SK1 : ce que l'affaire Guy Georges a changé

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INTERVIEW E1 - Corinne Herrmann, avocate et criminologue, s'est prêtée au jeu des questions-réponse pour Europe 1. 

SK1, le film choc sur l'affaire Guy Georges, le "tueur de l'Est parisien", en salle mercredi, revient sur dix ans d'enquête pendant les années 90. A travers une plongée minutieuse dans cette affaire, Frédéric Tellier adopte le point de vue de Franck Magne, un jeune inspecteur qui fait ses premiers pas à la Police Judiciaire au 36 quai des Orfèvres. Il va être confronté à une série de viols et de meurtres brutaux qui vont l'obséder pendant une décennie entière. Au casting de ce troublant récit d'une traque, on retrouve Raphaël Personnaz, Nathalie Baye ou encore Olivier Gourmet.

Avec le recul, il y a un avant et un après l'affaire Guy Georges. Suite à l'affaire, la loi du 17 juin 1998 acte la création du fichier national automatisé des empreintes génétiques. Il concerne d'abord seulement les délinquants sexuels, puis il sera élargi aux individus condamnés ou mis en cause pour des crimes et délits d'atteinte aux biens et aux personnes. L'affaire Guy George a-t-elle donc révolutionné les méthodes d'enquête ? Nous avons posé la question à Corinne Herrmann, avocate et criminologue, 

Qu'a changé l'affaire Guy Georges dans le fonctionnement des enquêtes ?

"Il y a eu une prise de conscience de la valeur et de l'intérêt de la police scientifique. Mais une prise de conscience générale. Quoiqu'on en pense, certains magistrats, certains enquêteurs, n'étaient pas toujours convaincus qu'il fallait procéder à des analyses de vêtements, des recherches d'empreintes génétiques et avoir recours à toutes les techniques de police scientifique. Ça peut paraître fou, mais c'est encore le cas aujourd'hui.  Il faut encore se battre pour avoir des expertises. Mais à l'époque de l'affaire Guy Georges, c'était encore pire. Ce qui s'est passé au niveau de l'ADN dans ce dossier nous a fait prendre conscience d'abord qu'on pouvait avoir dans nos mains des suspects et les relâcher, qu'on pouvait avoir des témoins qui, aussi dignes de foi qu'ils pouvaient être (j'avais rencontré la jeune fille qui a échappé à Guy Georges, agressée dans un ascenseur), pouvaient ne pas reconnaître leur agresseur pour tout un tas de raisons (le choc, l'impossibilité de vouloir se rappeler un visage…) Toutes ces choses-là, on en a pris conscience dans cette affaire.

Dans l'instruction aujourd'hui, on a ainsi l'enquête de terrain et l'enquête scientifique qui sont complémentaires et doivent être menées en même temps.

Après l'affaire, l'électrochoc a aussi été de réaliser ce que pouvait nous amener la génétique et c'est ce qui reste aujourd'hui.

Enfin il y a eu une prise de conscience de la part des enquêteurs sur la nécessité de prendre en compte les aspects techniques, de respecter la scène de crime contrairement à l'époque où c'était vraiment la préhistoire."

Très concrètement, à la suite de cette affaire, est mis en place un fichier national de l'ADN

"En réalité, ce fichier était déjà en discussion. Souvent ces grosses affaires là permettent de faire avancer les projets en cours, les lois, les réglementations et en tout cas, nos habitudes de travail.  Le fait est que l'affaire Guy Georges a permis la mise en place du fichier national des empreintes génétiques (FNAEG) d'un certain nombre d'agresseurs et de suspects, qui nous montre aujourd'hui à quel point il est opérationnel puisque on a vu en 2014 deux affaires résolues : l'affaire Blétry sur le meurtre d'une jeune femme en 1996 et celle de Perpignan, qui date de 1997.

Or, à l'époque de Guy Georges, si on avait eu ce fichier, qui existe depuis très longtemps aux Etats-Unis et au Canada, mais aussi dans certains pays d'Europe, on l'aurait identifié beaucoup plus vite puisque celui-ci avait déjà un passé judiciaire."

On avait la possibilité de le mettre en place à l'époque, mais il manquait une décision politique ?

"Oui, il manquait des décisions politiques et peut être aussi l'exemple qui montrait que ce fichier était nécessaire. Après, il a mis quatre ans à se mettre en place. Mais beaucoup de gens ont combattu ce fichier car il constituait selon eux une atteinte aux libertés publiques. Le combat, notamment mené par l'association des victimes de Guy Georges,  a donc été long. C'est vraiment après Guy Georges, parce que cette identification par le recoupement des ADN est faite par le docteur Pascal à l'époque, et de façon officieuse, hors-cadre, que cette prise de conscience, extraordinaire, a pu avoir lieu."

En vingt ans les choses ont-elles beaucoup évolué ?

"Aujourd'hui, au risque de vous surprendre, je dirais que c'est pire qu'à l'époque. Oui il existe des fichiers, oui on a évolué sur l'ADN, oui la police scientifique a évolué et représente aujourd'hui près de 70% des actes qui sont faits, sauf qu'aujourd'hui, on n'a plus d'enquêteurs criminels en France. On n'a plus assez d'enquêteurs sur le terrain, ils le disent eux-mêmes. On a des policiers, mais on n'a plus de spécialistes de l'enquête criminelle, à cause de la réduction des effectifs, de la mobilisation sur d'autres affaires que les meurtres. Donc aujourd'hui Guy Georges, il aurait une carrière plus importante qu'à l'époque, c'est ma conviction."