EXCLUSIF - Laurent Nicollin : «Je veux des gens compétents à la VAR»

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Colin Abgrall , modifié à
Président du Montpellier Hérault Sport Club depuis 2017, Laurent Nicollin répond aux questions de Jacques Vendroux et du chef du service des sports d'Europe 1, Jean-François Pérès. Une grande prise de parole pour un président discret dans les médias. Un entretien diffusé en intégralité dans "Europe 1 Sport" avec Lionel Rosso.
EXCLUSIF

Pendant près d’une demi-heure, Laurent Nicollin, président du MHSC, s’exprime sur tous les sujets d’actualité du football, des violences dans les stades à l’arbitrage vidéo qu’il critique avec virulence, de la crise économique des clubs français à l’imbroglio des droits TV, ainsi que sur son rôle de président de "Foot Unis", le syndicat des clubs professionnels.

L’après Louis Nicollin : "Dans la difficulté, les choses se sont faites naturellement"

"J'avais mon frère aîné donc on va dire que je n'étais pas tout seul. Donc déjà, ça, ça facilite les choses. On s'appuie l'un sur l'autre. La chance qu'on avait c'est que moi, j'étais déjà présent depuis quelques années, j'étais quand même au quotidien à travailler avec mon père et dans la société aussi avec mon frère. On va dire que, dans la difficulté, les choses se sont faites assez naturellement. Et malgré la triste peine, on était déjà dans les pieds et les mains dans le cambouis avec mon frère, que ce soit au club ou la société. Donc ça nous a permis de franchir le palier.

Alors, certaines personnes ont dû se dire qu'à partir du moment où Louis Nicollin ne serait plus là, les deux fils vont se casser la gueule. Mais ça, c'est très français et c'est peut être logique. On n'est peut être pas aussi fort ni aussi brillant que notre père mais bon, on a eu quelques bonnes bases. Avant de critiquer, attendons de voir ce qu'on peut faire ou ne pas faire. Et si on est compétent, tant mieux. Et si on n'est pas compétent, on nous le dit et on se retire. Et puis on fait autre chose.

C'était la force de mon père. Il n'a jamais voulu lâcher. Et puis, pour lui, partir à la retraite, ce n’était pas possible. Jusqu'au bout, il voulait être là. Mais tout en restant, il a transmis. Des choses se sont faites naturellement. Il ne voulait pas, parce que c'est toujours sa phrase : 'C'est moi le patron'. Donc effectivement, avec mon frère on a toujours dit que c'était lui le patron. Mais c'est vrai qu'il a transmis, il nous a fait confiance. Les choses se sont faites naturellement."

La trace laissée par Louis Nicollin : "On lui demande son soutien de là où il peut regarder" 

"C'est vrai que ce que nous ont offert les supporters à la 74e minute, ce qui est venu de nos ultras, était quelque chose d'assez fabuleux (NDLR, les supporters applaudissent à chaque match à la 74e, en honneur à l'année d'arrivée de Louis Nicollin à la tête de Montpellier, 1974). Et c'est vrai que ça se répercute à chaque match à domicile, à chaque match à l'extérieur. C'est quelque chose d'assez émouvant. Ça stimule de la force et automatiquement, on pense à lui et on lui demande son soutien de là où il peut le regarder."

Sur ce qu’il a construit : "Je suis heureux de servir le football"

"Oui, je suis fier. C'est peut être pour montrer à mon père que voilà, petit à petit, on fait le choix de suivre certaines orientations que lui disait qu'il ne fallait pas faire et ça nous a réussi. Et aujourd'hui, il serait peut être heureux et fier de me voir président du syndicat de tous les clubs (Foot Unis). Ce n'était pas quelque chose qu'on se disait trop ouvertement. Je suis heureux de servir le football. J'essaye de faire du mieux possible. Ça me donne des soucis de plus, des maux de tête en plus, ça me donne des réunions supplémentaires à Paris mais moi je suis quand même bien dans mon midi sous mon soleil.

Aujourd'hui, on n'a pas beaucoup de soleil... Mais je le fais parce que j'estimais que c'était important que tous les clubs, surtout en pleine crise du Covid, soient tous solidaires et montrent une autre image du football qu'on a pu donner depuis quelques années. Ce n'est pas pour ça qu'on va résoudre tous les problèmes et que tout va être beau. Au contraire, il y a encore beaucoup de travail. Et puis aussi parce que j'ai suivi Vincent Labrune, qui est un ami, qui se démène à la ligue de football et qui avait besoin de soutien, que ce soit pour le syndicat et que ce soit pour le Collège de Ligue 1 avec Jean-Pierre Caillot. Donc, c'est important aussi de lui rendre ça et d'être avec lui pour essayer d'affronter les difficultés que vit le football français actuellement."

Sa relation avec le président de la LFP Vincent Labrune : "C’est plus que du lien footballistique"

"Déjà, on s'entend très bien. Je l'ai connu quand il était à l'Olympique de Marseille, donc ça a créé des liens. Après, c'est vrai que c'est un club qui est proche, que ce soit Marseille et Montpellier, on est quand même des villes du Sud, donc on est assez proche. On a toujours eu un excellent rapport. Même avec mon père, ça s'est toujours très bien passé. Il m'a invité à son mariage, il était à mon mariage. On a créé des liens et c'est plus que du lien footballistique. Il y a de l'amitié. Heureusement qu'on a lui comme président de la ligue, avec la période qu'on a vécu avec Mediapro et le Covid.

S'il y avait d'autres personnes, je pense que ça serait encore plus compliqué. Après tout n'est pas au mieux dans le monde actuel. Mais bon, il se bat de toutes ses forces et essaye de créer une société commerciale qui peut permettre à tous les clubs de respirer un peu mieux. Donc voilà, il se bat, il se démène, il essaye de faire le maximum possible avec la ligue pour le football français. Il y aura encore deux ans de compliqué, puis après, avec les nouveaux droits télé, j'espère que les clubs français seront de nouveau plus compétitifs."

Sur l’avenir du football français : "Financièrement, c’est compliqué"

"On est quand même le quatrième ou cinquième championnat et si on ne fait pas plus attention, si on n'a pas de meilleurs droits télé, si on n'a pas des stades plus performants, si on n'a pas des structures plus adéquates à tous les clubs, on régressera. Après, je pense aussi que c'est une source de motivation et de leitmotiv pour justement se dire qu'on ne veut pas en arriver là. Donc il faut trouver des arguments, des forces de vente pour être meilleur, pour que le championnat soit plus haut.

Après, il faut aussi reconnaître que si on n'avait pas le Paris Saint-Germain qui est l'un des clubs européens le plus structuré et le plus évolué financièrement, le championnat de Ligue 1 serait encore plus bas. Donc il faut préserver le Paris Saint-Germain, il faut préserver d'autres grands clubs qui doivent aussi grandir.

Mais malgré tout, je pense que cette année, on a un championnat assez attractif. Il y a beaucoup de beaux matchs et beaucoup de buts. On est sur la bonne voie, mais c'est sûr que financièrement, c'est compliqué. On a encore eu deux saisons compliquées avec le Covid. J'en ai souffert l'année dernière, cette année on s'en sort plus ou moins parce qu'on a vendu des joueurs. Mais on sait que pendant deux ou trois ans, on sera obligé de vendre tant qu'il n'y aura pas de nouveaux droits télés qui vont arriver."

Sur les droits TV : "Il y a eu plus de 15 demandes"

"On est passé de d'un coup à Mediapro où c'était des milliards et on se retrouvait entre 600 et 650 millions. Oui, ça fait un delta. Pour juste vous donner un ordre d'idée, c'est comme si moi, dans mon budget, j'avais budgétisé 60 millions de budget. Je me suis retrouvé à 40, donc d'un coup, j'ai une perte de 20 millions. Il reste encore deux ans de droits télés. Je pense qu'on va relancer l'appel d'offres l'année prochaine pour espérer en 2024-2025 avoir des meilleurs droits ou des droits qui augmentent, qui seront un peu plus supérieurs qu'actuellement.

Il y a ce côté-là et il y a la société commerciale, qui est aussi un tremplin. Il faut déjà qu'elle passe au niveau des lois. Il faut qu'elle soit validée par le Parlement ou le Sénat. Et pour l'instant, je sais que Vincent (Labrune) et la Ligue de football ont bloqué quatre ou cinq prestataires. Ils ont discuté encore cette semaine. Ils ont passé quatre ou cinq heures à argumenter avec des fonds de pension, donc voilà, ça intéresse.

Il y a eu plus de 15 demandes, donc ça prouve que ça intéresse. Vu les grands clubs qu'il peut y avoir, que ce soit le Paris Saint-Germain, que ce soit Lyon, Monaco, que ce soit l'Olympique de Marseille. Ça prouve que notre championnat peut attirer. Après, qu'est ce qu'on va toucher, qu'est ce qu'on va avoir ? Il y aura d'autres discussions pour savoir, dans la répartition, qui va prendre quoi.”

Sur la violence dans les stades : "Ce n’est pas bon pour le football"

"C'est sûr qu'il y a eu une répétition d'événements chaque week-end. À un moment donné, tu te dis que c'est pas possible. On vit toujours mal quand un match est interrompu, quand il y a une espèce d'abrutis qui jette une bouteille d'eau, des canettes ou je ne sais pas quoi sur un joueur. Je pense que le joueur est sacré. Quand on voit Nice-Marseille, où un supporter de Nice rentre sur le terrain et donne un coup de pied à des joueurs de Marseille, ça parait surnaturel.

C'est des choses qu'on ne veut pas voir dans un stade de football. Il y a une différence entre un acte isolé d'une personne en tribune qui jette et lors du derby lensois où il y a un phénomène de supporters qui rentre sur le terrain pour en découdre avec d'autres supporters. Mais bon, l'un ou l'autre, ce n'est pas des bonnes choses. Ce n'est pas bon pour le football. C'est peut-être à l'image malheureusement de la société. Mais ce n'est pas qu'au football.

Je pense que ça peut arriver n'importe où. Mais je pense que c'est le football, peut être le sport en général, qui  exacerbent les passions, exacerbent les tensions. Vous me filmez quand on marque un but, je passe pour un demi débile parce que je saute, je suis content, je suis heureux. Après, de là à vouloir taper quelqu'un ou jeter quelque chose sur quelqu'un... Quand t'es construit un peu normalement, il y a des limites. Quand t’es débile, t’es débile. Tu peux crier, tu peux insulter, tu peux chanter, tu peux jacter mais à un moment donné, tu ne jettes pas quelque chose sur quelqu'un. Il faut savoir, raison garder, être un peu structuré dans sa tête."

Sur les sanctions : "Je suis contre les sanctions collectives"

"Je suis contre les sanctions collectives. Systématiquement on pénalise le club. La personne qui avait jeté quelque chose lors de Montpellier-Marseille a eu un rappel à la loi mais pas plus. C'est à l'image de la société. Si tu vends de la drogue, quand tu agresses une vieille, tu vas faire dix ans de tôle, peut être que tu vas réfléchir à deux fois quand tu vas le faire.

Quand tu jettes quelque chose sur quelqu'un, tu peux avoir une sanction financière. Les pertes financières qu'ont subies les clubs, si demain c'est une association de supporters ou la personne directement qui prend la sanction, peut-être qu'elle réfléchira à deux fois avant de faire une connerie. Alors pour l'instant, je touche du bois, rien ne se passe. Mais quand tu es amoureux du football, amoureux des joueurs, amoureux du sport, tu dois prendre conscience de ne pas faire n'importe quoi. De là à jeter des choses, il y a des barrières à ne pas franchir."

Son rôle de président exécutif : "Je passe mes journées au club"

"Ça prend du temps. Le matin je vais au bureau à l'entreprise pour régler les affaires courantes, puis voir mon frère et discuter à la direction générale. Dès que j’ai fini ça, je passe à l'entraînement ou je passe dans les bureaux du club. Je passe mes journées au club parce que c'est prenant. Après, il y a des périodes plus calmes comme maintenant car les transferts sont finis, donc on va dire que c’est un peu plus tranquille. Mais quand arrive le mois de juillet et août avec les transferts, ce sont des périodes un peu plus exaltantes, plus excitantes et plus stimulantes."

La situation de Montpellier en Ligue 1 : "Je veux des gens compétents à la VAR"

"Si le classement s'arrêtait là, on serait content parce que ce serait bien. Mais après, on serait frustré car une fois de plus, on ne serait pas loin des places européennes. On est 7ème. On pourrait être plus haut s'il n'y avait pas eu le gag qu'on a eu à Strasbourg (carton rouge pour Elyhe Wahi). Mais ça, c'est des faits de jeu qui ont été en notre défaveur. Quand on expulse un joueur qui n'a pas fait de faute et que le VAR ne le voit pas parce que le mec est allé aux toilettes ou qu'il a regardé autre chose et que si tu gagnes là-bas tu mets le club à 6 points...

Ils sont quatrième et tant mieux pour eux. J'ai beaucoup d'amitié pour Strasbourg et pour Marc Keller (Président du Racing) qui est un ami. Je suis heureux que ce soit lui. Mais bon, vous savez, quand je vois le classement et que je vois Strasbourg devant, ça me laisse un goût amer. Je pense qu'on devrait être à leur place parce qu'il y a eu de l'incompétence au niveau de la VAR.

Il y a eu des repas le dimanche où Michel Platini était à la maison. Il était anti-VAR et mon père et moi, on était pour. Quand on voit ce qu'on a vécu à Strasbourg, ça te fait changer d'avis. Mais moi, je veux juste qu'il y ait des gens compétents qui fassent la VAR. Pas des amateurs, pas des mecs incompétents qui sont frustrés de ne pas arbitrer ou qui protègent l'arbitre central en cautionnant les fautes qu'il a faites. Ce qu'on a vécu à Strasbourg, c'est totalement ubuesque. Ça change une saison. Si on ne l'avait pas expulsé, on ne perd pas à Strasbourg, j'en suis persuadé. Et le classement n'est pas le même. Donc nous, on demande juste une équité.

On a fait le courrier à la commission de discipline pour annuler. On a récupéré le joueur, tant mieux. Mais bon, le mal est fait. Ce sont des choses qui ne doivent pas arriver. C'est impossible. Et puis je le redis : quand le sixième rencontre le cinquième, on ne met pas un arbitre qui n'a jamais arbitré en Ligue 1 (Pierre Gaillouste officie pour la première fois en Ligue 1 cette année). Je vais m'attirer les foudres de monsieur Garibian mais ce n'est pas grave."

La Coupe du monde tous les deux ans : "Encore un truc pour faire du fric"

Pour moi, la Coupe du monde, c'est tous les quatre ans et le championnat d'Europe pareil. C'est un peu comme la Ligue des Champions où les gros clubs sont toujours les mêmes. De voir tout le temps le Real Madrid, Barcelone ou la Juventus et le Bayern, ça ne m'excite pas. Une Coupe du monde c’est tous les quatre ans, t’attends ça avec impatience.

C'est bien pour le football ? Non, c'est bien pour du fric. C’est encore un truc pour faire du fric quoi. Il faut arrêter de toujours vouloir faire du fric, du fric, du fric. Je pense qu'ils ont gagné assez d'argent. C'est mythique une Coupe du monde tous les 4 ans. On est le sport phare. On est le sport numéro un. Je pense que si elle a lieu tous les deux ans, je ne dis pas qu’on se lassera car on est des passionnés de football, mais bon. Ça ne m’excite pas.

Sur le nouveau stade de Montpellier : "Ce sera le Stade Louis-Nicollin"

On a attaqué en 2016, ça fait déjà six ans, donc ça commence à être long mais on avance petit à petit. Je pense que d'ici cet été on aura vu la queue de l'ours. J'espère qu'on n'en sera pas loin de déposer un permis pour après attaquer les travaux en 2023. Sur le côté financier, c’est un projet 100% privé. Il faut trouver des fonds, il faut trouver de l'argent. Il y a eu des gens avec qui on travaillait au départ, qui sont partis donc on a trouvé d'autres personnes. Le Covid a aussi ralenti tout ça. Mais bon, on avance. Mais en France, pour faire un projet, c'est encore long. Ce sera le stade Louis Nicollin. C'est le minimum qu'on peut lui rendre. On aurait aimé l’ouvrir pour les 50 ans du club, en novembre 2024, mais je pense que vu le retard qu'on prend, je pense que si on peut attaquer la saison 2025-2026 et faire le premier match le 8 août 2025, on serait ravi.”