Suspension du labo antidopage de Châtenay-Malabry : "Circonstances exceptionnelles" ou "amateurisme" ?

Un laborantin de Châtenay-Malabry, dans les Hauts-de-Seine.
Un laborantin de Châtenay-Malabry, dans les Hauts-de-Seine. © FRANCK FIFE / AFP
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T.LM.
Dans une enquête publiée jeudi, L’Équipe dévoile les dessous de la contamination d’un échantillon d’urine qui a causé la mise à pied du réputé laboratoire français fin septembre.

Figurez-vous une analyse antidopage des plus classiques, avec son tube à essai, son aiguille et le scientifique en blouse blanche pour les manipuler. Ces analyses, le laboratoire de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) n’en pratique plus depuis que l’Agence mondiale antidopage a décidé de mettre à pied la structure, le 27 septembre dernier. La raison ? Cette année, un échantillon d’urine surdosé en stéroïdes anabolisants a contaminé un autre échantillon, biaisant ainsi l’analyse. L’Équipe raconte dans une longue enquête parue jeudi comment une telle faute, que certains mettent sur le compte de "l'amateurisme", a pu être commise dans l’ancien fleuron de la lutte antidopage française.

Un échantillon extrêmement "chargé". Pour comprendre l’origine de cette contamination, il faut remonter à un contrôle de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) mené au printemps, sur un body-builder, lors d'une compétition de culturisme. L'échantillon suspecté est alors transmis au laboratoire de Châtenay-Malabry, qui constate dans l'urine analysée un fort taux de concentration en stéroïdes : 2.600 nanogrammes par millilitre, "soit 200 fois supérieur à la moyenne", relève le quotidien sportif. 

Un lavage insuffisant de l'aiguille ? Sauf que l’erreur arrive ensuite, comme l’explique anonymement une scientifique au journal : "Le tube d’urine passe par un robot d’extraction, ou robot 'pipeteur', qui sert à extraire les molécules recherchées. C’est un bras automatique qui va prélever à l’aide d’une aiguille l’urine pour la déposer sur une cartouche, laquelle va servir de filtre pour l’analyse. Une fois l’aiguille remontée, elle subit un lavage à l’aide d’un solvant avant de replonger dans un autre échantillon. L’intensité du lavage est programmée selon la concentration moyenne de 0,1 à 10 nanogrammes par millilitre." On est très loin des 2.600 nanogrammes par millilitre, ce qui explique que des traces de stéroïdes aient pu être retrouvées dans les résultats d’un échantillon qui ne contenait que des corticoïdes, comme a permis de le vérifier une deuxième "version" du deuxième échantillon, contrôlée le 25 août et vierge de stéroïdes.

"Amateurisme". Face à ça, le laboratoire avance des "circonstances exceptionnelles" et un taux anormalement élevé de stéroïdes qui aurait causé la contamination. Les experts interrogés par L’Équipe n’ont pas le même point de vue : "De ce que j’ai lu du communiqué de l’AFLD et des articles de presse, c’est de l’amateurisme. On sait très bien ce que l’on peut attendre des urines de body-builders", affirme ainsi Pascal Kintz, toxicologue et ancien directeur du laboratoire en 2015.

C’est en raison de très nombreux contrôles dans les milieux culturistes que de tels échantillons ont pu être prélevés. De novembre 2016 jusqu’à mai dernier, préleveurs et policiers ont opéré huit coups de filets dans des réunions de body-building de toute la France. Selon le journal, l’échantillon en question aurait été prélevé lors de la finale France 2017 de body-building, à Biarritz, le 22 avril.

Des raids impressionnants, mais de bien faibles résultats au regard des moyens déployés : un peu plus de 80 prélèvements et seulement quelques cas positifs ont jusqu’à présents été recensés. "Quand on arrive le jour des compétitions, on trouve la plupart du temps de simples diurétiques qui permettent aux culturistes de s’assécher dans leur préparation finale. Les produits lourds ont été consommés plus tôt dans leur cure", explique un intervenants de ces opérations.

"Même pas besoin de cibler". On découvre également que tout le milieu des culturistes est touché par un dopage assumé, sans qu’il n’y ait forcément de gros trafic. "Ils rêvent de faire tomber des barons, comme dans les circuits de la drogue. Mais ça n’existe pas dans notre milieu. Chacun se fait sa petite cuisine dans son coin", témoigne un body-builder. Un dopage assumé, qui était presque trop facile à cerner pour le laboratoire déchu de Châtenay-Malabry. Pour le directeur des contrôles à l’AFLD, Damien Ressiot, "dans ce milieu, il n’y a même pas besoin de cibler. Une compétition de culturisme, c’est une Bourse d’échanges aux produits et aux protocoles !"

Quatorze personnes jugées pour fabrication et vente de produits dopants à partir de jeudi

Si les body-builders peuvent se faire leur "petite cuisine" dans leur coin, comme l’avoue l'un d'entre eux dans l’enquête de L’Équipe, les trafics existent malgré tout. Le procès de 14 personnes liées au monde du culturisme s’ouvre jeudi à Paris : elles sont accusées d’avoir fabriqué et vendu des milliers de produits dopants à des abonnés d’une dizaine de salles de sport parisiennes, avec la complicité d’une pharmacie et d’infirmières, de 2014 à fin 2016, pour des centaines de milliers d’euros de bénéfice.