Denis Tillinac : "On ne peut plus avoir un débat intellectuel"

© Stéphane DE SAKUTIN/AFP
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A.D , modifié à
L'écrivain, tourné vers sa Corrèze adorée et vers le passé depuis l'enfance, évoque les choses simples et rurales. Et donne l'impression de mal vivre son époque.
INTERVIEW

L'époque est, selon lui, mécanique, brutale et égocentrée. Sans repères. Denis Tillinac, auteur, ancien journaliste, a toujours cherché à fuir. D'abord le monde des adultes et le gris de Paris, pour s'évader dans l'imaginaire adoré de son paradis de vacances d'enfance, la Corrèze. C'est désormais là qu'il vit, en déplorant la fin d'une France rurale tant aimée. Il vient aussi de sortir un livre - un roman mais "très près de l'autobiographie" - qui revient notamment sur son enfance. Il a présenté l'ouvrage intitulé Caractériel dans l'émission Il n'y a pas qu'une vie dans la vie.

"Danger de devenir adulte". "J'avais besoin de renouer avec le petit garçon que j'ai été." Un petit garçon qui naît dans le quartier Daumesnil à Paris et qui ne vit que pour sa Corrèze, où il s'échappe pendant les vacances chez ses grand-parents. Entre temps, il se montre "cancre, indiscipliné, agressif, bagarreur, insupportable à l’école et à la maison." Il ajoute : "J’ai vécu dans mon imagination. J’étais collé tous les jeudis, tous les samedis, j’ai été viré de sept établissements scolaires." A l'époque, pour expliquer ce comportement, on appliquait un mot : "caractériel". Il en a fait son titre.

Puis il grandit, mais décide d'éviter d'être adulte : "Je pressentais le danger de devenir un adulte, j’ai évité cet écueil. J’ai fait semblant." Malgré tout, il obtient son bac, fait Sciences-Po mais, toujours à rebours, ne tient pas les barricades en mai 68 : "J’ai été l’incroyant de la cause révolutionnaire de ma génération."

"Prise de pouvoir de l'audiovisuel". De manière logique, sa carrière commence par un poste de journaliste localier en Corrèze. Il y revient. Il a aussi été éditeur et écrivain. Il écrit alors "pour arrêter le temps, le retrouver, le recomposer, le rattraper", toujours dans la même nostalgie d'une France qui a disparu ou tout simplement changé, évolué. "J’ai assisté à la prise de pouvoir de l’audiovisuel au détriment de l’écrit. La dramaturgie humaine se représente autrement. J'ai pris conscience que la figure sociale de l’écrivain se marginalise, d’où le droit à une certaine mélancolie qui est le sel de l’écrivain." 

Son premier livre s'appelle d'ailleurs Spleen en Corrèze. Mais il se défend d'être un écrivain du terroir, ne se revendique pas de l'école de Brive. En plus de romancier, il a aussi été conseiller de Jacques Chirac à la francophonie, un poste qui le renvoyait encore à ses rêves d'enfance, cette fois vers des univers plus lointains comme l'Indochine.

"Si vous n'êtes pas conforme, vous êtes réac". Mais résolument, il regrette le passé, pour son métier, déjà. "J’ai loupé la révolution du numérique. Ce n’est pas la même respiration littéraire, pas la même intériorité. Il y a une fracture générationnelle. Je n’aime pas la société du spectacle. Théâtre, cinéma, ça m’emmerde. Si je veux apprécier une pièce, je la lis." Et puis, si l'on doit le dire réac, il dit assumer.

Ensuite, il y a toujours ce problème d'époque et son impression que l'on n'a "plus le droit à un jardin secret. La liberté a régressé beaucoup. Ce n’est pas avec les récents crêpages de chignons médiatisés que ça va arranger les choses. On ne peut plus avoir un débat intellectuel. Il faut être pour les 100 pétitionnaires ou pour Madame de Haas. J’ai toujours refusé ce genre de dichotomie, ça isole un peu. C’est pour ça que j’ai même publié un livre qui était une espèce de provocation Du bonheur d’être réac. Parce que si vous n’êtes pas conforme, vous êtes réac. Le mot ne veut plus rien dire que la diabolisation d’un adversaire qu’on ne veut pas écouter." Comme si, en aimant, les choses simples et "peu coûteuses", Denis Tillinac avait été en colère toute sa vie