Viol : l’omerta demeure mais l’écoute progresse

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Une bénévole d'une association d'aide aux victimes de viol © ALEXANDER KLEIN / AFP
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Caroline Politi
Selon une étude de l’ONDRP, seule une victime de viol sur cinq a déjà poussé la porte d’un commissariat ou d’une gendarmerie. Un chiffre qui n’évolue guère malgré les progrès pour recueillir au mieux la parole. 

C’était un soir de juin, il y a deux ans de cela. Marion* rentre d’une soirée chez des amis lorsqu’un homme l’aborde. "Il avait la trentaine, peut-être un peu plus. Rien de spécial, il paraissait normal." Il veut une cigarette, elle ne fume pas. Il s'en moque et la suit, sans pour autant tenter d’engager la conversation. Rapidement, la jeune femme, "pas particulièrement méfiante à l’époque", comprend que quelque chose de grave est en train de se jouer. Les rues sont désertes, elle accélère le pas. Lui aussi. Quelques minutes plus tard, il sort un couteau pour la contraindre à la suivre dans un parc. Et la viole. Le temps s’arrête, une éternité passe. Ce sont deux passants qui donnent l’alerte. Son agresseur a déjà pris la fuite. Au commissariat, deux agents, un homme et une femme, la prennent en charge. "Ils ont pris le temps de me calmer, de me rassurer. Ce moment est très flou dans ma mémoire, mais je garde le souvenir de gens 'gentils'. Ça n’aide pas à s’en remettre mais au moins ça n’aggrave pas les choses." Marion a porté plainte. Deux ans après, son dossier est toujours en cours d’instruction.

Une femme violée sur cinq a poussé la porte d’un commissariat. Si on estime à quelque 75.000 le nombre de femmes violées chaque année en France, le taux de plainte reste toujours aussi bas. Selon une étude publiée ce mercredi par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), seule une victime sur cinq s’est rendue au commissariat ou à la gendarmerie. "C’est une infraction traumatisante liée à l’intime, explique son directeur, Christophe Soullez. Les victimes ont peur d’être jugées, d’être elles-mêmes mises en cause d’une manière ou d’une autre. Certaines, notamment dans le cas des violences conjugales, n’ont même pas conscience d’être victimes." Ajouter à cela le fait que la majorité des agressions sont commis par un proche, et l’omerta règne. Même celles qui poussent la porte d’un commissariat ne vont pas toujours au bout de leur démarche. Selon l’ONDRP, seules 13 % des victimes de viols ont porté plainte, 4 % ont déposé une main courante, et 2 % sont reparties sans effectuer aucune des deux démarches. 

Apprendre à écouter. Depuis une dizaine d’années pourtant, l’accent a été mis sur l’accueil et l’écoute des victimes. Des stages d’apprentissage donnés par des psychologues, médecins ou spécialistes sont proposés aux agents chargés de recueillir la parole. "La difficulté dans ce genre d’affaire est d’obtenir un maximum d’éléments pour caractériser au mieux l’infraction afin que la plainte tienne sans heurter la victime", explique Audrey Colin, conseillère technique pour le syndicat Synergie. Certaines questions peuvent être ressenties comme des éléments culpabilisants. Avez-vous bu ? Connaissez-vous votre agresseur ? Si oui, dans quel contexte l’avez-vous rencontré ? "On est obligé de cerner le plus précisément possible la situation mais il faut parallèlement leur rappeler qu’elles n’y sont pour rien, quel que soit le contexte. Que ce sont elles les victimes."

Dans la mesure du possible, la victime est orientée vers un officier de police judiciaire ou une personne d’une brigade spécialisée. L’usage veut également que lorsqu’une policière est disponible, elle s’occupe en priorité de recueillir la déposition. "Les hommes sont également formés à ce type de situation, mais parfois être face à une femme peut rassurer", poursuit Audrey Colin. La priorité est de créer un espace de confiance pour les aider à sortir de l’état de sidération dans lequel elles sont plongées. Les victimes sont entendues dans des pièces fermées, loin du tumulte du reste du commissariat. Des gestes simples sont adoptés : ne pas brusquer la victime, lui proposer à boire ou à manger.  Les agents doivent également maîtriser leur propre émotion pour ne pas déstabiliser un peu plus la victime. "De plus en plus de commissariats travaillent avec des intervenants spécialisés – psychologues ou travailleurs sociaux – pour les épauler dans ces affaires", se félicite Christophe Soullez. Ils sont environ 260.

Des résultats positifs. Selon l’étude de l’ONDRP, les résultats sont plutôt positifs. 79 % des victimes de viol interrogées qui ont déposé une plainte ou une main courante sont satisfaites du temps et de l’écoute qui leur ont été accordés, et 80 % le sont des conditions de confidentialité. Les deux tiers jugent utile conseils donnés par la police ou la gendarmerie. Néanmoins, des progrès restent à faire. Les stages ne sont pas obligatoires. Certaines victimes sont donc reçues par des agents parfois indélicats voire totalement incompétents. Sur Internet, les témoignages de victimes racontant des dépositions chaotiques sont légions: policiers agacés par le manque de précision de la déposition, propos déplacés ou culpabilisants, absence de considération...

*Le prénom a été changé