Pourquoi Obama n’a pas fermé Guantanamo?

Selon les organisations non-gouvernementales, les conditions de détentions se seraient améliorées.
Selon les organisations non-gouvernementales, les conditions de détentions se seraient améliorées. © REUTERS
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Charles Carrasco avec Catherine Boullay , modifié à
Dix ans après l’ouverture de la prison, 171 personnes sont toujours détenues.

Depuis près d’un an, aucun détenu n’a quitté la prison de Guantanamo. Ouvert le 11 janvier 2002, ce centre de détention militaire sur l’île de Cuba est toujours occupé par 171 prisonniers sur les 779 qui y ont séjourné depuis 2002. Symbole de l’Amérique de George Bush, Guantanamo, chargé d’accueillir les "terroristes" d’Afghanistan, n’a toujours pas pu être fermée par le président Barack Obama. Et pourtant, c’était l’une de ses priorités à son arrivée au pouvoir en janvier 2008. Beaucoup de ces prisonniers ont peu d’espoir de quitter rapidement "Gitmo" à cause des blocages politiques et juridiques.

Des "ovnis juridiques"

Un détenu de Guantanamo entravé.

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Si près de 70% des détenus sont sortis, l’administration américaine peine à régler le cas des autres pensionnaires. Environ la moitié des prisonniers restants, 89 exactement, ont reçu une approbation pour transfert, ce qui signifie qu’ils sont considérés comme "libérables". Mais leur sortie est rendue difficile, soit parce que très peu de pays souhaitent les accueillir, soit parce qu’ils risquent leur vie dans leur pays d’origine. C’est le cas des 56 Yéménites mais aussi pour ceux en provenance d’Arabie Saoudite, du Pakistan ou d’Afghanistan principalement (voir l’infographie du New York Times). Parmi les pays européens, la France en aurait accueilli neuf et la Grande-Bretagne, quatorze. 

Les cas les plus préoccupants sont ces quarante huit détenus qui n’ont pas reçu d’approbation pour transfert.  Ils sont donc pour le moment en "détention illimitée". "Il est impossible de les juger car les autorités américaines ont obtenu des aveux en ayant commis des actes de tortures, notamment la simulation de la noyade et cela est interdit dans le droit international", explique Me William Bourdon, joint par Europe1.fr, avocat de deux anciens détenus de Guantanamo aujourd’hui libérés. Il est donc impossible de les poursuivre mais l’administration américaine ne veut pas les relâcher car ils sont considérés comme dangereux. "Ce sont des ovnis juridiques", ajoute l’avocat. Parmi eux, 14 détenus dits de "grande valeur" sont incarcérés au camp 7 de Guantanamo, une forteresse où même les avocats sont persona non grata.

Le retour à la justice d’exception

Pour 36 d’entre eux, l’administration considère qu’ils doivent être jugés. Mais là encore le pouvoir américain est défaillant. Barack Obama n’a pas été en mesure d’imposer des procès des tribunaux civils et a donc été contraint de rétablir les commissions miliaires de l’ère Bush. Même si elles ont été améliorées, "elles empêchent aux détenus d’avoir une défense équitable, de pouvoir travailler sur le dossier", précise Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty France, interrogée par Europe 1. "Mais cela viole également le droit des victimes des attentats du 11 septembre (…) Ces procès à huis clos empêchent de savoir ce qu’il s’est réellement passé", déplore-t-elle.

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Six détenus ont été jugés et reconnus coupables devant les tribunaux militaires d'exception, dont quatre ont plaidé coupables. Deux d'entre eux ont été transférés vers leur pays d'origine en raison de cette procédure et un troisième, le Canadien Omar Khadr, un des douze mineurs qui ont été incarcérés à Guantanamo, devrait l'être prochainement. Un seul détenu a été renvoyé devant un tribunal fédéral, le Tanzanien Ahmed al-Ghailani, condamné à la perpétuité pour avoir participé aux attentats contre des ambassades américaines en Afrique en 1998.

Enfin, sept détenus seront renvoyés devant ces tribunaux militaires, dont Khaled Cheikh Mohammed et quatre autres accusés suspectés d'avoir organisé les attentats du 11 septembre. Le Saoudien Abd al-Rahim Al-Nachiri, accusé d'être le cerveau de l'attentat contre l'USS Cole en 2000, est également concerné.

Le blocage au Congrès

Outre les blocages juridiques, l’existence de Guantanamo a été entretenue par des conflits politiques. L’héritage de cette prison était un symbole que Barack Obama voulait rayer de l’Amérique lors de son arrivée au pouvoir. Le 22 janvier 2009, deux jours seulement après son intronisation, il signe un décret prévoyant la fermeture dans l'année de cette prison : 

Mais le nouveau président n’a eu de cesse que de se heurter à l’hostilité du Congrès. Les députés renâclent à tout transfert de détenus de Guantanamo sur le sol américain pour les juger devant des tribunaux civils ou les emprisonner. A chaque vote de budget de la défense, les parlementaires rognent tout financement de tels transferts.

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Fin décembre, Barack Obama a été contraint de reculer sous la pression des républicains majoritaires au Congrès. Il promulgue une nouvelle loi qui empêche le transfert des détenus de Guantanamo aux Etats-Unis. Cela autorise de fait, les détentions illimitées sans procès ainsi que le recours aux tribunaux militaires pour la plupart des suspects de terrorisme. Néanmoins, le président américain, qui ne voulait pas de ce texte, a utilisé l’arme des « signing statements » (déclarations signées) qui lui permet de contourner la loi en cas de désaccord.

François Durpaire, historien spécialiste des Etats-Unis, joint par Europe1.fr, y voit "malheureusement un signe de la vitalité démocratique de l’Amérique. Si les Etats-Unis ne se sortent pas du problème Guantanamo, c’est le témoignage d’un excès de démocratie. Cela montre que les pouvoirs sont équilibrés et qu’il n’y a pas d’hyperprésident". Toujours selon lui, "l’opinion américaine reste partagée, voire contradictoire, entre une majorité de personnes préoccupées par les droits de l’homme, la torture et une autre qui a toujours en tête des préoccupations sécuritaires". Une idée également entretenue par le Pentagone qui affirme que près d’un quart des détenus ont récidivé à leur sortie de prison.

800.000 dollars par détenu

Au sein de la classe politique, Républicains comme Démocrates ont souligné le manque de leadership du président américain dans ce dossier. Le Washington Post évoque "des erreurs de calculs, de la confusion et beaucoup de timidité" de la part du prix Nobel de la paix.

L'élection présidentielle de décembre 2012 seront donc cruciales pour l’avenir de la prison. Même si Barack Obama a réaffirmé mardi sa volonté de fermer la prison malgré "les obstacles", Guantanamo restera comme l’un des points noirs de son mandat.  Du côté des Républicains, Mitt Romney, candidat à l’investiture républicaine, avait déclaré en 2007 ne pas considérer la simulation de la noyade comme de la torture. Et surtout, il disait vouloir doubler les capacités de détention de la prison de Guantanamo.

Reste qu’après dix ans d’existence, le coût annuel par détenu d’environ 800.000 dollars par an fait de Guantanamo, la prison la plus chère des Etats-Unis.