Cammas: "On a encore du travail"

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Laurent Duyck , modifié à
Il a tout gagné ou presque sur « trois pattes », concluant douze années de multicoques par un Trophée Jules-Verne et une Route du Rhum en 2010. A 38 ans, Franck Cammas s'est lancé dans un nouveau challenge, la Volvo Ocean Race, un tour du monde en équipage sur monocoque et avec escales extrêmement relevé et exigeant. Entretien avec le skipper de Groupama 4 à la veille du départ de la première étape vers Le Cap en Afrique du Sud.

Il a tout gagné ou presque sur « trois pattes », concluant douze années de multicoques par un Trophée Jules-Verne et une Route du Rhum en 2010. A 38 ans, Franck Cammas s'est lancé dans un nouveau challenge, la Volvo Ocean Race, un tour du monde en équipage sur monocoque et avec escales extrêmement relevé et exigeant. Entretien avec le skipper de Groupama 4 à la veille du départ de la première étape vers Le Cap en Afrique du Sud. Le coup d'envoi de la Volvo Ocean Race a officiellement été donné samedi avec la première régate in-shore. Avez-vous le sentiment que c'est bien parti ou attendez-vous encore avec impatience le départ de la première étape qui sera donné samedi ? Pour moi, la Volvo Ocean Race est une course au large. On s'est préparé pour ça ces deux dernières années. L'idée que je me fais de la Volvo, c'est plutôt ce qui va se passer samedi prochain, la première étape vers Cape Town (Le Cap en Afrique du Sud). Là, c'était un prologue. Mais bon, un prologue qui compte, il y a des points à gagner... On n'est pas des grands spécialistes de ce genre de régates mais on apprend. Et c'était très instructif de voir les autres bateaux tourner autour de nous. Quand on est au contact comme ça avec nos concurrents, ça nous apprend aussi à bien faire régler le bateau, à bien le faire fonctionner sur un espace réduit. Vous a-t-il fallu remonter les troupes après cette première régate achevée à la cinquième place ? On est déçu du résultat parce que je pense qu'on a fait une bonne première partie de régate. A bord, nous avons bien progressé. Malheureusement, ça ne se voit pas à travers le résultat. Donc, on est un peu frustré. Mais avec l'équipage, nous étions plutôt heureux de la communication à bord. Après, on ne peut pas se contenter de ça. On a fait des erreurs en fin de régate qu'on ne devra plus commettre la prochaine fois. Mais je préfère retenir la régate qu'on a faite le lendemain, une régate qui ne comptait pas. Dans plus de vent, on a vu que Groupama 4 avançait bien. Ça nous a un peu remonté le moral, sachant que ce tour du monde devrait se faire dans des conditions de vent puissantes. Et qu'il ne faudra pas négliger ces régates in-shore qui compteront pour 18% du total de points... Exactement. C'est sûr qu'on se retrouve face à des adversaires qui sont issus de la filière olympique, il y a beaucoup de médailles d'or sur le plan d'eau, des gens qui connaissent très bien ce type de régates. Sur Groupama, on a un équipage qui vient principalement de la course au large... Mais il ne faut pas négliger ces régates. On travaille sur le sujet. Mais nous n'étions pas largués samedi, nous étions en milieu de flotte, ce qui n'est pas si mal dans un premier temps. Maintenant, on a neuf mois pour grappiller des places à ce niveau-là. "On a bien envie de prouver notre niveau par rapport au reste du monde" Sur les conditions de navigation étaient un peu spéciales samedi, avez-vous eu l'occasion de jauger la concurrence et de vous faire une idée sur votre principal concurrent ? On ne peut pas juger les performances des bateaux dans ce genre d'épreuve, avec un vent aussi tordu sur la fin. Après, on sait, en voyant la forme de leur coque, qu'il y a des bateaux un peu plus typés pour le petit temps. Nous avons pris une autre option avec Groupama 4, un bateau extrêmement puissant donc qui démarre moins vite que d'autres dans le petit temps. Après, depuis le début, je pense que Puma va être un adversaire très sérieux. L'équipage a démontré samedi, avec un bateau pas forcément taillé pour le petit temps, qu'il naviguait bien. Ils sont toujours aux avant-postes depuis qu'on navigue ensemble à l'entraînement. Pour l'instant, je trouve que c'est l'équipage le plus complet, le plus polyvalent. Et on sait que les gars à bord connaissent la musique, avec plusieurs victoires sur la Volvo pour certains. Pour vous, c'est une première. Au cours de ces deux dernières années de préparation, vous êtes-vous posé la question de savoir si vous aviez fait le bon choix, si vous étiez à votre place ? Avez-vous douté ? Les doutes nous font avancer et j'en aurai jusqu'au bout. Il faut regarder ce qui se passe autour de nous, il faut se jauger par rapport aux autres. Et je sais qu'aujourd'hui, on n'a pas encore le niveau pour être aisément en haut de la flotte. On sera content de nous quand on se sentira vraiment à l'aise et ce n'est pas le cas aujourd'hui. On a encore du travail. Mais on est vraiment motivé. J'ai l'impression que Groupama 4 est un bon bateau. Donc des doutes, non... Je reste très humble sur notre niveau pour l'instant mais c'est très intéressant de participer à cette course parce que le niveau est très élevé. On a envie d'apprendre et c'est ce qui est motivant et passionnant pour une équipe comme la nôtre. Une équipe 100%, la première depuis La Poste d'Eric Tabarly en 1993-1994. L'héritage est-il lourd à porter ? Non, ce n'est pas une pression négative, c'est au contraire une motivation et une fierté d'être à la tête d'un projet français parce que la France mérite d'être présente sur cette course. Et on a bien envie de prouver notre niveau par rapport au reste du monde ! Le pavillon français nous motive d'autant plus, comme l'idée de faire vivre la mémoire de Lionel Péan (seul vainqueur français de l'épreuve en 1986), de Philippe Poupon, d'Eric Tabarly et de tous ceux qui sont passés par là avant nous. C'est un bel héritage. Mais il y a encore plein de belles histoires à raconter. "Neuf Route du Rhum à suivre avec quinze jours de repos entre chaque" Vous détenez encore le Trophée Jules-Verne (Banque Populaire doit s'attaquer au record dans les jours à venir). Cette expérience à la barre de Groupama 3 est-elle transposable à la Volvo Ocean Race. Peut-on comparer ces deux façons de faire le tour du monde ? L'expérience est transposable, bien évidemment, parce que le parcours, à 90%, est le même, les océans sont les mêmes. C'est de l'équipage, dans un cas comme dans l'autre. Par contre, la vraie différence, c'est que le Trophée Jules-Verne, c'est un record alors que la Volvo Ocean Race est une course. La philosophie n'est pas la même au départ, à commencer par la construction du bateau puisque sur un Jules-Verne, il n'y a aucune limite. Il n'y a pas d'adversaire donc c'est très difficile de se jauger, si ce n'est contre le chronomètre. Même si c'est extraordinaire, même si ça a permis de créer des bateaux fantastiques, même si c'est une aventure incroyable que de naviguer pendant une cinquantaine de jours à ces vitesses-là et même si je suis super fier d'avoir vécu ça avec mon équipage, c'est moins valorisant finalement que face à de vrais concurrents, il manque ce petit piment de compétition qu'on a lorsqu'on part avec des concurrents autour de nous, lesquels vont nous pousser dans nos retranchements. On n'aura aucun droit à l'erreur alors que sur un Jules-Verne, l'erreur peut passer inaperçue si le chrono est du bon côté. L'autre différence, c'est la durée de cette course, plus de huit mois, c'est long. Appréhendez-vous ce facteur temps ? C'est vrai que c'est particulier. C'est comme si on faisait neuf Route du Rhum à suivre avec quinze jours de repos entre chaque ! Ça va être extrêmement intense. Et puis, c'est toute une équipe engagée dans cette aventure, près de 50 personnes. Il y a un facteur humain qui sera très important. Comment gérer 50 personnes et garder la même motivation pour chacun pendant les neuf mois de course où il y aura certainement des hauts mais aussi des bas ? Il faudra que chacun soit fort mentalement et qu'on le soit surtout collectivement. Pas forcément que sur le bateau. A la limite, ça, je sais faire puisque j'ai l'habitude de partir au large avec une équipe. Le plus difficile à entretenir, ce sera ce lien entre les gens qui naviguent et ceux qui restent à terre. Et il faudra gérer la motivation de l'équipe si les résultats ne suivent pas. Moi, je sais que tant que la ligne d'arrivée n'est pas franchie, la victoire peut être au bout. Et qu'un jour au l'autre le travail finit par payer. Mais il faut que chaque personne du team ait cette persévérance et cette envie d'aller au bout d'elle-même et du projet pour n'avoir aucun regret. Comment fait-on ? En engueulant ou en encourageant ? Engueuler, ça peut être bien (rires) mais il faut que ça reste toujours positif. C'est toujours plus facile de descendre la pente que de la monter dans les moments difficiles. Non, je pense qu'il faut surtout se soutenir, donner des places fortes à chaque membre de l'équipe, que chacun se sente partie prenante du résultat. Et puis, il faut toujours faire ressortir les côtés positifs, ne jamais les oublier. En mer, on fait une succession d'erreurs et c'est celui qui en fait le moins qui gagne au bout. Même les vainqueurs auront fait des erreurs. Alors, quand on gagne, on a tendance à les oublier. Et quand on perd, on a tendance à ne retenir que ça. Il faut savoir apprendre de ses erreurs pour en faire moins la fois suivante. Et c'est pour ça que l'expérience est aussi importante sur ce genre de course.