Réservistes : ces départs qui ont tourné au psychodrame

Ben Arfa, épisode 1 : "Aller simple en hélico" (2008).
Ben Arfa, épisode 1 : "Aller simple en hélico" (2008). © FRANCK FIFE / AFP
  • Copié
, modifié à
Les huit réservistes de l’équipe de France ont fait leurs adieux au groupe dimanche matin. Retour sur ces départs parfois (très) chaotiques.

Au moment de dévoiler sa liste pour l’Euro 2016, Didier Deschamps a joué cartes sur table. Nulle place laissée au doute pour les huit réservistes, devenus sept, prévenus bien à l’avance qu’ils ne joueront pas l’Euro à moins d’une blessure. A un jour du départ, Samuel Umtiti a ainsi intégré les 23 suite au forfait de Jérémy Mathieu. Les autres s’en ont allés dimanche, sans doute déçus, mais beaucoup moins qu'on pu l'être ceux de 1998 ou de 2008.

  • 1998 : la nuit des "bannis"

Le plus emblématique de ces départs est assurément celui de 1998. Face aux journalistes, Aimé Jacquet, déjà très critiqué, présente d’abord une liste de 28 joueurs. A noter, le petit tacle de France 3, qui ne manque pas de rappeler dans son reportage "la réputation d'éternel indécis" de Jacquet. L’Equipe va même plus loin le lendemain en titrant "Et on joue à treize ?".

Dans un scénario qui n’a rien à envier à Koh-Lanta, le sélectionneur convoque six joueurs dans sa chambre, à la tombée de la nuit. Les malheureux élus sont Nicolas Anelka, Sabri Lamouchi, Martin Djetou, Pierre Laigle, Lionel Letizi et Ibrahim Ba. La demande de Jacquet de passer une dernière nuit à Clairefontaine et de prendre le petit-déjeuner avec le groupe se heurte à un refus catégorique. Pour échapper à l’humiliation publique, tous décident de partir dans la nuit en taxi. Des instants terribles racontés par les intéressés dans le reportage de Canal + "Les bannis de l'équipe de France".

600_SAPA980523500170

© GABRIEL BOUYS / AFP

"La carrière de footballeur est faite de bons et de mauvais moments, celui-là a été le plus mauvais de toute ma carrière mais il faut savoir l’accepter", confiait Pierre Laigle au site Foot Mercato en 2010. "C’est très difficile de se relever de ça", expliquait quant à lui Nicolas Anelka dans une vidéo du Parisien en 2008.

  • 2000 et 2002 : Le sans faute de Roger "Ikea" Lemerre

Le successeur d’Aimé Jacquet à la tête des Bleus opte pour une toute autre méthode. 12 joueurs sont d’abord convoqués pour un stage à Tignes, puis 18 joueurs pour l’Euro. Parmi les 12 de départ, seul le défenseur Philippe Christanval est évincé. Sans aucune polémique.

En 2002, Lemerre reste fidèle à son principe de liste en kit. Huit joueurs du championnat de France sont appelés dans un premier temps. Les autres arrivent au compte-gouttes, jusqu’à ce qu'ils soient 23. Le compte est bon. La suite, moins. Les Bleus se font sortir dès le premier tour de la Coupe du monde au Japon et en Corée du Sud. L’inverse de 1998, en somme.

  • 2004 : Micoud claque la porte  

A l’aube de l’Euro 2004 au Portugal, Jacques Santini dégaine deux listes : l’une de 23 joueurs retenus, l’autre de 18 réservistes - dont certains choix un peu… curieux, cf. Ronan Le Crom - chargés de se tenir prêt en cas de pépin physique. Mis à part un remplacement de dernière minute - Govou remplace Giuly, blessé - tout se passe plutôt bien. Dès huit heures du matin, Santini reçoit un à un chacun des non-retenus pour leur annoncer la mauvaise nouvelle. "Le choix était bien sûr difficile et la mission délicate, et je n’ai pas pris le prétexte qu’untel n’avait pas de pied gauche ou droit pour me justifier, je n’ai pas été cherché midi à quatorze heures", déclarait Santini à l’époque. Seul Johan Micoud, fâché, décide de prendre la porte. "Leur déception est réelle, bien entendu, et je me mets à leur place. C’est bien pour cela que je tenais à les voir", confiait encore le sélectionneur, qui affiche encore à ce jour le meilleur bilan de l’histoire à la tête des Bleus (22 victoires, 4 nuls et 2 défaites).

000_PAR2004032944261

© FRANCK FIFE / AFP

  • 2006 : la clé, c’est le secret

Pour la Coupe du monde 2006, Raymond Domenech opte pour une liste de 23 joueurs, présentée sans aucune explication dans "Téléfoot". Sa stratégie ? Attirer toute l’attention sur lui plutôt que sur ses joueurs. C’est pourquoi Domenech livre à la FIFA une deuxième liste de cinq remplaçants, qu’il décide de ne pas rendre publique. Et cela fonctionne plutôt bien : aucune polémique ne fait rage. Après la double fracture tibia-péroné de Djibril Cissé en amical contre la Chine, Sydney Govou, encore lui, composte son ticket direction Berlin.

  • 2008 : "Toc, toc, toc, c’est Raymond", ou le coup de l’hélicoptère

Deux ans plus tard, pourtant, coach Raymond change son fusil d’épaule. 30 joueurs sont conviés au stage de pré-compétition à Tignes, à un mois de l’Euro en Suisse et en Autriche. Parmi eux, sept ne feront pas partie de l’aventure. A l’hôtel, l’ambiance est on ne peut plus tendue. Chaque joueur est prié d’attendre sagement dans sa chambre le passage du sélectionneur et du staff. Les joueurs sont paralysés par l'enjeu. Sauf peut-être Samir Nasri, qui joue au petit comique en allant frapper à la porte de ses coéquipiers, sous pression. Un jeu auquel a très peu goûté Djibril Cissé. "Samir faisait le con et s’amusait à frapper aux portes des mecs", rapportait l’attaquant au journal L’Equipe. "Donc quand ça frappe, je me dis que c’est peut-être Samir. Mais non ! J’ouvre, et là, il y a Raymond, Manko (Pierre Mankowski, sélectionneur adjoint, ndlr) et un autre membre du staff." Tout comme Mickaël Landreau, Julien Escudé, Philippe Mexès, Mathieu Flamini, Alou Diarra et Hatem Ben Arfa, le Djib’ est invité à quitter les lieux précipitamment. Le départ se fait en hélicoptère. "J'ai vécu le plus sale moment de ma carrière de sélectionneur", concède Domenech.

000_Par1976947

© FRANCK FIFE / AFP

  • 2010 : Domenech passe au texto

Malgré la déroute de 2008 – et sa cultissime demande en mariage - Raymond Domenech est toujours en poste à l’aube de la Coupe du monde en Afrique du Sud. Le sélectionneur des Bleus retarde le plus possible l'échéance pour livrer sa liste définitive : d'abord 30, puis 24, avant d’arriver finalement à 23 joueurs. Manque de pot, Ben Arfa et Landreau sont à nouveau privés de compétition, tout comme Adil Rami, Rod Fanni, Yann Mvila et Jimmy Briand. "C'est un moment très douloureux de partir du groupe. Je l'ai vécu en 2008 et 2010. On est projeté dans une aventure et d'un coup on met un frein", se rappelle Ben Arfa, qui révèle même avoir été prévenu de sa non-convocation… par SMS. Un mal pour un bien, quand on connaît la suite.

  • 2012 : Gourcuff, l'insociable

Laurent Blanc reprend les commandes d’un navire bleu à la dérive. Le futur entraîneur du PSG présente d’abord une liste de 12 joueurs évoluant à l’étranger puis 15 autres joueurs de Ligue 1 une semaine après. De 27, le groupe passe ensuite à 23. Outre les blessés Younès Kaboul et Loïc Rémy, le sélectionneur se passe des services de Mapou Yanga-Mbiwa et de Yoann Gourcuff, jugé – déjà à l’époque - trop fragile et coupable de ne pas s’être assez intégré lors du stage au Touquet. Les deux joueurs font leurs valises et repartent en taxi comme ils sont venus : sans faire le moindre bruit.


Euro 2012 : Gourcuff et Yanga-Mbiwa ont quitté...par leparisien
  • 2014 : Deschamps, l'As des listes (et des adieux)

La méthode de Deschamps pour l’Euro 2016 n’a rien de nouveau. C’est exactement la même qu’en 2014 : 23 joueurs appelés, et une liste de sept réservistes déterminés à l’avance. Tous savent à quoi s’attendre. Moins bien pour le suspense, mais meilleur pour l’ambiance du groupe. Ribéry, Grenier et Mandanda, blessés, disent adieu à Rio, au profit des inexpérimentés – une sélection à eux trois - Ruffier, Schneiderlin et Cabella. Ce vent de fraîcheur ne laisse place à aucun palabre. Mieux, avec Pogba et Griezmann, les Bleus reconquièrent l’opinion au terme de leur campagne en Coupe du monde. La bonne nouvelle, c’est qu’ils sont encore là. Avec, en prime, le soutien des réservistes.