Marc Keller 28:03
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Colin Abgrall , modifié à
Actuel président du Racing Club de Strasbourg Alsace, en poste depuis 2012, Marc Keller est l'invité exceptionnel d'Europe 1 Sport. Le dirigeant et ancien footballeur professionnel a répondu ce samedi aux questions du journaliste et éditorialiste Jacques Vendroux et de Cédric Chasseur. Un entretien de 25 minutes à retrouver en intégralité dans Europe 1 Sport, présenté par Lionel Rosso.
EXCLUSIF

Alors que le Racing Club de Strasbourg réussit une superbe saison de Ligue 1 et est aux portes d'une qualification en Coupe d'Europe, le dirigeant alsacien de 54 ans a accordé une interview exclusive à Europe 1. Marc Keller revient sur la grande réussite de cette saison 2021-2022, sur son histoire avec le club, sur ce qu'il a construit, sa recette pour diriger d'une main de maître un club de l'élite, mais également les difficultés qu'il a rencontrées et qu'il rencontre toujours. Un entretien passionnant avec l'un des grands acteurs du football français.

Sur son histoire avec Strasbourg : "L'histoire, pour l'instant, est belle"

"C'est une longue histoire, difficile à résumer en quelques secondes. J'ai pris la présidence du club en juin 2012, en rachetant le club en CFA (quatrième division) parce que le club avait déposé le bilan en 2011. Le club avait été repris par un Alsacien qui devait assumer la perte opérationnelle prévue, ce qu'il n'a pas souhaité faire. Et le maire de Strasbourg ainsi que les collectivités m'ont appelé pour essayer de faire un tour de table assez rapide pour passer à la Direction nationale du contrôle de gestion, qui devait permettre au club de passer de CFA2 (cinquième division) en CFA.

C'est ce que j'ai fait dans une nuit de juin 2012, j'ai réuni autour de moi quelques amis proches, chefs d'entreprise locaux et on a racheté le club. Et maintenant, ça fait dix ans que je suis président du club et on est passé de CFA2, CFA, National, Ligue 2 et Ligue 1. L'histoire, pour l'instant, est belle."

Y a-t-il un avenir pour les clubs populaires ? "Le budget fera la différence"

"Je crois. Je pense qu'aujourd'hui, quand vous regardez le championnat de Ligue 1, il y a six ou sept clubs avec des budgets massifs qui se dégagent. Et à côté de ça, il y a après sept ou huit clubs qui se battent pour être entre la huitième et la quinzième place, dont Strasbourg fait partie. On se bat avec nos moyens. On a un budget très sérieux, un budget sain.

On essaie d'optimiser, on essaie d'être très unis au sein du club. On doit optimiser notre travail et quand on travaille bien, quand on optimise, quand on a un peu de chance, on arrive finalement à avoir de bons résultats. Maintenant, pour se maintenir dans le top six ou top sept fFrançais, je reste persuadé qu'à un moment donné, c'est quand même le budget qui va faire la différence. Sur une année, on peut titiller les gros, mais dans la durée, c'est évidemment le budget qui fera la différence."

Sur le nom de Racing Club de Strasbourg Alsace : "C'est capital"

"Quand on a repris le club, il s'appelait Racing Club de Strasbourg. Je suis allé voir Philippe Richert qui est le président de la région à l'époque. Et je lui ai dit : 'Il faut absolument que tu nous aides parce qu'on va repartir de tout en bas. On n'aura pas les moyens considérables, mais on va essayer de bien travailler et on a besoin d'unir les collectivités, ce qui n'a pas toujours été le cas à Strasbourg autour du club.' Il m'a dit : 'Marc, tu as le soutien de la mairie, de la métropole, je serai à tes côtés.' On a rajouté 'Alsace' à la dénomination. Ça s'est fait en cinq minutes, d'homme à homme, et ça a été le début d'une grande avancée. C'est capital.

La deuxième anecdote que je voulais raconter concernant l'importance de l'Alsace et de la région, c'est lors de la finale de la Coupe de la Ligue qu'on a gagné contre Guingamp (0-0, victoire de Strasbourg aux tirs aux buts). On avait loué un TGV avec 1.000 personnes et on est rentré dans la nuit. Et en rentrant, j'étais à table avec le maire de Strasbourg, le président de l'Eurométropole et le nouveau président de la région, Jean Rottner. On discutait du financement de la rénovation du stade. Il manquait 25 millions. Ce jour-là, on s'est tapé dans la main, la Région a rajouté encore un petit effort pour que l'opération puisse se faire.

C'est aussi ce soutien des collectivités qu'on a eu d'une manière unanime, de gauche ou de droite, autour du club, qui a fait qu'avec le travail interne qu'on a fait, on a réussi à avoir ces résultats-là."

Est-il confiant pour la fin de saison ? "Je suis heureux de la saison qu'on fait"

"Je ne suis ni confiant, ni pas confiant, je suis heureux de la saison qu'on fait. Je trouve qu'on fait une saison formidable. Je trouve que les deux derniers matchs sont hyper excitants (face à Clermont et Marseille). C'est top. Le stade sera plein à chaque fois. Les gens sont super enthousiastes. Et si on bat Clermont, on aura une finale à jouer à Marseille. Moi, je trouve que c'est du positif. C'est incroyable pour un club comme le nôtre, d'être encore à la lutte à la fin et quel que soit le classement final, européen ou pas, ça sera une très belle saison. Si on est européen, c'est mieux. Et si on termine sixième ou septième, ça sera une super saison pour nous aussi."

Sur les supporters du Racing : "Une communauté de supporters incroyables"

"Je pense qu'il y a quand même un tournant. C'est 2011, quand il y a le dépôt de bilan. À ce moment-là, le club repart en cinquième division et ça a été un électrochoc pour tout le public alsacien. Cette remontée qu'on a réussi à faire a créé un ciment indéfectible qui fait qu'aujourd'hui, depuis des années, le stade est plein et on a une ambiance que je n'ai même pas connue quand j'étais joueur il y a une vingtaine d'années. Le public est enthousiaste, le public est présent, il y a des filles, il y a des garçons, il y a des jeunes, il y a des vieux, il y a des anciens, il y a des très jeunes.

On a vraiment une communauté de supporters incroyable, tous unis autour du club et je trouve que ce qu'on a rajouté à ce nombre de spectateurs, c'est l'ambiance. On ouvre les grilles 2h30 avant, on les ferme 2h30 après. On a créé autour du match un environnement Racing fantastique où les gens viennent passer cinq, six heures à La Meinau."

Les forces et les faiblesses de la saison de Strasbourg : "Une équipe qui arrive à maturité"

"Pour réussir une bonne saison, il faut déjà un bon entraîneur et un bon staff, et des bons joueurs. On a travaillé avec Thierry Laurey pendant cinq ans. Thierry était arrivé quand on est monté de nationale en Ligue 2. Après un an, on est passé directement en Ligue 1 et il a fait quatre ans chez nous. On a travaillé main dans la main pendant cinq ans. Je trouve qu'il a fait un travail remarquable. La dernière saison a été un peu plus difficile. C'est un peu lié aussi au Covid. Mais on a pensé et j'ai pensé qu'au bout de cinq ans, c'était le moment d'insuffler à nouveau un nouveau cycle.

On avait rencontré deux ou trois entraîneurs avec deux ou trois proches avec moi et franchement, le choix s'est orienté naturellement vers Julien Stéphan. On voulait un entraîneur qui démarre un nouveau cycle et il nous amène cette nouveauté. C'est un jeune entraîneur de très grande qualité à qui on a montré l'ADN du club. Il a réussi aussi à fédérer le vestiaire autour de ce projet. À côté de ça, on arrive aussi à une certaine maturité de l'effectif.

On a Matz Sels, le gardien, qui est là depuis quatre ans, Ludovic Ajorque depuis quatre ans, Ibrahima Sissoko depuis trois ans. On a, tout doucement, une équipe qui a été travaillée, qui arrive à maturité. Et le public est de retour. Ces éléments font qu'on fait une saison que je pense être de qualité. Je pensais qu'on pouvait viser entre la huitième et la douzième place. En réalité, on fait un peu mieux et j'espère qu'on fera beaucoup mieux."

Les objectifs sont-ils remplis ? "La saison sera réussie"

"Qu'on soit cinquième, sixième ou septième, la saison sera réussie. Les gens sont heureux. J'avais dit à Julien Stéphan en début de saison : 'À Strasbourg, ce n'est pas tellement le classement qui m'intéresse. Moi, ce que je souhaite, c’est que le stade soit plein, je veux une équipe dynamique, une équipe qui fasse plaisir à son public, une équipe avec de l'humilité, mais beaucoup de fierté. Qui ne lâche jamais.' Cet objectif est déjà atteint. Donc il n'y a pas de souci sur l'analyse de la saison. Mais c'est vrai que si on arrivait à gagner contre Clermont et faire une belle finale à Marseille, tout serait possible."

Souhaite-t-il vendre le club ? "Le club n'est pas en vente"

"J'ai toujours dit qu'un jour, et je le pense encore, mais nous, on fait un travail très sérieux avec un budget de 50 millions. Mais si le Racing veut pouvoir jouer chaque année entre la troisième et la huitième place, il faut des moyens supplémentaires. Il faudra être accompagné. C'est tout ce que je dis depuis des années. Rien n'a changé. Le club n'est pas en vente. Si un jour on doit être accompagné pour être plus ambitieux, on le fera peut être. Pour l'instant, ce n'est pas encore le sujet, mais j'ai toujours considéré que le Racing doit progresser. Il doit continuer à avancer.

Je pense que la place du club devrait être d'essayer de lutter chaque année pour l'Europa League. Il y a eu depuis trois ou quatre ans des petites approches comme ça, mais rien de concret, rien de sérieux non plus. Il y a aussi des gens qui aiment le foot, qui se renseignent un petit peu. Mais on n'est absolument pas allé plus loin. On s'est concentré chaque année sur la situation sportive et aussi depuis trois ans, la crise Mediapro, la crise du Covid qui nous a obligé à être concentré au maximum sur le club pour traverser cette tempête. On a traversé cette tempête, on est toujours présent."

Est-ce que Strasbourg s'est relevé du Covid ? "L'après Covid, on y arrive"

"Vincent Labrune, qui fait d'ailleurs du très bon travail, parle pour tout le football professionnel. Moi je parle maintenant pour Strasbourg. On a vécu vraiment une ascension pendant des années et le Covid et Mediapro ont été deux éléments catastrophiques. Nous, on fait des bénéfices depuis dix ans, on n'a pas pris un euro de dividendes, on a tout mis en fonds propres parce qu'on pensait qu'on en aurait besoin pour la rénovation du stade ou pour éventuellement une relégation en Ligue 2. On a utilisé une grande partie de nos fonds propres pour compenser Mediapro et la crise Covid.

Il faut dire aussi que l'Etat, qui est souvent critiqué, a beaucoup aidé les clubs dans les aides à la billetterie et de coûts fixes. Donc l'Etat a été très présent et nous, on a essayé bien sûr aussi de travailler. On essaie d'être assez agiles dans notre club pour essayer de réagir à toutes les crises, et on a traversé cette crise. Donc je rejoins Vincent pour dire que l'après Covid, on y arrive. Même si les conséquences de Mediapro durent quatre ans. Il reste encore deux saisons à venir."

Comment sera géré l'intersaison et le mercato estival : "Je défends à 100% les intérêts de mon club"

"Quand on a des résultats avec des salariés de bonne qualité, c'est logique qu'ils soient sollicités, que ce soient entraîneurs, staff, joueurs, voire salariés administratifs. C'est totalement logique. Concernant les joueurs, j'ai toujours eu la même position. Nous, on ne fait pas du trading au sens où on vend des joueurs uniquement pour faire rentrer de l'argent. Nous, ce qu'on veut, c'est une bonne équipe. Quand on a une bonne équipe, le stade est plein. Quand le stade est plein, l'économie fonctionne et tout le monde est content. Ça ne veut pas dire que de temps en temps, on ne vend pas, mais on vend que si la proposition est très importante, si le joueur veut partir et est satisfait. Si c'est le cas, on se met à table, on discute et c'est clair que là, je défends à 100 % les intérêts de mon club. C'est normal."

Sur les propos de Noël Le Graët, qui le veut comme successeur en tant que président de la Fédération Française de Football : "Je vis ça très calmement"

"Alors moi, je vis ça très calmement. Je pense que Noël Le Graët a parlé deux ou trois fois de sa succession. Moi, en tous les cas, je fais partie de son équipe pour le deuxième mandat consécutif. J'ai un certain nombre de responsabilités, notamment liées aux sélections de jeunes garçons. Je côtoie le monde fédéral depuis sept ans. Mais comme tous mes colistiers, membres du Comex (comité exécutif), on est vraiment à disposition de la Fédération pour essayer d'aider dans un certain nombre de dossiers. Mais ça se limite à ça aujourd'hui. Je suis très concentré sur Strasbourg et je vous rappelle que Noël Le Graët est élu jusqu'en 2024 et qu'on est à fond derrière lui et derrière la Fédération pour qu'elle ait les meilleurs résultats possibles d'ici 2024."