Coville: "Le Cap de bonne délivrance"

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A.C. , modifié à
C'est au petit matin pour lui, à 12h24 en France, que Thomas Coville, après 38 jours 16'32", a franchi mardi le Cap Horn, non sans avoir essuyé une ultime grosse tempête dans le Pacifique. Joint au moment où il naviguait à 200 mètres du Rocher, le skipper de Sodebo a confié son soulagement de sortir du Grand Sud. Avec 2 jours 11h40' de retard sur le tableau de marche de Francis Joyon, le record du tour du monde (57 jours 13h34'06) reste dans ses cordes.

C'est au petit matin pour lui, à 12h24 en France, que Thomas Coville, après 38 jours 16'32", a franchi mardi le Cap Horn, non sans avoir essuyé une ultime grosse tempête dans le Pacifique. Joint au moment où il naviguait à 200 mètres du Rocher, le skipper de Sodebo a confié son soulagement de sortir du Grand Sud. Avec 2 jours 11h40' de retard sur le tableau de marche de Francis Joyon, le record du tour du monde (57 jours 13h34'06) reste dans ses cordes. La dernière nuit avant le Cap Horn : "J'aurais pu chavirer" "Je suis en train de passer le Cap Horn pile poil, avec Neutrogena (quatrième de la Barcelona World Race qui se dispute simultanément, ndlr) à 50 mètres de moi, je viens de les croiser, on s'est parlé il y a quelques minutes. Le jour se lève sur le Cap Horn, c'est majestueux, incroyable, magnifique ! C'est la première fois que je le passe si près, je suis à 200 mètres. Cette nuit, j'ai essuyé une très grosse tempête avec des vents de plus de 40 noeuds, des rafales à 50, une très grosse mer de 6 à 8 mètres de nord-ouest qui déboulait sur le continent. Dans ces moments-là, on se sent tout petit, les derniers milles pour arriver jusque-là ont été très intenses et très difficiles. Souvent, j'ai ronchonné en disant que je n'avais pas beaucoup de réussite, hier, ça allait très vite, j'étais plutôt dans un bon timing pour avoir le record du Pacifique, que je n'aurais finalement pas à cause de cette tempête, et je ne sais pas pourquoi, j'ai pris le troisième ris (il a réduit la surface de grand-voile, ndlr). Plus par instinct, car rien ne m'y obligeait, mais si je ne l'avais pas pris à ce moment-là, j'aurais chaviré dans l'heure qui suit et je n'aurais jamais passé le Cap Horn en ce moment. C'est le contexte global de cette nuit qui me donne une jouissance incroyable." Le passage du Cap Horn : "D'un seul coup, ça explose" "C'est un moment inouï dont je vais me souvenir toute ma vie, ce n'est pas le plus beau de mes Cap Horn, mais pas loin. En multicoque, c'est toujours un moment très différent. Il y a quelques jours encore, on était autour des glaces, la moindre erreur était fatale, on est vraiment dans le sport extrême, et dans l'extrême du sport extrême, dans l'engagement ultime. Car tu sais que si tu fais une erreur et que ça ne se passe pas bien, tu es mort, on ne viendra pas te chercher. Le Cap Horn, tu reviens dans un monde un peu plus facile d'accès, civilisé. J'aime bien appeler le Cap Horn le «Cap de la bonne délivrance», c'est la délivrance de tellement de concentration, de stress, de tension nerveuse, de fatigue, de tellement d'efforts que d'un seul coup, ça explose. C'est des moments magiques qui rendent amnésique, on oublie les mauvais moments et les souffrances. Le Cap Horn, à chaque fois, c'est une rencontre. C'est une personnalité, il a une gueule, ce caillou, c'est un gros rocher avec une espèce de petite colline derrière, un pan entier d'herbages qui descend dans l'eau. Je le dédie à tous les gens qui ont dans la tête ou dans le coeur un projet. Même si ça paraît fou, juste tentez-le ! Il y a des moments comme le Horn qui récompensent le fait d'avoir juste essayé, c'est déjà énorme." Son retard sur Francis Joyon : "C'est faisable" "J'ai beaucoup de retard, mais rien n'est impossible, je ne vais rien lâcher, je vais continuer à faire mon job. Je ne suis pas satisfait d'avoir du retard, mais par rapport au contrat fixé, au tableau de route qu'on avait envisagé en étant lucide, c'est satisfaisant. Après le Cap Horn, il (Francis Joyon) avait pris du temps pour réparer car il avait eu quelques misères. Sur la remontée de l'Atlantique Sud, il y a des choses à faire, il avait pas mal réparé de choses, ça ne s'était pas super bien passé pour lui. Donc c'est plus sur l'Atlantique Sud qu'il faudrait qu'on puisse revenir, voire passer devant, mais c'est encore très loin. Le chrono est extrêmement difficile à battre, mais stratégiquement, c'est faisable, on va le tenter. Mon objectif était d'arriver au Cap Horn avec moins de 1000 milles et un bateau en bon état, c'est le cas, c'est une très grande satisfaction et une très grande fierté. Ce matin en ayant passé cette baston, j'avais l'impression tout bêtement et sans fausse modestie d'être devenu un bon marin, j'avais amené mon bateau jusqu'au Horn en ayant été relativement vite. C'est une partie du parcours qui s'achève et une nouvelle qui commence, on va rentrer dans une compétition plus ouverte à partir de maintenant." Son état d'esprit : Psychologiquement, c'est très difficile à tenir" "Depuis le début, je suis dans l'état d'esprit de prendre les choses au fur et à mesure, quitte à être un peu primaire, j'essaie de ne pas trop penser au chrono, sinon on fait des plans sur la comète et quand ça ne se réalise pas, c'est cauchemardesque. Ce n'est pas facile (de courir derrière le temps, ndlr), car de tous les records en solitaire, c'est le premier où il ne suffit pas de finir pour battre le record. Ellen (Mac Arthur) et Francis (Joyon) (*) se battaient contre des temps très abordables par rapport à leur bateau et à l'évolution technologique du moment. Psychologiquement, c'est ce qu'il y a de plus difficile. Le défi physique est le même, le défi technique est le même, le défi météo, il faut s'adapter avec ce qu'on a, mais le chrono dans la tête qui tourne et est en ta défaveur dès le départ, psychologiquement, c'est très difficile à tenir, c'est la plus grosse difficulté. Parce qu'à certains moments, on est tellement loin, on a eu jusqu'à 1300 milles de retard, qu'il faut s'accrocher dans la tête en se disant que ça reste possible. Ce défi mental est deux fois plus difficile à gérer que le défi physique. Maintenant, j'ai décidé de ne m'intéresser qu'à l'instant, de ne pas avoir trop de perspectives, de ne pas me prendre la tête avec le retard, de ne pas essayer de refaire le film 15000 fois. C'est peut-être assez primaire, basique, mais ça ne marche pas si mal que ça d'être plus terre à terre et plus concentré juste sur ce que je fais. En plus, je prends plus de plaisir, je suis vraiment en contact avec mon bateau et l'élément. C'est une concentration qui doit durer 57 jours." (*) Ce record a été successivement détenu par Alain Colas en 1973, Philippe Monnet en 1988, Olivier de Kersauson en 1989, Francis Joyon en 2004, Ellen MacArthur en 2005, Francis Joyon depuis 2008