Dick: "L'arme pour le Vendée"

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Propos recueillis par LAURENT DUYCK , modifié à
Sauf catastrophe, Jean-Pierre Dick remportera lundi matin aux côtés de Loïck Peyron la Barcelona World Race, sa quatrième victoire en double, lui qui était déjà le tenant du titre de ce tour du monde. Joint dimanche midi à 110 milles du but, le Niçois savourait déjà ce succès annoncé, qui valide la bonne marche de son bateau en vue du Vendée Globe, son réel objectif.

Sauf catastrophe, Jean-Pierre Dick remportera lundi matin aux côtés de Loïck Peyron la Barcelona World Race, sa quatrième victoire en double, lui qui était déjà le tenant du titre de ce tour du monde. Joint dimanche midi à 110 milles du but, le Niçois savourait déjà ce succès annoncé, qui valide la bonne marche de son bateau en vue du Vendée Globe, son réel objectif. Jean-Pierre, quelle est votre situation sur l'eau ce dimanche midi ? On a retrouvé un peu de vent. On risque d'avoir encore une petite pétole (une zone sans vent, ndlr) en milieu de journée. Par contre, on devrait retrouver un peu de vent dans la nuit pour une arrivée demain matin à Bacelone, vers sept heures si tout se passe bien. Il nous reste encore 110 milles à faire au moment où je vous parle. Vous touchez au but... Oui, c'est quasiment dans la poche maintenant. On a encore 250 milles d'avance sur nos concurrents, il ne faut pas casser le bateau, ne pas heurter de cargos, mais bon, la mer est plate, ça devrait bien se passer. Ces dernières heures sont-elles difficiles à vivre ? Non, ça va. Vu l'ensemble du parcours qu'on a fait, on y va sereinement. On est surtout heureux d'arriver demain, on n'est plus à une journée près. La pression de la course est un peu retombée. On sait que, quoiqu'il arrive, on sera devant Mapfre et qu'on va gagner cette course. C'est un moment de bonheur, on est sur l'eau. On n'est pas encore assailli de questions (sourires). On prend plaisir à être là en Méditerranée. Hier, on était un peu plus tendus parce qu'on était un peu plus loin de l'arrivée. Comme nous étions encalminés, Loïck (Peyron) a plongé. Moi, j'ai suivi derrière, ça m'a détendu un peu. C'était un bon moment, comme il y en a eu plein durant cette course. "On a dû se sortir les tripes pour rester devant au Cap Horn" Quels moments garderez-vous de cette course ? Le Cap Horn, ça reste un moment fort, le moment voyage avec la Patagonie, des trucs superbes. D'un point de vue de la course, notre retour sur Michel Desjoyeaux a été un moment agréable, notre record journalier (516 milles en 24 heures, ndlr) était aussi un moment fort. Mais il y a eu aussi des moments difficiles, notamment nos deux arrêts (à Recife et Wellington, ndlr). Le premier a été traumatisant parce qu'on aurait pu abandonner. Et puis des coups de vent, des moments de doutes où on a eu peur que le bateau casse. En trois mois, il se passe plein de choses. Bon, il s'est passé aussi plein de choses dans le monde. On n'est pas seuls au monde, loin de là. Mais on arrive heureux. C'est un privilège de faire un tour du monde. C'est un sacré bout de chemin et terminer en tête, ce n'est que du bonheur. Avez-vous le sentiment d'avoir eu un peu de réussite dans vos malheurs en bénéficiant de conditions favorables à la sortie de vos deux escales ? Sur les arrêts, c'est sûr qu'on a eu un peu de réussite, on ne peut pas dire le contraire. Notre chance tient aussi au fait qu'on ait pu s'arrêter assez rapidement après nos avaries. Après, l'équipe s'est démenée, on s'est battu pour ne pas perdre trop de temps. A Recife, on n'a perdu qu'une journée, c'était un sacré challenge et une belle réussite d'organisation. On n'a pas chômé. Et heureusement car ça nous a permis de conserver le contact avec la tête de course. Quel parallèle faites-vous avec votre première victoire sur cette course ? Il y a plein de points de comparaison. A l'époque, il y avait eu une grosse bagarre avec PRB qui ressemblait beaucoup à celle que l'on a eue avec Foncia, lequel a démâté exactement au même endroit, il y a des similitudes troublantes. L'Indien a été un peu plus cool cette année. Mais dans le Pacifique, on a retrouvé la pression de Mapfre, comme celle de Hugo Boss la dernière fois. La deuxième partie de course a été plus intense avec ce duel avec Mapfre. Ce sont de sacrés champions ces Espagnols. Ils sont bons. Ils ont fait preuve de hargne. Vous ont-ils impressionné ? Oui. On en avait discuté avec Loïck avant le départ. Il n'avait pas une confiance absolue dans ces Espagnols. Moi, j'ai toujours pensé que c'était des gars de haut-niveau. Ils n'ont pas forcément notre expérience de la course au large mais ils ont apporté leur fraîcheur. Dans le grand sud, ils m'ont impressionné. On a dû se sortir les tripes pour rester devant au Cap Horn. Ça n'a pas été simple. "Ce bateau, c'est une Formule 1" Cette victoire valide-t-elle aussi votre bateau ? Le grand motif de satisfaction, c'est que le bateau va vite. C'est de bon augure en vue du Vendée Globe. Il y a une communion maintenant entre lui et moi. Loïck a beaucoup apporté évidemment sur cette course. Mais je pense que maintenant, j'ai vraiment l'arme pour gagner le Vendée. A moi de m'appliquer pour être dans le coup. Aviez-vous besoin d'être rassuré sur ce point à la sortie de la Route du Rhum ? La Route du Rhum a été un peu particulière. Je n'étais pas vraiment inquiet pour le bateau. J'ai eu des problèmes techniques qui ont fait que j'ai eu la tête dans le guidon en permanence, d'où quelques erreurs de stratégie qui m'ont couté cher. Cette course est oubliée. Là, on est passé à autre chose. Le bateau est beaucoup plus fiable, même si on a eu encore une fois deux arrêts au stand. Mais c'est une Formule 1, on a tout calculé au millimètre. Il ne faut pas sortir de la route parce que le bateau est léger. Il va très vite, c'est une bête pour gagner, mais il faut aussi le maintenir en état. Qu'est-ce que Loïck Peyron vous a apporté dans la gestion d'un tour du monde ? Que dire ? J'ai ma propre expérience, j'ai imaginé ce bateau, j'ai mis une grosse partie de moi dans ce projet. Mais Loïck, que je connais bien, a apporté son regard sur plein de choses, ce qui permet éventuellement de réajuster des choses, de les améliorer. C'est bien qu'il ait pu se libérer. Ce n'est que du bonheur de naviguer avec lui. A titre personnel, mais aussi professionnel. Il n'a pas le même caractère que Damian Foxall avec qui j'ai gagné la première édition mais c'est plaisant de naviguer avec les deux. La course en double, c'est votre truc... Oui, je commence à devenir le spécialiste. Si je gagne celle-ci, je n'aurai jamais perdu une course en double puisque ça fera quatre, avec deux Transats Jacques-Vabre et deux Barcelona World Race. C'est incroyable ! Peut-on classer ces victoires ? C'est assez difficile. Elles ont chacune leur couleur. La première (la Transat Jacques-Vabre 2003 avec Nicolas Abiven) était assez exceptionnelle. Elle montrait que j'existais à la face du monde de la course au large. Celle-là est la plus belle sur le papier car le plateau à Barcelone était exceptionnel avec certains des meilleurs skippers mondiaux, Desjoyeaux, Le Cam. "Je savoure car ce sont des moments rares" Avez-vous trouvé sur cette course ce que vous en attendiez ? J'ai deux grandes passions: celle de la mer et celle de la compétition. Conjuguer un voyage autour du monde comme celui-là à la compétition, c'est pour moi un grand bonheur. C'est ce qui me fait vibrer. Ce n'est pas futile. On apprend sur soi-même. Certains nous demandent à quoi servent nos courses. J'ai le souvenir d'être allé dans un centre de paraplégiques, des personnes gravement atteintes. Le regard qu'ils vous jettent, le rêve que vous leur donnez, rien que ça, c'est exceptionnel. Même si ce que l'on fait reste un privilège. Cette course reste-t-elle plus facile qu'un Vendée Globe ? Oui, c'est plus facile. La dimension qui fait la différence, c'est la gestion du couple alors que sur le Vendée, c'est la gestion psychologique personnelle. C'est important de se gérer soi-même. Ce sont deux courses différentes. Mais là, avec Loïck, avec une grande confiance, de l'expérience, c'est plus facile. Même si c'est loin d'être une promenade de santé. Ça reste une course difficile. Dans cette gestion de couple, on a du mal à croire qu'il n'y a jamais eu de moments de tension ? Comme dans un couple, il y a des choses qui restent entre nous. Sachez qu'il n'y a pas eu d'engueulades majeures. Il y a eu des discussions. Mais il y a un grand respect, des deux côtés d'ailleurs, qui fait que ça marche bien. Vous allez passer une dernière nuit ensemble avant de vous séparer. Appréhendez-vous cette séparation ? (Rires) C'est presque charnel ! Il y a un rythme qui va changer, c'est clair. Pendant 90 jours, ça a été spartiate. Ce bateau, c'est un bloc de carbone pur. On s'assied sur les marches et on a un trou pour faire caca... Là, on va se retrouver dans des hôtels plus cossus, on va manger une bonne viande... On s'habitue vite au luxe. On va vite passer à autre chose. Loïck a déjà la tête à la Coupe de l'America. Moi, j'ai mes projets qui continuent. Ça va aller vite ! Et au final, le plus long pour moi, ce n'est pas d'être en mer, c'est le temps qu'il faut pour construire ce bateau, pour le mettre en forme. Il y a des concessions sur la vie privée qui sont pour moi presque plus importantes. Le résultat est là avec cette belle victoire. Quel sentiment domine aujourd'hui ? Je vis ma vie de cette manière. J'ai de grands objectifs et lorsque j'en ai atteint un - croisons les doigts, ce n'est pas encore fait - j'ai un moment de bonheur dans ma vie qui dure quelques jours. Là, je savoure car ce sont des moments rares. Il ne faut pas les bâcler.