Cammas: "Pas la carte postale..."

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Propos recueillis par L.D. de la vacation spéciale , modifié à
VOILE -

Franck Cammas a confié ses impressions avant de passer le Cap Horn à bord de Groupama 3.

VOILE- Franck Cammas a confié ses impressions avant de passer le Cap Horn à bord de Groupama 3. Franck, quelle est votre situation sur l'eau en ce moment (à 17h30, début de la vacation) ? On est à 30 milles du Cap Horn, au près en direction de l'Est. On est assez loin du Cap, à une centaine de milles dans le sud. On ne peut pas monter plus nord parce que le vent vient du nord-est actuellement. On attend que le vent adonne pour remonter plus nord et viser les Falkland. La mer s'est beaucoup calmée depuis la nuit dernière. Jusqu'à notre empannage (vers 02h00, ndlr), on venait de subir 24 heures de mer à sept mètres avec de la forte houle et beaucoup de vent. Depuis, le vent est tombé et la mer aussi. C'est calme, c'est gris, contrairement à la veille où on avait un ciel limpide, bleu. C'est plutôt calme à bord, ça nous permet de recharger un peu les batteries après quelques jours un peu difficiles où il ne fallait pas mollir à la barre et aux manoeuvres. Ce Cap Horn semble se faire désirer pour vous ? C'était prévu. On avait vu sur les routages. On est au près dans du petit temps donc c'est difficile d'avancer dans ces conditions-là. On est dans une période de transition entre deux systèmes. C'est vrai que c'est atypique de passer le Horn de cette manière. Normalement, on passe plus près du caillou avec du vent portant. Mais, on est juste derrière la dépression qui nous a amenés jusqu'ici, qui nous a freinés aussi quelque part puisqu'on a dû la laisser s'échapper devant nous. Donc c'est assez étonnant. On n'a pas la carte postale... "Un Everest pour les marins" Que représente ce premier passage du Cap Horn pour vous ? Pour moi, c'est un accomplissement de marin de pouvoir franchir ce rocher. Ça marque la fin d'un parcours autour de l'Antarctique qui est toujours difficile pour les marins mais aussi un Everest pour nous, une grosse part dans un tour du monde, peut-être un des endroits les plus difficiles, et le franchir avec un bateau comme Groupama, c'est un beau défi et en même temps très excitant. C'est un peu notre diplôme pour le parcours que l'on vient d'effectuer dans des mers et des vents très puissants que l'on retrouve uniquement ici. Pas trop déçu néanmoins de ne pas voir le caillou pour votre premier passage ? C'est vrai, j'aurais bien aimé le voir. C'est décevant et frustrant. Il faudra que j'y revienne le plus vite possible pour faite la photo. On verra les Falklands mais pour l'instant pas de terre en vue ! Parmi les vieux routiers qui vous accompagnent sur Groupama 3 (sept des dix marins avaient déjà franchi le Cap Horn), certains vous ont-ils préparé un bizutage ? Je ne sais pas ! J'étais en train de dormir donc je n'ai pas vu ce qui était en train de se préparer. Mais, le pire individu (Steve Ravussin avec lequel il a partagé toute sa carrière et qui est réputé pour être le joyeux drille de la bande avec Jacques Caraës, ndlr) n'avait jamais passé le Cap Horn non plus, donc ça me rassure (rires). Quelles sont les choses qui vous ont étonné pour votre première dans le sud ? Oui, le plus étonnant c'est que tout est surdimensionné. Lorsqu'il y a une dépression, elle est plus forte, quand la mer se forme dans du vent, elle se forme plus vite, les grains passent plus vite, les rafales sont plus fortes... C'est plus extrême. Ça ajoute à ce sentiment d'être un peu seul au milieu d'un désert aquatique sans porte de sortie. "On risque donc de perdre pas mal de temps dans les jours qui viennent..." Pouvez-vous nous dire ce qui vous attend dans les heures et les jours à venir après le passage du Cap Horn ? On ne va pas être gâtés au niveau météo dans les jours qui viennent avec du vent qui devrait être de secteur nord puisqu'on a un anticyclone qui s'est positionné dans notre nord. Il va falloir le contourner en faisant du près, ce qui va nous changer de ces dernières semaines. Ça risque de durer trois jours environ. En attendant que ça tourne vers l'ouest mais on ne sera pas encore, alors, dans les alizés. Avant, il faudra gérer un système un peu compliqué avec des dépressions pour avancer. Le près est-il une allure qui convient à Groupama 3 ? Ouais, Groupama 3 est à l'aise au près. Mais ça va beaucoup moins vite qu'un bateau au portant, surtout sur ces bateaux de cette taille-là. On risque donc de perdre pas mal de temps dans les jours qui viennent sur le record à cause de ça. Au même moment, Orange était au reaching (vent de côté, ndlr) ou au portant avec des vents assez forts donc ils avaient eu des conditions plutôt exceptionnelles pour ce début de remontée de l'Atlantique. Où pouvez-vous espérer récupérer le temps que vous perdrez dans les prochains jours sur Orange II lors de cette remontée de l'Atlantique ? On peut en gagner quand on a la chance d'avoir les mêmes conditions météo que lui. Dans les alizés, on peut espérer récupérer du terrain. Là, on va avoir trois-quatre jours complètement différents de ce qu'il avait donc on va perdre pas mal d'heures, il risque même de nous passer devant. Mais ça fait partie du jeu du record, il n'y a pas que la performance et l'utilisation du bateau qui font la différence mais il y a aussi cette part de chance dans la météo que l'on peut avoir. A nous de récupérer ça par la suite. Dans l'Atlantique nord, Orange II avait perdu quelques heures en contournant l'anticyclone donc j'espère que sur le bilan final on aura nos chances. "Groupama 3 a réussi son examen de passage dans les mers du sud !" Dans quel état se trouve le bateau ? On fait souvent des tours pour savoir si la structure est intègre. On n'a rien observé de particulier. On a des petits points d'usure sur les foils par exemple où on voit que ça a beaucoup travaillé, notamment ces deux derniers jours où on était sur le foil bâbord. Mais rien d'exceptionnel. Pour tout le reste, même si ça a certainement vieilli, on ne le voit pas. Donc, pour l'instant, on peut utiliser toute la puissance du bateau sans arrière-pensée. On a toujours 100% du potentiel du bateau aujourd'hui et on va devoir l'utiliser dans les jours à venir. C'est heureux pour les 15 prochains jours. Groupama 3 a réussi son examen de passage dans les mers du sud ! Avez-vous profité de meilleures conditions ou des réparations effectuées par le passé ? On a eu des conditions difficiles et on a dû forcer sur le bateau pour garder des allures soutenues. Finalement, tous nos malheurs anciens nous ont servi pour la fiabilité d'aujourd'hui. Heureusement, que les longues heures qu'on a passées avec ce bateau depuis sa naissance nous ont permis de le fiabiliser au mieux. On est très content d'avoir pu traverser ces galères et d'en retirer le côté positif en ayant gommé ces points de faiblesse. Qu'en est-il de l'état des troupes ? Ouais, ça va. On a eu une dent cassée chez Loïc Le Mignon mais vu qu'il ne barre pas avec les dents, c'est bon (rires). Sinon, rien de spécial. Il faut réussir à dormir au mieux. Quand ça secoue beaucoup comme ces derniers jours, ce n'est pas évident. On était peut-être un peu plus fatigués mais là on récupère bien en ce moment pour attaquer la suite. Et on arrive à manger tant bien que mal les choses dégueulasses qu'on nous propose tous les jours !