Mais à quoi jouent-ils ?

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S.L., envoyé spécial , modifié à
On peut tenir tous les discours possibles et imaginables sur le jeu de l'équipe de France, la capacité de ses joueurs à se complaire dans le dilettantisme dès qu'ils se frottent à une opposition supposée plus faible confine à la pathologie. Que même le contexte d'une Coupe du monde ne suffit pas à corriger. Devant ce constat, Marc Lièvremont, bien qu'apparu dimanche plus désemparé que jamais, garde le cap.

On peut tenir tous les discours possibles et imaginables sur le jeu de l'équipe de France, la capacité de ses joueurs à se complaire dans le dilettantisme dès qu'ils se frottent à une opposition supposée plus faible confine à la pathologie. Que même le contexte d'une Coupe du monde ne suffit pas à corriger. Devant ce constat, Marc Lièvremont, bien qu'apparu dimanche plus désemparé que jamais, garde le cap. Le pique-nique tombe à l'eau. Au lendemain de leur entrée en matière dans cette Coupe du monde face au Japon (47-25) que l'on qualifiera pudiquement de perfectible, les Bleus avaient prévu de déjeuner à Takapuna face à la mer. Après trois jours d'un doux soleil printanier, les cieux en ont décidé autrement. Bourrasques et averses violentes ont contraint la troupe à revoir ses plans et à rejoindre Auckland, Down Town, pour s'y restaurer et profiter d'un après-midi libre. Qu'ils en profitent car la séance vidéo programmée en fin d'après-midi annonçait un autre avis de gros temps. Après une nouvelle courte nuit de sommeil et un visionnage du match de la veille, forcément douloureux, Marc Lièvremont est apparu dimanche matin, dans le hall de l'hôtel Byron on Spencer, partagé entre frustration et lassitude. Une fois encore, ses joueurs l'ont déçu dans les grandes largeurs. C'est la même rengaine ! Bien sûr, Marc Lièvremont ne peut se permettre un psychodrame à la romaine, mais six mois jour pour jour après la défaite du Tournoi, concédée à Flaminio, force est de constater que les mêmes causes provoquent les mêmes effets. Ce contexte de Coupe du monde empêche (pour l'heure) toute rupture avec ses joueurs, mais le constat reste désespérément le même. "C'est le même constat, il y a de la frustration tellement notre match a été pollué d'approximations, de fautes techniques, de fautes de discipline, je crois qu'on concède une douzaine de pénalités. Que de déchets dans la finition, dans l'organisation ! On s'est vu beaux, et déjà qu'on était à mon sens pas assez concentrés, très approximatifs, on l'a été de plus en plus. On ne met pas assez de conviction et pas assez de précision dans nos situations avec des trois contre un vendangés. Pour arriver à l'heure de jeu à une situation extrêmement pénible et stressante." S'il a entrevu la défaite ? "Je l'ai pensée, je l'ai envisagée... Toujours est-il qu'on a su bien finir, su remettre les choses en place sur quelques mouvements assez simples." On ose la question de confiance: ses joueurs l'ont-ils trahi ? Cette fois, il se maîtrise et rabâche: "Le constat reste le même, à savoir qu'au-delà de la victoire bonifiée, on voulait de la maîtrise, de l'engagement et de la constance sur le match. On a tout faux de ce côté-là." On joue comme on s'entraîne... Vendredi dernier, veille de match, Lièvremont relevait une dernière mise en place tactique décevante à ses yeux de la part de ses joueurs (voir: L'entraînement qui déçoit Lièvremont). Pour lui, la relation avec la piètre copie rendue face au Japon est évidente et il met en lumière un des travers de ses joueurs: "Je mets en corrélation le match et quelque part l'entraînement du jeudi, je l'avais dit aux joueurs: on fait un bon début de semaine, dès le moment où on met de l'engagement, on fait des choses intéressantes ; mais dès le moment où on effectue une mise en place plus tactique, on fait preuve de légèreté. Et cette légèreté, on l'a retrouvée avec des comportements individuels assez variés" Qu'il ne manquera pas de détailler (voir: Harinordoquy en tête au tableau d'horreur)... Mais s'exprime déjà cette incapacité chez ses joueurs à se responsabiliser: "C'est récurrent ces soucis dès le moment où on y met pas un engagement total", énumère-t-il, comme un mauvais catalogue: "La plupart des entraînements où je suis satisfait, c'est vraiment quand il y a un engagement total. On ne peut pas en faire tous les jours. Dès le moment où on met moins d'intensité, on est moins réactifs au combat, on joue les ballons assez simples, sur des relances de jeu assez simples, sur du jeu direct. On ne converge pas, on n'est pas propres au sol. [...] A la mise en place, je n'ai pas senti les mecs avec une préparation de match, comme tu peux jouer contre des grandes équipes, où tu as la trouille. Il y a une mobilisation presque superficielle. Bien sûr que je regrette ça." Cap maintenu pour le Canada Des regrets peut-être, mais pas de révolution à attendre, même si Lièvremont avoue se poser des questions. On le ferait à moins. "Ça me fait réfléchir, ne croyez pas que je ne me pose pas de questions. Je crois que c'est une erreur malgré tout de tout remettre en question et de figer le groupe, et de ne pas redonner une chance à certains joueurs qui ont réalisé un bon match à Dublin, notamment." L'équipe-type reste donc dans les tiroirs en attendant sans doute les Blacks. "Je rêve de constance et de précision, donc ce coup de pied au cul, quelque part sans conséquence, va nous permettre, je l'espère, de mieux travailler et de préparer ce match avec un peu plus de pression. On peut le regretter. On joue une Coupe du monde, c'est sept matches, et l'on espère aller au bout, alors gâcher comme ça le premier... J'ai toujours considéré que c'était une chance de démarrer face à des équipes a priori plus faibles et de monter en puissance. [...] Je me pose des questions sur l'organisation, sur le management. Parce que certains ne manqueront pas de relever que peut-être ces déchets viennent d'un mauvais management, du fait de tourner en permanence. Je pense que cette équipe était cohérente, la meilleure à l'issue des deux premiers matches, je reste persuadé qu'il faut continuer à impliquer, au moins sur les deux matches, les trente acteurs." C'est dans la tête, Docteur ! Rien n'a changé et forcément on n'en finit plus de s'interroger sur ce surplace d'un groupe auprès duquel Lièvremont et son staff semblent passer plus de temps à accomplir un profond travail psychologique qu'à peaufiner leur projet de jeu. Le sélectionneur, lui, est à court d'arguments lorsqu'on le sonde sur cet aspect des choses et notamment sur la nécessité de soigner les têtes en permanence: "Oui, c'est de la psychologie, tente-t-il d'expliquer. Je ne sais pas, parce que c'est comme ça... Parce que ce jeu est un éternel recommencement..." Ce seront les dernières paroles embarrassées d'un Lièvremont que l'on sent après quatre ans de règne à court d'explications. "On a tendance à se fustiger, mais d'autres équipes ont fait preuve de suffisance", ose-t-il en énumérant les entrées en matière d'une Nouvelle-Zélande, à mi-temps vendredi face aux Tonga (41-10), ou de l'Ecosse, en difficulté samedi contre la Roumanie (34-24). Quant à ses joueurs, "ce sont eux qui jouent, qui sont sur le terrain. On dresse le cadre, on échange avec eux, mais c'est à eux de régler les problèmes. Vous les connaissez les joueurs, ce sont quand même des garçons expérimentés." Selon lui, ses joueurs se sont vus trop beaux, mais n'est-il pas finalement le premier à les surestimer: "Que cette équipe ait du talent et du potentiel, j'en suis persuadé, et elle l'a montrés, même sur un match aussi brouillon. Donc bien sûr l'objectif reste de se qualifier, donc de bien préparer et réaliser un meilleur match contre le Canada, et bien sûr rêver au titre de champion du monde. [...] Je balance sans arrêt entre une forme de rigueur et de les pousser à se sublimer et à travailler, et en même temps les encourager, alterner entre la rigueur et la confiance, parce qu'il en faut aussi. Avec des retours pas toujours aussi positifs que je l'espérerais." Une tâche décidément bien ingrate...