérience qui la déstabilise profondément, au moment où Paris aussi s’apprête à changer de visage… De la Fête de la musique aux obsèques de Johnny en passant par la marche pour Charlie et Nuit Debout, Paris est une fête mêle le destin de la ville et de son héroïne. Un film ambitieux, tourné à l’économie et à l’énergie et qui cherche à réveiller le cinéma français. Pour terminer le long-métrage, le collectif a lancé une campagne de crowdfunding (28.000 euros collectés en dix jours). L’équipe du film nous livre ses cinq commandements pour réussir ce projet insensé.

Tes contraintes tu embrasseras

Tourner un film sans savoir à l’avance où, quand et comment a tout du projet infernal. Pourtant, ces contraintes ont donné naissance à Paris est une fête. "Au début, on pensait faire un court-métrage. C'est en tournant à la Fête de la musique en 2014 qu'on a basculé sur l'idée de faire un long-métrage", se rappelle Elisabeth Vogler, la réalisatrice, déjà auteure d'un documentaire en 2014. C’est à ce moment-là qu’elle découvre la Black Magic Pocket, une caméra pas plus grande qu’un téléphone mais dotée d’un objectif professionnel. Montée sur un dispositif stabilisateur, elle permet de se déplacer facilement et confère cette impression d’une image qui flotte.

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Grâce à la caméra miniature, le tournage se déroule en petite équipe : acteurs, réalisatrice, preneur de son et producteur. "On passait inaperçu ! Pour les gens, on pouvait tout aussi bien tourner une vidéo ou un clip. On n’avait pas l'air sérieux donc on nous laissait faire ce qu'on voulait. Et puis on était toujours en déplacement donc même quand les gens sont étonnés de te voir en une minute tu n'es déjà plus là", relate Elisabeth Vogler. Une agilité qui correspond à la vision des auteurs. "On voulait filmer avec le réel donc ça impliquait de ne pas fabriquer et d'être dans la rue au milieu des gens", développe Paul Saïsset, couteau suisse du projet qui a mis la main à la pâte au son, à la mise en scène, à l’écriture… "Ça fait du bien de ne pas voir un film qui bricole le réel à l'aide d'une industrie lourde."

Une séquence de prestige

Une seule fois, l’équipe a dérogé à ses règles, en allant tourner une séquence au théâtre des Bouffes du Nord (la seule en intérieur) à l’aide d’une grue et d’une caméra professionnelle. Mais là encore, c’est de la débrouille explique Paul Saïsset : "On a tous mis la main à la poche pour avoir une belle séquence. Au total, on a engagé 4.000 euros, dont la moitié a servi pour la grue. La caméra, c'est un prêt d'un ami chef opérateur".

Ambitieux tu resteras

Tourner entre amis oui, mais pour faire un vrai film de cinéma. C’est le défi que se sont imposés les membres impliqués dans l’aventure. "C'était une ambition personnelle de l'équipe que d'avoir un projet de qualité professionnelle", soutient Paul Saïsset. "On s'est tout de suite dit l'importance de ce film et que le tournage ne devait pas être une colonie de vacances. C'est ce qui fait que tout en se donnant une liberté absolue, le film fonctionne : on collabore tous ensemble pour que le projet soit le plus abouti possible", appuie Olivier Capelli, membre du collectif Les Idiots et producteur de Paris est une fête.

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Cette ambition, il a ensuite fallu la tenir pendant trois ans sur le tournage. L’amitié qui unit l’équipe n’empêche pas Olivier Capelli de revêtir ses habits de producteur pour des piqures de rappel. "Après, ce sont les compétences techniques des uns et des autres qui ont permis de concrétiser cette volonté. On a des personnes capables de faire un film à l'esprit "punk" mais sans transiger sur le sérieux", souligne Paul Saïsset. "Avoir un résultat amateur aurait été un échec pour nous."

Godard et Lynch comme références

Pour réaliser le film rêvé, rien de tel que de s’inspirer des plus grands. Le scénariste dresse la liste : "Les références de Paris est une fête sont nombreuses. Il y a A bout de souffle de Godard, qui a été fait sans autorisation, avec les tripes. Il y a aussi David Lynch, un cinéaste que nous admirons tous et qu’on retrouve dans notre scène dans le théâtre avec les gros plans sur une femme avec une perruque blonde. Je peux citer aussi Léos Carax avec sa liberté ou Chris Marker pour le côté documentaire".

Avec le temps tu joueras

Le tournage de Paris est une fête étant totalement bénévole, il s’est déroulé en parallèle de la vie des membres de l’équipe : études, travail, autre tournages même… "Ce n'était pas 24h/24h pendant trois ans. On a plutôt avancé par phase", précise Olivier Capelli. Résultat, Paris est une fête repose sur un paradoxe temporel. C’est un film dont le tournage a duré près de trois ans, bien plus que pour un long-métrage classique, mais qui s'est construit sur des sorties décidées parfois en quelques heures, avec peu de prises à chaque séquence.

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"On se réunissait la veille pour parler des personnages. Et on allait tourner le lendemain. Le tâtonnement a engendré la longueur", avance Elisabeth Vogler. Dans ce contexte, le rôle du producteur est essentiel. "Ça a beaucoup consisté à mobiliser les équipes, trouver des ingénieurs du son du jour au lendemain, des bras pour aider. C'était aussi me tenir en permanence au courant de l'actualité pour être là où ça se passe", retrace Olivier Capelli. "Par exemple, lors de Nuit Debout, c'était un peu rock 'n' roll : je me connectais sur Periscope pour voir où avaient lieu des rassemblements et où on pouvait tourner rapidement."

Pendant trois ans, c’est la spontanéité qui motive les choix de l’équipe. "On voulait s'inscrire dans l'ambiance de Paris parce qu'on sentait de toute façon qu'il y avait une tension particulière. Après, il y a eu la marche pour Charlie, les attentats de novembre ou plus récemment les obsèques de Johnny. A chaque fois on s'est juste dit : faut y aller, point. C'était complètement imprévu mais génial", se souvient Paul Saïsset.

A tes partenaires confiance tu feras

Sans budget, sans matériel professionnel et avec une équipe réduite, Paris est une fête repose entièrement sur les épaules de volontaires. Ce qui nécessite que chacun se rende disponible et fasse confiance aux autres. "Je n'avais pas vraiment un rôle de surveillant. Certes, la plupart des gens étaient des amis et il y avait une ambiance bon enfant mais on était avant tout un collectif avec un même but", explique Olivier Capelli, le producteur.

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Le tournage, par nature échevelé, nécessite que chacun puisse s’exprimer. "On avait un canevas pour chaque séquence mais pas vraiment de dialogues. Il y a eu beaucoup d'impro, ça repose énormément sur les acteurs qui ont en quelque sorte coécrit le film. Ça demande beaucoup de confiance, il faut créer et maintenir une relation", raconte la réalisatrice. "Elisabeth a eu l'humilité de ne pas se prendre pour une scénariste et elle nous a beaucoup écouté", abonde Grégoire Isvarine (aperçu dans Les Hommes du feu) qui incarne le copain d’Anna, jouée par Noémie Schmidt (la fille de Dany Boon dans Radin! et Henriette d’Angleterre dans Versailles). "Nous, les acteurs, avions une vraie liberté pour développer nos personnages. Pour résumer, elle nous a inspiré plus qu'elle ne nous a dirigés."

De l’expérience tu apprendras

Tous l’avouent : en terminant le montage et en entrant en post-production, ils ont pris du recul sur le projet. Après trois années imprévisibles, place désormais à la réflexion. Et chacun tire les leçons. "Le plus important dans cette expérience c'est qu'elle montre qu'on peut tout faire, retrouver cette énergie des années 60, celle de la Nouvelle Vague", veut croire Elisabeth Vogler, réalisatrice qui cherche encore à sortir des carcans. "Il faut apporter cette fraîcheur ouvrir le cinéma montrer que c'est possible." Ce besoin de liberté, "ce n’est pas forcément générationnel", nuance-t-elle, mais cela "s’inscrit dans une démarche globale". "Par exemple, aujourd'hui c'est compliqué d'avoir un visa d'exploitation. Avec Netflix tu n'en as plus besoin pour que ton film soit vu."

Pour les jeunes acteurs, l’expérience a également été enrichissante. "Le fait de tourner de cette façon, au milieu de la foule, ça a complètement changé ma perception du métier d'acteur. C'était vraiment la partie la plus difficile. Les gens autour ne savent pas qu'on tourne, ce qui peut engendrer des aléas, genre le gars qui te demande une clope en pleine prise. Ce sont des aléas auxquels il faut être attentif et auxquels il faut savoir s'adapter. Le regard des gens, c'est très difficile pour le jeu, même si on n’avait rien à craindre. Ça te force à assumer complètement ton jeu", analyse Grégoire Isvarine.

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En tant que producteur, Olivier Capelli assure aussi avoir beaucoup appris de ces trois années. Surtout, il a pêché quelques idées pour le futur. "La façon dont on a tourné peut se dupliquer sur d'autres projets. Mais cela dépend vraiment du réalisateur plus que du film. Elisabeth vient du documentaire, elle a besoin d'être libre. Sur un tournage de Christopher Nolan (Inception, Dunkerque), c'est complètement impossible, tout est réglé au millimètre." Heureusement, tout le monde n’est pas Nolan.

Objectif sortie en salles

A l’heure où on écrit ces lignes, le montage de Paris est une fête est quasiment terminé. Profitant d’un buzz important (la vidéo de présentation a été vue 1,5 million de fois sur Facebook), le projet avance vite sur la plateforme de crowdfunding Kickstarter. "On remplit les objectifs qu'on s'était fixés, on coche les cases petit à petit. Plus ça monte, plus on est à l'aise. Dans l'idéal, il nous faudrait 50.000 euros", espère Paul Saïsset qui officie désormais comme directeur de la communication du projet.

Avec une telle somme, l’équipe pourra se rémunérer et boucler une post-production professionnelle, avec effets spéciaux, musique enregistrée avec un orchestre, mixage sonore optimal… "Tant qu'on n’a pas cette somme, il faut être plus malin, anticiper en permanence les plans B et C", explique Olivier Capelli. Mais au-delà de l’aspect technique, tous nourrissent l’espoir de présenter Paris est une fête en festival et même de le sortir en salles, avec une avant-première au Max Linder.