Peyron: "Une histoire à finir"

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Laurent Duyck , modifié à
Successeur de Pascal Bidégorry à la barre de Banque Populaire V, Loïck Peyron s'attaque pour la première fois de sa riche carrière au Trophée Jules-Verne. A bientôt 52 ans, le Baulois, qui n'a que très peu touché à l'équipage de son prédécesseur, aborde cette nouvelle aventure avec un enthousiasme débordant qu'il espère communicatif. Départ ce mardi à 9h31'42" et retour espéré moins de 48 jours 7h44'52", le record de Groupama 3, après...

Successeur de Pascal Bidégorry à la barre de Banque Populaire V, Loïck Peyron s'attaque pour la première fois de sa riche carrière au Trophée Jules-Verne. A bientôt 52 ans, le Baulois, qui n'a que très peu touché à l'équipage de son prédécesseur, aborde cette nouvelle aventure avec un enthousiasme débordant qu'il espère communicatif. Départ ce mardi à 9h31'42" et retour espéré moins de 48 jours 7h44'52", le record de Groupama 3, après... Qu'êtes-vous venu chercher sur ce Trophée Jules-Verne, votre tout premier ? Plein de choses. C'est une opportunité incroyable que l'on m'ait proposé ce rôle-là dans une histoire bien entamée. Maintenant, il faut la finir. Il ne manque plus que le Jules-Verne au palmarès et au tableau de ce bateau. C'est génial pour moi parce que l'équipe a tout fait jusqu'ici. Sauf le Jules-Verne. Mais il faut du bol aussi. Pour le finir déjà. Pour le battre encore plus. Ce n'est pas si simple. Ça ne se fait pas forcément en une fois. D'ailleurs la plupart des prétendants au Jules-Verne n'ont pas tous réussi la première fois. Le potentiel du bateau est exceptionnel. Et comme j'aime m'intéresser à tout, et si possible à ce que je n'ai pas encore fait, je suis là. J'ai déjà fait des tours du monde en double, en solitaire, en équipage aussi mais pas encore en record. Pourquoi ? Parce que j'étais un peu occupé pour faire tout ça et beaucoup d'autres choses. Et surtout parce que l'opportunité ne s'était pas présentée même si j'y avais travaillé un peu il y a quelques années. Ça faisait partie des projets. Mais ça n'avait pas été exaucé. Vous avez été rattrapé par le mythe ? Oui... J'ai eu la chance de participer à sa création il y a plus de 20 ans. Je fais indirectement partie un peu de l'histoire en étant parmi les co-créateurs, un jour, à Paris, sur une péniche, avec Yvon Fauconnier, Titouan Lamazou, Florence Arthaud, mon frère Bruno, Yves Le Cornec qui est un peu l'inventeur de cette histoire-là. Ça fait partie de moi et même de la famille puisque Bruno a battu trois fois ce record. Il ne me restait plus qu'à en être un acteur principal. Encore que je m'en fous de ça. C'est surtout une chance de skipper le plus grand trimaran de course au monde. C'est complètement dingue de naviguer sur ce type de bébé. "La mémoire vive du bateau, ce sont les marins" L'arme que l'on vous a proposée a-t-elle beaucoup compté dans votre décision d'y aller ? Oui. Le bateau capable de battre le record (48 jours, 7 heures, 44 minutes et 2 secondes, établi en mars 2010 par Groupama 3 mené par Franck Cammas), c'est lui, il n'y en a pas d'autres. Et le seul bateau capable de la rebattre, ce sera aussi Banque Populaire V. Alors, évidemment, un record dépend essentiellement des conditions météo et même si le potentiel du bateau est exceptionnel il faut de bonnes conditions, pas trop mauvaises, pas trop méchantes. Et c'est tout le problème. Il y a toujours un aléatoire, qui fait d'ailleurs la beauté du geste. Il faut rester humble par rapport à ça. Une course, ce n'est déjà pas facile à gagner. Un record, c'est encore plus compliqué même si on choisit nos conditions sur les cinq premiers jours de course, les 40 suivants sont complètement aléatoires. Vous qui avez l'habitude de vous battre face à des concurrents, comment appréhendez-vous cette bataille contre le chrono ? Ce n'est pas ce qui a de plus plaisant. J'ai déjà fait quelques records mais en solitaire ou parfois en duel contre Bruno il y a bien longtemps. Ce n'est pas ce qui a de plus drôle parce qu'on est tributaire de la météo mais surtout parce qu'on se compare à un concurrent virtuel qui était là un an ou deux ans auparavant avec des conditions différentes à ce temps donné. Il faut toujours en avoir sous le pied, il faut accepter d'avoir un retard réel sur un concurrent virtuel... On l'a vu d'ailleurs avec Groupama qui, jusqu'à quelques jours de l'arrivée, était toujours en dessous du record. Il faut être confiant. Mais comme tous les marins savent que ce n'est jamais fini avant la ligne d'arrivée, il faut espérer tout le temps... Vous avez eu six mois pour vous faire au bateau. Est-ce suffisant ? Oui parce que ça reste un multicoque, j'ai eu la chance de naviguer sur ces bateaux-là dans le passé. C'est certes le plus grand mais il est inspiré des plus petits. J'y retrouve énormément de choses. C'est une homothétie en beaucoup plus grand de tout ce que l'on avait fait en 60 pieds. Plus une intelligence totalement adapté à la taille. Il y a eu un gros travail de la part de Pascal et de son équipe à l'époque pour créer le bateau et le mettre au point. Donc, ce n'est pas compliqué de s'y faire. Vous n'avez quasiment pas touché à l'équipage mené par Pascal Bidégorry l'hiver dernier. Pourquoi ? C'eût été une erreur grave. Quand on arrive sur un projet comme celui-là il faut essayer si possible de récupérer tous les acteurs et les créateurs du bébé mais aussi tous ceux qui ont le plus de miles à bord. La mémoire vive d'un bateau, ce sont les marins. S'en passer aurait été une erreur lourde. Ce n'est même pas des corrections mais des compléments d'équipage que j'ai faits avec Jean-Baptiste Le Vaillant et Thierry Duprey pour remplacer Erwan Tabarly et Jérémie Beyou qui volent de leurs propres ailes. Tous sont vraiment géniaux. C'est un équipage cosmopolite un peu, suisse, anglais, espagnol et français. C'est bien, très agréable. Dans quel état avez-vous récupéré l'équipage après un premier hiver passé à quai et une tentative avortée l'hiver dernier ? Parfait. Une tentative avortée arrive dans tous les domaines de voile et souvent sur les records. On est parfaitement conscient que cela puisse nous arriver encore. Il n'y a pas de frustration particulière quand un marin rentrer prématurément au port. Il est habitué à ça. C'est peut-être difficile à comprendre de l'extérieur mais la certitude n'existe pas chez nous. "On n'est pas obligé de faire la gueule pour faire les choses sérieusement" Vos équipiers disent en choeur que vous avez ramené le sourire sur le bateau. Est-ce que ça manquait sur le bateau ? Peut-être. On a tous notre façon de fonctionner. Moi, j'ai cette faculté de prendre le bon côté des choses même si parfois c'est tout petit et de le mettre en avant. Ça me semble important, oui. On n'est pas obligé de faire la gueule pour faire les choses sérieusement. J'espère en être l'une des preuves encore vivante. Et ce sourire sera toujours là pour moi, c'est un ingrédient de base. C'est une des manières de mieux accepter ce qui ne fait pas toujours plaisir. J'ai un principe de base, c'est de ne jamais me plaindre des souffrances que j'ai le plaisir de m'infliger. Et ce n'est pas le cas de beaucoup de gens... On n'a pas le droit de se plaindre. Et quand j'essaie de faire comprendre cette philosophie, une fois qu'elle est partagée, tout le monde s'engouffre avec moi dans cette nécessité de relativiser. Il ne faut pas oublier que nous sommes des privilégiés incroyables. Quelle que soit l'issue de cette tentative, c'est déjà fabuleux. Qu'est-ce qui pourrait gâcher votre plaisir ? Je sais très bien que sur des bateaux rapides, tout peut arriver vite, les bons moments comme les très mauvais. On n'est pas toujours maître de notre destin, pas du tout. Une bille de bois en travers de la route peut anéantir des années de travail. Si on y fait trop attention, ça pourrait gâcher une partie de ce qu'on est en train de faire. Mais il faut abstraction de ça. Pour moi, tout est écrit à l'avance. Je n'ai aucune idée de savoir si on va battre ou non ce record mais pour moi, c'est déjà écrit quelque part (sourires). Qu'avez-vous fait pour minimiser au maximum le risque de casse qui avait stoppé la précédente tentative ? Il y a eu beaucoup de recherche de fiabilité. Une des premières choses que j'ai demandée aux garçons qui sont et équipiers et ingénieurs de bord, comme Ronan Lucas ou Kevin Escoffier, c'est la liste de tout ce qui est arrivé au bateau depuis sa mise à l'eau et les corrections effectuées. Certains, structurelles, ont été très importantes, d'autres plus anecdotiques. Et puis, je répète ça souvent, le meilleur moyen d'aller loin, c'est de savoir ralentir. Il ne faut jamais être lent. Mais être le plus rapide, ça ne sert pas à grand-chose. Il faut trouver le juste dosage, qu'heureusement tous les chefs de quart et les barreurs connaissent bien. Mais je sers au moins à ça, je suis un peu le garde-fou ou le chef-d'orchestre pour donner le bon tempo. Pouvez-vous estimer vos chances de réussite ? Je n'en ai aucune idée. Le potentiel du bateau et de l'équipage est énorme. Le reste, ce n'est pas nous qui décidons. Il y a deux paramètres: la mer et le vent que pour l'instant personne, pas même les instituts de sondage, ne maîtrise...