Les nounous, cible des préjugés

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avec Raphaële Schapira , modifié à
Une sociologue décrit les nounous comme les nouvelles prolétaires de notre société.

On se croirait dans Autant en emporte le vent ou plus récemment dans La couleur des sentiments. Mais ce n'est pas de la fiction. Une sociologue, Caroline Ibos, s'est penchée sur les rapports entre les nounous et leurs employeurs à Paris et dans toutes les grandes villes du monde. Dans ce but, la sociologue a interrogé une dizaine de familles ainsi que leurs employées, toutes d’origine ivoirienne. Son ouvrage, intitulé Qui gardera nos enfants ?  (ed. Flammarion), livre une enquête sans concessions, commencée il y a huit ans, qui laisse apparaître beaucoup de préjugés - y compris racistes -chez les employeurs.

Premier constat : c’est d’abord le manque de reconnaissance dont souffrent les nounous. Sylvie Fofana, qui s'occupe d'enfants depuis  plus de quinze ans, raconte ainsi à Europe 1 : "une employeuse me disait : ‘mais vous savez, vous avez de la chance. Vous ne travaillez pas vraiment. Vous ne gardez que des enfants’. Ca, ça me révolte".

"Nous avons un minimum de salaire conventionné, ajoute-t-elle. Mais comme les employeurs ne considèrent pas notre métier comme un métier à part entière, du coup ils ne veulent pas nous donner le minimum. Et dès que l’on commence à réclamer, vous vous retrouvez sur le carreau. On vous licencie".

Les employeuses "savent qu'elles en demandent trop"

Sans compter le ménage et le repassage que l’on leur demande en plus. Les employeuses, en général des femmes actives et très diplômées, "savent qu'elles en demandent trop, résume Caroline Ibos dans Le Monde. Mais la nounou leur permet de réaliser leur rêve de réussite familiale et sociale".

Un privilège qui reste réservé à une frange de la société : seuls 2% des enfants sont gardés en France par une nounou à domicile, exclusivement à Paris, rappelle-t-elle. "C'est un sujet très parisien", reconnaît la sociologue. "Mais le constat est le même dans toutes les grandes métropoles riches mondiales", précise-t--elle dans un entretien à l'AFP.

"Le terme ‘nounou’, abréviation enfantine qualifiant une profession, est un exemple unique dans la taxinomie des professions", remarque par ailleurs la sociologue. "Il souligne immédiatement la faible reconnaissance que la société porte aux tâches domestiques, ainsi que le pouvoir des enfants sur celles qu’ils désignent".

Théorie des races

Peut-on parler d’une nouvelle forme d’exploitation raciale ? "En France, de nombreuses nounous sont sans papiers, ce qui contribue à fragiliser leur position", analyse Caroline Ibos dans une interview accordée à Libération. "Certaines sociologues américaines font une lecture radicale de ce phénomène : le Nord, après avoir pillé les ressources naturelles et physiques du Sud, pille désormais la force de travail des femmes".

Selon Caroline Ibos, les employeurs vont même jusqu’à élaborer une "théorie des races". Selon leur vision caricaturale, "les Africaines sont maternelles mais elles sont nulles en ménage, raconte-t-elle sur Europe 1. Les Philippines, elles, sont très bonnes en ménage, très propres, mais froides. Les Maghrébines sont intelligentes et fiables, mais elles sont dures avec les enfants". Des préjugés qui ont la vie dure…