Thébault: "Le tour du monde en 40 jours"

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Rédaction Europe1.fr , modifié à
VOILE: Vendredi dernier, Alain Thébault était l'un des premiers à ouvrir le Nautic de Paris en présentant les différents supports du projet Hydroptère.

Vendredi dernier, Alain Thébault était l'un des premiers à ouvrir le Nautic de Paris en présentant les différents supports du projet Hydroptère. Forts de ses records réalisés cette année qui font du «bateau-volant» l'engin à voile le plus rapide de la planète (51,36 noeuds), le skipper et son équipe veulent désormais transposer leurs expériences au large, sur l'actuel Hydroptère puis sur une extrapolation plus grande de 30 mètres. L'objectif ? Le tour du monde en 40 jours...Alain Thébault est une sorte d'OVNI dans le monde de la voile française. Là où aujourd'hui nos meilleurs marins passent allègrement d'un support à l'autre, capables, à l'instar d'un Michel Desjoyeaux ou d'un Lionel Lemonchois, de gagner sur un Figaro de dix mètres, un trimaran de 60 pieds ou un maxi-multicoque en passant pas des petits catamarans de sport ou des monocoques de 60 pieds, cet homme de 47 ans à la voix aussi douce que son regard semble bienveillant n'est obnubilé que par une seule chose, l'Hydroptère. Un projet qu'il porte à bout de bras, depuis que, au début des années 80, il est allé frapper à la porte d'Eric Tabarly pour essayer de convaincre le plus célèbre représentant de la course au large française de le suivre dans cette histoire de «bateau-volant». Le tout sur les conseils de celui qui était alors l'architecte naval de l'intéressé, Alain de Bergh (impliqué dans le projet de longue date). "Son projet était touchant, mais il n'avait rien de scientifique, racontait ce dernier en 2008 dans Le Nouvel Observateur. Pourtant, il y a quelque chose de spécial chez Alain. Il a un regard, il est comme Eric. Il parvient à obtenir tout ce qu'il veut. Je lui ai donc recommandé d'aller voir Eric." Et Tabarly, sans doute séduit par l'esprit d'aventure du jeune homme, lui donne alors son «imprimatur», acceptant de parrainer ce projet d'hydrofoil, lui qui s'était intéressé au sujet au cours des années 70. Il faut cependant attendre de longues années de recherches, mais aussi de galères financières et autres, pour voir naviguer pour la première fois cet Hydroptère, en 1994. Un trimaran de 18,28 mètres (60 pieds) de long sur autant de large, dont la particularité est de voler sur l'eau grâce aux foils situés sous ses petits flotteurs tribord et bâbord qui le font littéralement décoller, l'objectif étant de réduire au maximum la surface mouillée de l'engin-volant et donc la traînée. Si les 35 noeuds sont rapidement atteints, Alain Thébault essuie ensuite les plâtres de son esprit d'innovation en accumulant avaries, chavirages et, forcément, pépins financiers pendant une dizaine d'années. Jusqu'à ce qu'il rencontre en 2005 des mécènes suisses, Adrien et Thierry Lombard qui se laissent séduire par le projet et donnent au Breton les moyens de ses ambitions."Le record sur 1 mille, on le gardera toute notre vie"Dès lors, la machine prend un nouvel envol et, avec l'appui d'ingénieurs d'expérience, baptisés les «Papés», spécialistes de l'aéronautique, et de l'Ecole polytechnique de Lausanne, le prototype est considérablement amélioré et configuré dans un premier objectif: battre le record absolu de vitesse sur l'eau par un engin à voile, un temps détenu par des véliplanchistes (Finyan Maynard, Antoine Albeau) puis des kitesurfeurs (Alexis Caizergues, qui, en 2008, passe la barre des 50 noeuds sur 500 mètres avec un run chronométré à 50,57 noeuds). C'est chose faite début septembre à Hyères, l'Hydroptère portant ce record à 51,36 noeuds sur 500 mètres tout en écrasant son propre record sur 1 mille avec une moyenne de 48,72 noeuds. "Celui-là, on le gardera toute notre vie", estime Alain Thébault, pour lequel ces deux records sont à la fois une récompense mais aussi "une étape importante". Parallèlement à ces campagnes sur l'eau, le natif du Guilvinec s'est lancé depuis 2006 dans deux nouvelles déclinaisons de l'Hydroptère, l'Hydroptère.ch, sorte de maquette de dix mètres sur dix, destinée à poser les fondation de ce que le skipper appelle la "big picture", l'Hydroptère maxi, 30 mètres sur 32 mètres de large, attendu à l'horizon 2014 ! "Le but c'est de conjuguer notre savoir-faire sur le bateau-laboratoire pour faire ensuite un bateau qui vole autour du monde", nous expliquait l'intéressé vendredi dernier le jour de l'ouverture du Nautic de Paris, avant de nous confier aux bons soins de Jean-Mathieu Bourgeon, responsable Recherche et Développement à terre, chargé du réglage de chariot de grand-voile en mer. "On a prévu une mise à l'eau de l'Hydroptère.ch en mai 2010, le but est d'apprendre en naviguant dans des conditions variées dans l'optique de la conception du maxi." Avec ce catamaran «carré» de 100 m², démontable pour aller naviguer en mer et pas seulement sur le Lac Léman au bord duquel il est actuellement construit (trois chantiers sont impliqués, Décision en Suisse, B&B à La Trinité, Laurima à Lorient pour le mât), Alain Thébault compte lancer une campagne d'essais destinées à valider des solutions, l'idée étant d'attaquer la conception du maxi fin 2010 pour une mise à l'eau fin 2013 et des premières navigations en 2014. L'accent sur la polyvalenceEn attendant, les marins ne se tourneront pas les pouces, puisqu'ils continueront à naviguer sur l'actuel Hydroptère, avec un programme désormais axé sur le large, et notamment une tentative contre le record du Pacifique, celui de l'Atlantique, porté à un niveau très haut par le géant de 40 mètres Banque Populaire V (3 jours 15 heures 25 minutes et 48 secondes) semblant désormais hors de portée pour le trimaran de 18,28 mètres. Avec cet Hydroptère et l'Hydroptère.ch, deux prototypes à bord duquel sont embarqués des systèmes d'enregistrement de données ultra-sophistiqués, les équipes techniques impliquées dans le projet espèrent disposer de suffisamment d'éléments pour leur permettre de combler le principal handicap de l'actuelle machine, l'absence de polyvalence. "On a un bateau extrêmement rapide, qui vole littéralement sur l'eau dans certaines conditions, confirme Jean-Mathieu Bourgeon, mais on a un déficit en terme de polyvalence. On a plus de mal dans le petit temps, au portant dans une houle formée, quand on est au plus près ou au plus abattu."Et la fiabilité, longtemps talon d'Achille de l'Hydroptère ? Pour le responsable R&D, le sujet n'est plus le principal point de préoccupation: "Il a fallu tout apprendre car le concept était nouveau, maintenant, grâce à nos systèmes embarqués, on est sûrs de ce qu'on rencontre au niveau des contraintes, ces acquis nous permettent normalement d'être à l'abri en terme de fiabilité." Longtemps regardé avec scepticisme, voire mépris, l'obstiné Alain Thébault, s'il n'est sans doute pas au bout de ses peines, suscite aujourd'hui un intérêt croissant, il n'y avait qu'à voir le nombre de curieux venus l'écouter vendredi à une heure bien matinale au Nautic, dont un certain Jean le Cam, lui aussi passionné de vitesse et de multicoque...