Le recteur de la grande Mosquée de Paris a annoncé lundi se retirer du projet de Conseil national des imams (CNI), voulu par l'Elysée. 3:01
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Virginie Riva et Laetitia Drevet , modifié à
Le recteur de la grande Mosquée de Paris a annoncé lundi se retirer du projet de Conseil national des imams, voulu par l'Elysée et confié au Conseil français du culte musulman (CFCM), en dénonçant l'influence de sa "composante islamiste". Le journaliste Mohamed Sifaoui, qui a révélé ces tensions dans le JDD, était l'invité d'Europe 1 mardi.
DÉCRYPTAGE

Sa décision est "irrévocable", dit-il. Le recteur de la grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, a annoncé lundi se retirer du projet de Conseil national des imams (CNI), voulu par l'Elysée et confié au Conseil français du culte musulman (CFCM), en dénonçant l'influence de "la composante islamiste" au sein de l'organisation. C'est le journaliste Mohamed Sifaoui qui avait révélé dimanche dans le JDD la discorde régnant au sein du CFCM. Les tensions se sont cristallisées autour de la charte de valeurs républicaines, que les neuf organisations du conseil devaient ratifier avant de lancer le projet de Conseil national des imams, explique-t-il mercredi au micro d'Europe 1. 

"Hafiz dit tout haut ce que d'autres pensent tout bas"

Le projet de charte désignait noir sur blanc les courants de l'islam politique, à savoir le wahhabisme, le salafisme, la doctrine des Frères musulmans, et tout mouvement dicté par l'agenda politique d'une puissance extérieure qui serait critique à l'égard de la laïcité, l'égalité entre les femmes et les hommes, ou faisant la promotion de l'antisémitisme et de l'homophobie. Ce texte n'a pas plu à trois fédérations, qui ont voulu rayer ce passage. 

Il s'agit de Foi et pratique, un courant rigoriste, des Musulmans de France, ex UOIF, proches des Frères musulmans, et de la confédération islamique Milli Gorus, d'obédience turque. C'est eux que désigne le recteur de la grande Mosquée de Paris quand il évoque une "composante islamiste" au sein du CFCM. "Chems-Eddine Hafiz n'est que la partie émergée de l'iceberg. Aujourd'hui la fracture est réelle entre ceux qui veulent un Islam apaisé, compatible avec les lois de la République, et les islamistes."

Dans son enquête, Mohamed Sifaoui pointe du doigt des tensions profondes entre les différentes organisations. "Les autres fédérations entretiennent l'omerta car elles ont peur des islamistes. Ils ont une grande capacité de nuisance, notamment avec les réseaux sociaux. Ils jettent leurs ennemis en pâture en les faisant passer pour des traitres, des islamophobes ou des suppôts du pouvoir. Chems-Eddine Hafiz a le mérite de dire tout haut ce que d'autres fédérations pensent tout bas."

Le CFCM, un interlocuteur fantoche ?

Le projet d'un Conseil national des imams (CNI) chargé de certifier leur formation en France a été poussé avec insistance par l'Elysée dans le cadre de son projet de loi contre l'islam radical et les "séparatismes". Il a été confié au CFCM car il est le principal interlocuteur de l'Etat sur les questions d'organisation du culte musulman en France. Mohamed Sifaoui remet toutefois en cause l'efficacité de ce conseil. "Le CFCM ne travaille pas, il n'a pas de budget. On se demande à quoi il sert, sinon à être invité à la table de la République."

La structure du conseil pose aussi problème, dit-il. "Il est impossible de rassembler toutes les organisations musulmanes de France. On ne peut pas, à juste titre, dire qu'il ne faut pas faire d'amalgames et avoir une organisation unique où on amalgame des islamistes avec des musulmans apaisés." Pour lui, la décision du recteur de la grande Mosquée de Paris marquera un "précédent" pour l'Islam de France. Il attend désormais de voir comment réagira le sommet de l'Etat à ce retrait surprise.