Alain Giresse 27:10
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Colin Abgrall , modifié à
Récemment annoncé comme le nouveau sélectionneur du Kosovo, l’ancien milieu de terrain de l’équipe de France de football (de 1974 à 1986) Alain Giresse est l’invité exclusif d’Europe 1 Sport ce dimanche. Pendant près de 40 minutes, il répond sans filtre aux questions de Lionel Rosso et de l’éditorialiste Jacques Vendroux. Un entretien diffusé en intégralité dans "Europe 1 Sport".
INTERVIEW

Ancienne gloire des Girondins de Bordeaux et meilleur buteur de l'histoire du club (181 buts en 592 matchs), Alain Giresse s’est confié en exclusivité pour Europe 1 Sport. L'entraîneur de 69 ans revient très longuement sur la situation de son club de toujours, qui vit l’une de ses pires saisons de son histoire dans l'Élite, sur l’équipe de France, dont il aurait pu devenir le sélectionneur, mais aussi sur sa nouvelle équipe, le Kosovo.

La situation de Bordeaux : "Ce club-là à perdu toute son aura"

"On ne pensait pas un jour évoquer Bordeaux dans ces conditions. Ça a démarré la saison dernière, on a failli perdre le club. Il a été rattrapé au dernier moment pour continuer à exister. Maintenant qu'il démarre cette saison, on s'aperçoit ô combien, sur le plan sportif, c'est très compliqué, très difficile. Les répercussions, n'ont pas donné la possibilité à Bordeaux de pouvoir construire une équipe d'un niveau suffisant pour pouvoir disputer un championnat dans des conditions normales. Et on voit que maintenant, on souffre à Bordeaux, on est inquiet parce que c'est la dégringolade et on se demande où ça va s'arrêter. Mais au-delà de la partie sportive, tout s'est dégradé.

Tout s'est dégradé à Bordeaux. Ce club-là a perdu toute son aura, toute sa popularité. Toutes ses relations locales régionales, tout s'est délabré. Et aujourd'hui, on sait très bien que ça se fait vite, mais pour reconstruire, ça va être difficile. Aujourd'hui, on se pose beaucoup de questions et en ce qui me concerne, je suis dans l'inquiétude parce que c'est quelque chose que je n'imaginais pas. C'est-à-dire qu'on n'a pas l'impression qu'il y ait quelque chose qui puisse arrêter cette spirale négative. Plus ça va, moins ça va. Un mercato vient de passer et on a renouvelé les joueurs.

C'est vrai qu'autour, il y a d'autres équipes qui ont le même rythme que les Girondins, mais à force de dire ça, il va falloir quand même s'en sortir. Il ne faut pas rester toujours là à traîner avec ces équipes-là et on ne voit pas quel est le levier qui peut permettre que l'on s'en sorte. Ce n'est pas du pessimisme, mais c'est une forme de réalité, d'objectivité, de la situation."

Qui faut-il blâmer ? "Sur tous les plans, il y a eu une destruction"

"On ne va pas refaire l'histoire, mais quand vous avez des fonds d'investissement comme les Américains, qui viennent de prendre ce club, il n'a pas le stade et le centre technique, il n'avait qu'un effectif qui n'était pas d'une grande valeur. Et puis, tout d'un coup, ces gens-là ont construit, organisé ce club sur le plan sportif en faisant n'importe quoi, en faisant venir des gens qui étaient plus préoccupés par leurs situations personnelles que de vraiment travailler pour un club, de le pérenniser. Ils n'ont pas duré. Il a fallu modifier tout ça.

Et après, sur le plan administratif aussi, on l'a détérioré. On a commencé à vouloir changer le logo et il y a eu l'affrontement avec les supporters. Sur tous les plans, il y a eu une destruction. Voilà, l'héritage est là. Quand Gérard Lopez reprend ce club, il est confronté à une situation financière difficile à évoquer. Il a repris le club avec toutes les dettes qu'il y a derrière. Donc il a pu avoir des aides sur le plan financier pour pouvoir le reprendre.

Et sportivement, les répercussions sont là et on s'aperçoit qu'on a mal évalué ce que pouvait être la première division. Le championnat de France n'est parfois pas très séduisant sur le plan des matchs, mais il est difficile. Le plus bel exemple que l'on peut donner, c'est Lionel Messi qui, au-delà peut être de son adaptation, est quand même surpris de ce à quoi il est confronté chaque week-end avec des équipes pas faciles à manier. Et les Girondins ont des joueurs qui sont venus mais qui sont en dessous de ce qu'on pouvait espérer pour pouvoir au moins jouer le milieu de tableau, ce qui serait une bonne chose."

Comment aider Bordeaux : "Arriver avec une baguette magique, ça n'existe pas"

"Moi, j'étais toujours à disposition. J'ai rencontré tous les repreneurs. Il y a eu plusieurs repreneurs. J'ai évoqué avec les uns et les autres ces possibilités. Il se trouve que ça ne s'est pas enchaîné avec celui qui a repris le club, mais il fonctionne notamment pour sauver une équipe. Mais il y a tout un club derrière. Je parlais de ça pour redonner aux Girondins ce qu'ils étaient, c'est-à-dire une unité de club. Oui, je suis là, mais aujourd'hui, arriver comme ça avec une baguette magique, ça n'existe pas. C'est très difficile aujourd'hui de savoir quelle est la clé."

Giresse, entraîneur des Girondins ? "Ça aurait égratigné ou écorché mon image"

"Ça, c'est un élément que j'ai toujours évoqué. Je me suis dit, une fois ma carrière terminée, que ce serait sympa que je sois sur le banc des Girondins. J'ai dit non. Qu'est-ce qu'il peut se passer ? Que je me fasse virer des Girondins. Je pense que ça aurait égratigné ou écorché mon histoire. Quelque part, ça laisse des traces et Jean Tigana a connu ça. Il a eu une belle histoire et il a été viré.

Je pense que je pouvais, par rapport à une coordination qu'il pouvait y avoir, créer une unité, des passerelles, des liens qui font le fonctionnement d'un club. Ça pouvait se faire. Mais bon, ce n'est pas le cas. Une descente en deuxième division peut être la mort du club. Mais aujourd'hui, qu'est ce que je vais aller faire dans une situation telle qu'elle est aujourd'hui ? Effectivement, on est plus en direction du mur qu'en direction d'une situation qui va soulager tout le monde. Mais c'est plus profond que ça."

Pourquoi ne pas faire appel aux anciennes gloires ? "Ancien joueur, ce n’est pas une fonction. c’est un standing"

"Sur ça, je fais très attention. Je rappellerai toujours qu'ancien joueur, ce n'est pas une fonction, c'est un standing. Donc revendiquer la possibilité, oui, mais il faut avoir la compétence et l'expertise pour pouvoir amener au club ce dont il a besoin pour fonctionner. Et moi, je me positionnais pour ça, dans cette forme de coordinateur pour créer toute une unité. Aujourd'hui, le club est morcelé. Il n'y a pas beaucoup de liens entre l'équipe une et tout son staff et la formation. Mais je sais qu'il y a beaucoup d'anciens qui se sont manifestés, qui ont parlé, etc. Mais attention, ça, c'est des paroles. Je sais très bien que parler est une chose, agir en est une autre et ce n'est pas aussi simple que ça."

Alain Giresse, sélectionneur de l'équipe de France en 1998 ? "Oui, on m’a demandé"

"Il faut préciser qu'Aimé Jacquet avait décidé d'arrêter quoi qu'il se passe. Champion du monde ou pas champion du monde. Tant mieux pour lui et pour nous, ils ont été champions du monde. Oui, on m'a demandé. Effectivement, on a échangé (avec Noël Le Graët). Le président m'a dit 'Dites moi, oui'. Je l'ai remercié, évidemment, et j'ai dit que je me sentais encore trop jeune pour passer le cap d'une sélection. Pourtant, je connaissais. Je sais ce qu'est un sélectionneur, comment ça doit fonctionner.

Que ce n'est plus du quotidien, mais que c'est intermittent, etc. C'est l'histoire. Alors vous allez me dire est ce que vous regrettez ? Les regrets ne servent à rien, à part se mettre la tête à l'envers. C'est comme ça. Je trouve que c'est dévalorisant pour ce qu'on a fait après. J'ai fait d'autres choses qui m'ont vraiment remplie de satisfaction. Noël Le Graët, je le remercie de sa démarche, qui est touchante. Mais bon, j'ai pris cette décision. On pourra refaire l'histoire, ça ne servirait à rien. C'est des beaux moments à évoquer, mais ça s'arrête là."

Sur la victoire du Sénégal à la CAN : "J’ai été très touché"

"Elle m'a fait plaisir. J'ai toujours quitté les sélections sans jamais laisser des ruines une fois que je suis parti. Quand je finissais mon contrat avec le Sénégal, j'ai dit au président de ne pas me reproposer un contrat. Il y avait vraiment trop de problèmes avec les médias qui me titillaient, qui me cherchaient, etc. Et cette équipe-là, je l'ai bâtie. Je me retrouve avec la Tunisie. Et en 2019, comme c'est souvent le cas, chaque fois que je changeais de pays, je me retrouvais en face d'un pays que j'avais dirigé. Et là, je me retrouve en demi-finale Tunisie-Sénégal (lors de la CAN 2019).

On fait un très beau match, on est à deux doigts de passer et à la fin, à la conférence de presse, nous sommes les deux sélectionneurs côte à côte. Aliou Cissé (sélectionneur du Sénégal) prend la parole et dit 'Je dédie cette finale à Alain'. J'étais très surpris parce que c'est lui qui a bâti cette équipe et il l'a mise en place quand je suis parti. J'ai été très touché et c'était la réalité. D'ailleurs, j'ai gardé de très bonnes relations avec le président de la Fédération (Augustin Senghor), avec Aliou. Pendant cette CAN on a évoqué le début de la compétition où c'était difficile pour le Sénégal. Je disais à Aliou : 'Ne t'inquiète pas, c'est long, il faut y aller.' C'est pour ça que je suis content qu'il ait gagné et content pour tous ces joueurs, Sadio (Mané), Idrissa Gueye. Je suis très heureux de leur succès et continuez."

La violence dans les stades : "Hausser le curseur sur les mesures à prendre"

"Les supporters sont indispensables, c'est évident. Ils ne vivent que par rapport à leur club. Le club a besoin de tout ce soutien. C'est une évidence. Mais après, il faut éviter que ça dérape comme c'est le cas actuellement, on ne peut pas aller au-delà. Pourquoi cette violence ? C'est une violence de la société. On la retrouve dans d'autres domaines. Quand il y a des manifestations pour revendiquer des choses, on s'aperçoit que ça dérive aussi, avec les magasins qui sont saccagés, etc. Il faut que les pouvoirs publics prennent des décisions fermes.

On ne peut pas se permettre que le football et les stades soient devenus des endroits où on est confronté à cette violence. C'est facile à dire et à regretter, mais je pense qu'il faut hausser le curseur sur les mesures à prendre. Je crois qu'il y a des moyens qui ont été démontrés dans d'autres pays pour éradiquer tout ça. Je pense que les interdictions de stade doivent se multiplier non pas pour deux matchs, mais vraiment d'une façon ferme et sur la durée pour éliminer tous ceux qui viennent au stade pour casser et non pas pour supporter."

Sur l'Euro 2020 : "Plus facile d’arriver que de se maintenir"

"Il faut savoir que dans le sport, il est plus facile d'arriver que de se maintenir. C'est évident. On est champions du monde et on va jouer un euro. Sauf qu'inconsciemment, quand vous êtes champion du monde, vous avez une autre perception de la compétition, vous avez un confort, mais tout ça, ce n'est pas voulu. C'est inconscient. Une forme de facilité. Tout ce que l'on mettait dans une Coupe du monde pour pouvoir être champion du monde, on l'oublie un peu.

On a une forme de relâchement de la part de tous. On voit ce que Didier Deschamps a été capable de faire. Il a compris tout ça avec la Ligue des nations et il y a eu une remise en cause de tout le monde. Les joueurs ont compris qu'il ne suffisait pas d'avoir l'étoile de champion du monde pour gagner des matchs, mais qu'il fallait le démontrer par des actes."

Le successeur idéal de Deschamps ? "On est dans une logique implacable"

"Zinédine (Zidane) se présente, mais là aussi, c'est dépendant de lui. Il y a tellement de paramètres qui entrent en ligne de compte. Est-ce que Zinedine va d'ici là enclencher sur un club ? Si Didier arrête et que Zinédine reprend, on est dans une logique implacable. Personne ne va sursauter."

Sur son arrivée au Kosovo : "J’avais envie d’être dans l’action"

"Ce sont les circonstances et ce sont des opportunités. Je connais le Kosovo. J’avais déjà visité ce pays lorsque j’étais sélectionneur du Sénégal. J’ai noué des contacts avec des responsables du football là-bas. Il se trouve qu’ils m’ont contacté et que j’avais envie d’être dans l’action, dans l’activité. Ça s’est fait rapidement, simplement, je me suis engagé avec le Kosovo pour deux ans. Tout le monde attend des résultats, c’est une évidence. Mais il faut savoir que cette équipe nationale n’a que six ans d’existence. Il faut continuer à créer une équipe, avec des jeunes joueurs qui commencent à s'aguerrir.

C'est un travail de construction et avec la ligue des nations qui arrive (du 2 juin au 27 septembre), il faut qu’on progresse. J’ai été dans des pays en Afrique et notamment au Gabon (sélectionneur entre 2006 et 2010) où j’ai retrouvé un peu les mêmes conditions. Il faut entreprendre, préparer, structurer sportivement une sélection. C’est un mode de fonctionnement qui me plaît. On est aidés, il y a des moments difficiles, mais je me suis toujours retrouvé dans ce genre de mission."