Lièvremont:"Les laisser se démerder"

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Propos recueillis par SYLVAIN LABBE , modifié à
L'invraisemblable fin de série face à l'Italie, prédite par Marc Lièvremont, est devenue réalité ce samedi, à Rome, où le XV de France, moins de quatre mois après la déroute contre l'Australie, a touché un peu plus le fond. Remonté contre ses joueurs, le sélectionneur tricolore les place face à leurs responsabilités, mais ne se laisse a priori d'autre choix que de reconduire son groupe.

L'invraisemblable fin de série face à l'Italie, prédite par Marc Lièvremont, est devenue réalité ce samedi à Rome. Le XV de France, moins de quatre mois après la déroute contre l'Australie, a touché un peu plus le fond. Remonté contre ses joueurs, le sélectionneur tricolore les place face à leurs responsabilités, mais ne se laisse a priori d'autre choix que de reconduire son groupe. Marc, vous aviez prédit, sans pour autant la souhaiter, cette fin de série de victoires contre l'Italie dans le Tournoi. QU'est-ce que ça vous inspire ? Il y de la déception, de la tristesse, j'ai envie de dire une déception de plus, même si je veux rendre hommage à cette équipe italienne, qui a pris le match par le bon bout, qui l'a tenu pendant 80 minutes et qui mérite sa victoire. On savait qu'un jour ça arriverait, évidemment j'espérais que ce serait pour une autre fois, ça n'a pas été le cas. Les Italiens ont su mettre des valeurs d'engagement, de solidarité et de conviction, autres évidemment que les nôtres. On n'a même pas su sauver les apparences sur la fin. Est-ce votre plus grande déception à ce jour à la tête de l'équipe de France ? C'est difficile de classer les déceptions parce qu'il commence a y en avoir un certain nombre. Je ne sais pas... C'est vrai que je suis particulièrement désappointé, et le mot est faible. Compte tenu du contexte, c'est envisageable, mais je n'ai pas fait de cauchemars dans la semaine en pensant à cette équipe d'Italie. Mais n'est-ce pas justement un cauchemar qu'a vécu cette équipe de France dans ce match ? Non, pas un cauchemar, le mot est un peu fort, il faut savoir être lucide, c'est quelque chose qui pouvait arriver. Encire une fois, quand on voit la trajectoire de ce rugby italien, quand on voit ces performances contre le pays de Galles et contre l'Irlande, et surtout quand on voit son investissement aujourd'hui, c'est logique. "J'aurais préféré une triste victoire à cette triste défaite" Cette défaite, l'aviez-vous senti venir malgré tout ? Non, je ne l'ai pas senti venir. J'étais assez mécontent de notre début de semaine, qui pourrait s'expliquer par un certain nombre de choses. Dès jeudi, j'avais le sentiment que les joueurs étaient dedans, on a bien vu dès l'entame que ce n'était pas le cas. Pourtant, vous avez mené 18-6 dans ce match et laissé à penser que vous en aviez pris la mesure ? Ce n'était pas contre le cours du jeu, mais pas loin... Encore une fois, en termes d'investissement, ce jeu est d'abord un sport de combat, et le combat, on l'a perdu dès les premières secondes. Le fait qu'on ait pu mener 18-6, c'est presque aléatoire et ce n'était certainement pas mérité, surtout si je me place du côté italien. Eux ont eu le mérite de ne pas s'effondrer, loin s'en faut, de continuer à jouer et à rester cohérent. Ils ont été récompensés. Ça veut dire que vous avez assez rapidement pensé que cette défaite avait quelque chose d'inéluctable ? Non, je ne dirais pas inéluctable, mais j'ai vu assez rapidement que ce serait assez compliqué et même à 18-6, je n'étais pas rassuré. Malgré tout, j'aurais préféré une triste victoire à cette triste défaite, mais ceci dit, je le répète, ça n'aurait même pas sauvé les apparences. Comment expliquer un tel manque d'investissement de la part de vos joueurs ? Il faudra le demander aux joueurs, je me suis toujours construit dans la remise en question, une forme de doutes, mais aussi à travers des convictions et l'envie de me battre ; aujourd'hui, je n'ai pas parlé aux joueurs après le match. Vous allez certainement remettre en cause pas mal de choses et de choix, mais encore une fois, je n'ai pas le sentiment de m'être passé samedi de joueurs providentiels. Même si je n'aime pas sortir du lot des joueurs, surtout lors d'une lourde défaite, comme c'est le cas aujourd'hui, il y a très peu de joueurs qui ont évolué au niveau que j'attendais. J'ai vu le capitaine se battre, Julien Bonnaire, Vincent Clerc lorsqu'il était servi... Peut-être que la vidéo en sauvera d'autres, mais j'en suis là. Vous en voulez aux joueurs ? Je m'en veux surtout à moi parce que j'ai toujours assumé les défaites. Je suis partagé entre cette déception et la colère. Je le disais, c'est dur à encaisser, le renoncement ne fait pas partie de mon vocabulaire, même s'il y a toujours le doute et la remise en question, Demain sera un autre jour, demain, il faudra refaire des choix, demain, il faudra continuer à se battre. Mais il arrive un moment où je ne suis pas sur le terrain. Cette revanche appartient essentiellement aux joueurs, il reste un match. On vous sent usé par cet éternel recommencement... Si c'était facile, ça se saurait. Oui, c'est décevant. Si vous dites ne pas avoir laissé d'hommes providentiels à la maison, faut-il comprendre que vous ne changerez rien pour le dernier match face au pays de Galles ou la grande lessive est-elle possible ? Dès le moment où j'ai le sentiment qu'il n'y a pas d'hommes providentiels - vous allez en trouver certainement... - je ne pense pas qu'en changeant Pierre, Paul ou Jacques par x, y ou z, on aurait rendu une meilleure partition. Peut-être sur un ou deux choix... Dimanche, est-ce que je vais dire: "On a été minable ensemble et vous allez vous bouger le cul pour laver ce nouvel affront." Ou est-ce que je vais sortir un, deux, trois joueurs... Je ne suis pas certain que ce soit la solution, dès le moment où on veut se projeter sur la Coupe du monde et que j'ai une idée assez précise de mon groupe, à deux ou trois exceptions près. "Je n'ai rien envie de leur dire pour l'instant" Pensiez-vous votre équipe à l'abri de ce genre de contre-performance ? Après l'Australie, oui, je le pensais vu l'investissement des joueurs depuis un gros mois. On n'avait pas le droit de sortir ce genre de performances, on l'a fait pourtant. N'aviez-vous pas envie à chaud, dans les vestiaires, de demander à vos joueurs: pourquoi ? Non, je l'avais fait après l'Australie, je ne suis pas sûr qu'ils m'aient répondu... Que voulez-vous que je leur dise ? Thierry Dusautoir leur a parlé, il a bien fait ; j'ai pris Thierry en aparté, mais je n'ai rien envie de leur dire pour l'instant. Vous répétez à l'envie que ce groupe vit bien. Vous gardez la même opinion aujourd'hui ? Sincèrement, oui, mais là aussi il faut poser la question aux joueurs. Moi, je le dis sincèrement depuis un moment. Je sais que beaucoup cherchent, si j'en juge à travers vos articles, des tiraillements, des clans avant, après l'Australie. Je ne l'ai jamais senti en tout cas. Ou alors je tombe des nues, ou alors je ne comprends rien... Même si l'expression commence à fatiguer, le groupe vit bien, peut-être trop bien, je ne sais pas... Il y a 80 minutes qui sautent aux yeux et qui me démontrent le contraire. Sur quelles ressources pouvez-vous vous appuyer désormais pour rebondir ? J'ai parlé déjà de ressources humaines, je crois que je vais les laisser se démerder un peu tout seul. A partir du moment où il n'y a pas d'homme providentiel et à partir du moment où j'ai dit que ce groupe, peu ou prou, ira à la Coupe du monde. On a une semaine pour tenter encore une fois de réagir. N'avez-vous pas tout de même le sentiment d'avoir été lâché par vos joueurs ? (soupir) Je ne sais pas... Il faudra poser la question aux joueurs... (son capitaine, présent à ses côtés, le coupe) (voir par ailleurs) Ce résultat n'est-il pas selon vous le résultat de votre nouveau mode de management mis en place à l'automne dernier ? C'est un peu facile comme raccourci... Ça veut dire quoi ? Que je revienne au mode de fonctionnement précédent ? Non, je ne regrette pas mon changement et c'est quelque chose que je devais faire à mon sens. Bien évidemment, j'ai pas mal de choses qui me passent par la tête aujourd'hui: est-ce que mon message est bien entendu ? Est-ce que je suis assez dur avec les joueurs ? Est-ce que je me fais comprendre ? Ces questions-là, vous vous les poserez, vous vous les posez déjà et vous n'avez qu'à les poser aux joueurs.