Les 35 heures déjà mortes ?

De nombreux salariés travaillent déjà plus que la durée légale fixée par la loi Aubry.
De nombreux salariés travaillent déjà plus que la durée légale fixée par la loi Aubry. © MAXPPP
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DECRYPTAGE - De nombreux salariés travaillent déjà plus que la durée légale fixée par la loi Aubry.

Les 35 heures, un nombre devenu purement symbolique ? Alors que l'UMP a proposé mardi dans son programme pour 2012 de "sortir des 35 heures", la ministre de l'Apprentissage, Nadine Morano, a assuré le lendemain que c'était déjà le cas "de facto". Selon les observateurs, une grande partie des salariés travaillent en effet désormais plus longtemps que le temps de travail hebdomadaire fixé par la loi Aubry de 1998.

La loi Aubry vidée de sa substance

Depuis le début des années 2000, plusieurs assouplissements ont commencé à vider la loi de sa substance. A partir de 2002, et l'arrivée de la droite au pouvoir, des décrets et des lois ont multiplié les dérogations et l'accroissement des heures supplémentaires, notamment grâce à la loi Tepa qui prévoit leur défiscalisation et un abaissement des cotisations patronales. Le système de forfait-jours a aussi permis aux entreprises de contourner les 35 heures en calculant la durée du travail sur un an.

Pour la Dares (la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques), le temps de travail est désormais de 37 heures par semaine. Selon les chiffres de l'Insee, la durée de travail hebdomadaire atteint même 39,4 heures. Geneviève Roy, la vice-présidente de la CGPME en charge des affaires sociales, et Jean-Philippe Melchior, sociologue du travail, estiment de concert que les 35 heures sont en fait simplement devenues "le seuil de déclenchement des heures supplémentaires".

Selon le sociologue, les services tertiaires, comme le secteur public, les hôpitaux, les assurances ou encore les banques, sont la branche qui "respecte le plus la règle des 35 heures". Pourtant, cette situation ne va pas sans poser de problèmes : les personnels hospitaliers ont  ainsi accumulé plus de 2 millions de jours de RTT qu'ils devront prendre avant 2012. Une situation intenable pour les hôpitaux.

Les 35 heures, variable d'ajustement

L'industrie, au contraire, se sert des 35 heures comme variable d'ajustement, indique Jean-Philippe Melchior. "Les entreprises font face aux modifications d'activité grâce aux heures supplémentaires, au lieu d'embaucher. Et lorsque l'activité ralentit, la durée du travail peut être inférieure à 35 heures", explique-t-il. Les "techniques de modulation du temps de travail, comme l'annualisation, ont permis d'adapter les heures de travail à l'activité économique", ajoute-t-il.

"A l'heure actuelle, environ 20% des salariés font des heures supplémentaires régulièrement. Ils tirent la moyenne du temps de travail vers le haut", assure le sociologue. Un chiffre que Geneviève Roy considère comme sous-estimé. A la CGPME, on estime que la majorité des salariés français ne travaille déjà plus aux 35 heures.

Dans certaines branches, la loi Aubry n'est plus qu'un lointain souvenir puisqu'elles ont déjà renégocié un temps de travail supérieur, explique Geneviève Roy. Ainsi dans les hôtels, cafés et restaurants - qui emploient 800.000 personnes en France - la durée effective du travail est désormais de 39 heures. Les salariés perçoivent donc automatiquement 4 heures majorées.

Jean-Philippe Melchior rappelle même que certaines petites entreprises ne sont jamais passées aux 35 heures. "La seconde loi Aubry prévoyait l'instauration des 35 heures dans les entreprises de moins de 20 salariés pas avant 2002. Mais le temps que les négociations se fassent, la droite est arrivée au pouvoir et Jean-Pierre Raffarin a enrayé le processus. Il a fait passer une loi qui prévoit que ces petites entreprises étaient finalement dispensées des 35 heures", explique-t-il.

La fin des 35 heures, pas le bon débat

Pour Jean-Philippe Melchior et Geneviève Roy, le débat lancé par l'UMP n'a finalement pas lieu d'être. "Aujourd'hui, il y a d'autres chats à fouetter", lance le sociologue. "Même du côté du patronnat, personne n'a envie de ressortir le débat parce qu'il faudra de longues négociations", explique-t-il. Une position partagée par la vice-présidente de la CGPME qui estime que "le vrai problème n'est pas la durée du travail mais son coût. Ce qui est sous-jacent, c'est la suppression des allègements fiscaux", prévient-elle.