Sepp Blatter 3:05
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Colin Abgrall , modifié à
Président de la Fifa de 1998 à 2015, Sepp Blatter est une figure incontournable du football mondial. Il répond aux questions de Lionel Rosso et de Cyrille de la Morinerie, dans un entretien exceptionnel pour Europe 1 Sport, réalisé depuis Zurich, ville siège de la Fifa.
EXCLUSIF

Au cours de cet entretien exclusif, l’ancien dirigeant suisse évoque ses démêlés judiciaires, clame son innocence et réitère son soutien à Michel Platini dans l’affaire du Fifagate. Il s’exprime également sur son successeur, Gianni Infantino, ainsi que sur le projet d'une Coupe du monde tous les deux ans. Cette interview mêle de nombreux sujets et est le moment de révélations de la part de Sepp Blatter.

Sur sa santé : "Je peux respirer normalement"

"Je revis. Parce que l’année passée à la même époque j’étais dans une clinique pendant un certain temps. Moi qui croyais que j’étais très fort, j’ai dû payer le manque de vacances pendant ma période de président de la Fifa de 1998 à 2015, parce que travailler jour et nuit, voyager, voyager, voyager… Tout à coup, mon cœur et mon corps ont flanché. Heureusement ma tête est restée sereine bien que touchée par des hallucinations, mais je suis de nouveau de retour après trois mois d’absence dans différentes cliniques. Depuis le 1er avril de l’année passée, je peux respirer normalement, je suis remis, je vis et je vis bien, mon cerveau n’a pas été trop endommagé."

Le foot d’aujourd’hui : "On est devenu victime de la popularité du sport"

"D’abord je suis très content et heureux que le foot continue de jouer et que les organisations du football continuent d’organiser des matchs, dans les petits clubs… Ce jeu est important dans une période très difficile dans laquelle se trouve le monde aujourd’hui. Je dois dire que le foot est toujours là.

Ce qui m’a frappé l’année passée, ce sont les énormes sommes que l’on paye aujourd’hui. Par exemple, le transfert de Messi au PSG. L’argent qui est à disposition, les contrats qui sont faits aux nouveaux joueurs… On peut se demander si c’est encore normal. Mais on ne peut pas contrôler le principe fondamental économique de l’offre et de la demande, et là on est devenu victime de la popularité du sport."

Les violences des supporters : "Ça ne sert à rien de fermer les stades"

"C’est une question qui me touche. On a tout essayé. Avant on parlait de racisme. Mais il n’y a pas que du racisme, il y a de la violence qui est de nouveau entrée dans les stades. On a pris des décisions très fortes mais on ne les applique pas. La responsabilité appartient toujours à l’organisateur, à l’organisateur du match, à la ligue ou à la fédération qui organise le football… Mais s’il y a des dérives, on doit sévir. Ça ne sert à rien de fermer le stade pour un ou deux matches, ou de donner des amendes pécuniaires.

La seule solution, c’est d’enlever des points. Mais il faut enlever neuf points, pas deux points. Au moins six ou neuf points, ou éliminer directement lorsqu’il s’agit d’une coupe. Il faudrait que la pyramide du football ne soit pas seulement contrôlée par le bas (donc les clubs) mais aussi par le haut, par l’organe supérieur, la Fifa et le président de la Fifa : ce sont eux qui doivent prendre les devants pour contrôler le football, c’est d’une importance capitale."

Sur Gianni Infantino, président de la Fifa : "Il n’est pas un bon président"

"Il ne fait pas son travail correctement. Quand il est arrivé à la présidence de la Fifa par des méandres incompréhensibles, il a renvoyé 80 personnes dont 30 directeurs. Il veut quitter Zurich (Infantino s’est installé au Qatar). Mais pour le moment, c’est Zurich le siège de la Fifa. Si l’on pouvait parler ensemble, je pourrais le réveiller. Il dit qu'à Zurich, on ne le reçoit pas bien. Le siège est à Zurich depuis 1932, on est venu à Zurich après la crise économique sociale et politique dans les années 1930, on est venu en Suisse pour être tranquille, et on l'est. Alors pourquoi veut-on déplacer le siège maintenant ?

J’ai organisé quatre ou cinq Coupes du monde dans des pays différents, jamais je n’aurais eu l’idée d’habiter dans le pays ou la capitale du pays organisateur de la Coupe du monde. La place du président de la Fifa c’est là où se trouve le siège et c’est à Zurich. C’est de là qu’il doit diriger la Fifa, non pas ailleurs. Je ne peux pas dire que c’est scandaleux. Mais je peux dire que c’est incompréhensible qu’il aille s’installer là-bas avec sa famille. Ça donne un goût amer. Pourquoi se met-il dans les bras de l’organisateur de la Coupe du monde ? On sait que le Qatar est un grand pays du cercle arabe, et qu’ils veulent aussi reprendre le football en rachetant des clubs ou en étant dans l’organisation.

Il aurait dû réfléchir. C’est un abandon de responsabilité de président de la Fifa car il doit rester là où la Fifa a son siège, surtout au moment où nous avons des problèmes internes. La Fifa peut unir les peuples en ces temps de pandémie. Mais au lieu de cela, on a lancé des idées à droite et à gauche. Au lieu d’unir les gens, on les a séparés. C’est un manque de vision professionnelle mondiale, parce que le président de la Fifa doit avoir une vue mondiale. Ce n’est pas juste un petit coin à Zurich ou au Qatar, non, c’est le monde. L’actuel président, je ne reconnais pas sa vision. Il n'est pas un bon président de la Fifa, je dois le dire."

Sur l’attribution de la Coupe du monde au Qatar : "Je n’en revenais pas"

"Je ne peux que répéter ce que j’ai dit dans mes deux livres. Michel Platini me téléphone et je le confirme en âme et conscience. Je n’ai pas inventé ce coup de fil de Michel Platini. Je l’ai écrit, répété à la justice suisse et deux fois à la justice française. Je ne peux pas changer cela. Malheureusement je n’enregistre pas mes téléphones. Il me dit qu’il était invité à un repas à l’Elysée et qu’il a rencontré le président Nicolas Sarkozy et l’émir du Qatar. Ils lui ont gentiment demandé s’il pouvait soutenir le Qatar. Je lui ai dit : 'Comment ça, on t’a obligé ?' Il m’a dit : 'Non, on me l’a recommandé.' Il m’a demandé comment est-ce que moi j'aurais fait si mon président me demandait une chose pareille.

Mais nous, on n’a pas de président en Suisse donc la question ne se pose pas. J’étais étonné. Je me suis dit : 'Est-ce qu’il me lâche?' Je n’en revenais pas. Puis est venu le vote. Après le premier vote, on aurait dû annoncer le résultat tout de suite. Le résultat du deuxième aurait peut-être changé. Le résultat du premier vote était la Russie. Et si la Russie avait battu la candidature de l’Angleterre et surtout celle de l’Espagne et du Portugal (en candidature commune), je pense que ce groupe (Angleterre, Espagne, Portugal) n’aurait pas voté pour le Qatar. Mais on n’en saura rien."

Sur la Coupe du monde au Qatar : "32 équipes, c’est difficile dans un petit pays"

"J’ai regretté au moment de l’annoncer. Après, on s’est rendu compte que ça ne serait pas facile. On aurait mieux fait de lire le rapport d’une commission spéciale dirigée par un Chilien (rapport de l’Organisation internationale du travail, dirigé par Juan Somavia à l’époque) qui a dit 'on ne peut pas jouer au Qatar' pour des raisons climatiques et parce que le pays est trop petit. La Coupe du monde à 32 équipes, c’est difficile dans un petit pays. J’avais l’impression que c’était une mauvaise décision mais j’étais lié à cette décision. On a travaillé sur la préparation de cette Coupe du monde, tous les jours on a reçu des plaintes pointant du doigt le traitement des travailleurs. C’était difficile.

Mais revenir sur une décision du comité exécutif, surtout que la commission d’éthique de la Fifa a fait une étude… Michael Garcia (chargé d’enquêter sur les manquements éthique à la Fifa), a dit qu’il n’y avait pas de corruption pour cette Coupe du monde. On aurait pu retirer la Coupe du monde au Qatar. Mais je n’avais pas de raison spécifique d’enlever la Coupe du monde au Qatar. Après le rapport, on a confirmé l’attribution de la Coupe du monde."

Sur la Coupe du monde tous les deux ans : "C’est une imbécilité"

"C’est une imbécilité sans nom. Je dois faire mon mea culpa car, lorsque j’ai été élu président de la Fifa, lors d’une première séance, j’ai dit qu'on pourrait organiser un mondial tous les deux ans. Mais les gens autour de moi m’ont dit que j’avais faux. Mais aujourd’hui avec le calendrier surchargé, il y a encore autre chose. Ce sont toujours les meilleurs joueurs qui jouent mais ils sont déjà surchargés dans leur compétition continentale et nationale. Et la base de la Fifa c’est le club et non pas la sélection nationale. C’est une imbécilité. On ne peut pas, c’est mauvais pour le football."

Sur les Super-Ligues : "Ce serait la fin du football"

"Si ça arrive, je change mon testament ! (Rires) Ce serait la fin du football. Il faut éviter de sacrifier le football qui se joue dans les petites ligues dans les clubs. Quand je traverse mon canton du Valais, à chaque endroit il y a un terrain de football où l’on joue au football. Les ligues fermées, c’est le modèle américain. Et mon club préféré, le Real Madrid (il est membre d’honneur du club), est là-dedans. Je trouve que c’est tout faux. Car le foot, dans son côté éducatif, à promotion et relégation. C’est important, car tu ne perds pas l’espoir de gagner. Dans une ligue fermée tu ne perds rien même si tu perds tout… La base du jeu du football c’est : on apprend à gagner et à perdre ensemble dans l’espoir d’aller mieux. Alors une ligue fermée, non !" 

Sur le Fifagate : "Ce paiement à été fait dans les règles de l’art"

"Dans cette affaire, ni Michel ni moi n’avons quelque chose à nous reprocher. Nous avons fait un contrat oral au moment où je suis devenu président de la Fifa. J’ai dit : 'J’ai besoin de toi Michel.' Il m’a dit : 'Je vaux un million.' Je lui ai dit : 'Va pour un million, tu vas travailler pour moi.' En Suisse, un contrat oral est valable. Il a fait un calendrier international que l’on a introduit mais pas appliqué. Il était aussi membre de la commission pour les lois du jeu, il m’a accompagné à l’international board. Il s’est fait connaître. Michel m’a dit : 'Je suis toujours avec toi mais je ne peux plus travailler pour toi.' Alors on a arrêté. Pendant la période où il travaillait, on lui a fait un contrat de travail. Mais ensuite, on a oublié, moi j’ai oublié, lui aussi.

Mais à un moment donné, quand il a vu que des employés de la Fifa lui réclamait de l’argent, il a téléphoné au responsable des finances en 2010. Alors il lui a été demandé d'envoyer une lettre. Il a donc envoyé une lettre qui disait qu’il lui manquait deux millions sur les quatre ans qu’il a travaillé. C’est arrivé chez moi, j’ai vu cette facture et on l’a fait passer pour le paiement. Normalement, comme salaire. Le congrès a accepté ce paiement. On ne peut pas revenir là-dessus… Personne n’est intervenu. Ce paiement a été fait dans les règles de l’art. L'instruction a été faite d’une façon très dirigée et on n'a pas écouté les témoins que Michel Platini a mis à disposition. Personne n’a écouté. Je ne sais pas comment j’aurais pu continuer à me lever si ce que l’on me reprochait était juste."

Sur leur éviction : "Mettre Platini dehors, c’était de la méchanceté"

"Pourquoi ce paiement est-il arrivé tout à coup dans les mains du procureur suisse, qui a ensuite ouvert une enquête ? Parce que quand c’est arrivé il y avait déjà la lutte pour la présidence de la Fifa. Quand il dit que la Suisse l’a viré c’est vrai. Puis la Suisse m’a viré, encore pire que lui. La Suisse m’a clouée au pilori. Il a raison… Et moi je suis dans le même bateau. Il faudrait mettre les gens qui ont joué un rôle là-dedans dans une prison spéciale… Mais si on analyse cette situation, pourquoi me mettre dehors ? Ça ne sert à rien. Ce n’est pas moi qui voulais représenter la Fifa. Mais mettre Platini dehors, ça c'était de la méchanceté. Celui qui voulait mettre Platini dehors, c’est celui qui voulait prendre sa place. Gianni Infantino était dans la manœuvre.

Enfin on aurait eu un président footballeur ! Il aurait fait de la Fifa un ensemble autour du jeu, moins de politique. Je pense qu’il aurait été bien. Il aurait respecté son prédécesseur. On a très peu de relations, on s’est vu une fois au tribunal à l’entrée, on s’est salué mais on n’a pas d’atome crochu. Dans son livre, il a dit que ce n’était pas du tout vrai ce que j’avais dit sur ce dîner (à l’Elysée) et il a dit une ou deux choses méchantes sur moi. Mais je ne lui en veux pas."

Sur le Ballon d'Or : "On aurait pu donner à Messi un prix de consolation"

"Le Ballon d’Or France Football, ce n’est plus le Ballon d’Or de la Fifa. La Fifa a abandonné trop facilement le Ballon d’Or. On avait fait un contrat pour que le ballon soit présenté à Zurich, à la Fifa, aussi longtemps qu’on le veuille. Ils ont vu que cela avait une autre résonance internationale ensemble. Mais Infantino, à son arrivée, a voulu le faire à Londres. Alors, c’était foutu tout de suite… Le Ballon d’Or est parti. On aurait pu donner à Messi un prix de consolation. Benzema aurait mérité le Ballon d’Or."