Stéphane Saison, l’épreuve du feu : "La culpabilité est toujours là"

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Guillaume Perrodeau , modifié à
Chez Christophe Hondelatte, l'ancien pompier raconte ses 20 années à la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris, où il a été victime d'un stress post-traumatique après la mort d'un de ses camarades. 

Chez Christophe Hondelatte mardi, Stéphane Saison, ancien pompier de Paris, évoque ses 20 ans de service et son stress post-traumatique en 2003, qu'il a raconté dans un livre, Le "tas", paru 2017.

Un premier feu traumatisant. "Pompier est un métier de vocation", souligne Stéphane Saison. L'entraide, l'altruisme, le dévouement à autrui, cela ne s'invente pas. Stéphane Saison est chef d'équipe au sein de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Au début, c'est la routine. Les accidents de personnes succèdent aux feux de poubelle. Puis, une nuit de juin 1992, sa caserne de Ménilmontant est appelée pour un feu dans un entrepôt de robinetterie. Stéphane Saison et l'un de ses collègues doivent empêcher que le feu atteigne l’immeuble voisin. Ils pénètrent dans l'entrepôt, commencent à arroser le plafond lorsque celui-ci s'effondre. Des gravats s'écrasent à côté de Stéphane. Il est pris au piège d'un mur de flamme, trébuche et est bientôt recouvert d'autres morceaux de zinc en fusion qui lui tombent dessus. Ses collègues viennent le sortir de cet enfer. 

Dans l'ambulance où on le déshabille, il peut voir l'étendue des dégâts : des grosses cloques sur la cuisse droite, des brûlures au visage et à l'oreille. Pour autant, rien qui ne mérite l'hôpital, alors on le soigne à l'infirmerie de la caserne. Le temps de cicatriser, il est placé au standard.

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Par la suite, Stéphane Saison décide de monter en grade. Le pompier passe successivement de caporal-chef à sous-officier. Il est maintenant à la caserne de Charonne, dans le 20ème arrondissement de la capitale. Avec le temps, une usure physique et psychologique s'installe chez Stéphane. Il devient moins patient, moins à l'écoute. En février 2003, il est muté à Aubervilliers. Il avait demandé la Guyane, pour changer d'air, mais il en a été autrement. Dans cette caserne de banlieue parisienne, il est chef d'agrès (patron de son camion et du personnel à bord).

2003, année cauchemar. Pour l'une de ses premières interventions, il part du côté de la cité des 4000 pour un feu. En réalité, c'est un guet-apens. "Le but c’est de nous faire venir. Mais dans la mesure où l'on intervient sur un feu de poubelle, la police vient. Mais là, elle n’était pas encore arrivée", se remémore Stéphane Saison. À peine sur place, son équipe est prise pour cible par des jets de pierre. Stéphane Saison est touché au visage : treize points de suture, 21 jours d'arrêt. Le début d'une année cauchemar.

En août 2003, son équipe est appelée sur un feu de garage. "Moi, arrivant en premier engin, j’engage mon équipe avec les mesures de sécurité", se souvient-il. Son personnel passe avant lui, comme l'exige le protocole. Tout à coup, le bâtiment s'effondre sur eux. Stéphane Saison est projeté par le souffle de l'effondrement. Et ses collègues ? Il entend Claire gémir non loin, coincée entre une poutre et une voiture. D'autres collègues sont blessés. Ludo, l'un d'eux, est dans un très sale état. Thierry, 20 ans, n'a pas survécu à l'effondrement, il est mort. Les jours qui suivent sont ceux d'une culpabilité qui n'en finit pas de grandir pour Stéphane.

Pendant des mois et des mois, ce sera le temps des "et si". "Et si j'avais fait ça", "et si j'avais plutôt fait comme ça". Stéphane Saison ressasse encore et encore cette intervention où un pompier a perdu la vie, où une autre est désormais en chaise roulante et un dernier a dû être hospitalisé pendant un an, amputé et greffé. Stéphane ne dort plus. Il se referme sur lui-même, ne change pas de caserne pour autant. Finalement, il décide d'intégrer le centre de formation des cadres, pour être plus loin de l'action. Mais cela tombe pendant les émeutes de 2005, dans les banlieues françaises, et il est appelé sur des opérations.

Après ces événements, Stéphane Saison continue de s'enfoncer de plus en plus. Il refait un cauchemar, toujours le même, chaque nuit. Il revoit ce "tas", cet amas de gravats du garage d'août 2003 où Thierry a perdu la vie. Il est épuisé, à bout. C'est un psychiatre qui va poser un mot sur son mal-être : un stress post-traumatique.

"Remettre les souvenirs dans la case souvenir". En 2009, il obtient une pension d’invalidité définitive de 30% et l'année d'après, en 2010, il quitte les sapeurs-pompiers de Paris pour intégrer le service de sécurité incendie de la Gare de l’Est. Stéphane a fini par vaincre son stress post-traumatique grâce à la méthode de l'EDMR (eye movement desensitization and reprocessing). "Cela permet de remettre les souvenirs dans la case souvenir", présente-t-il. "J'étais resté figé à la date et à l’instant où j’avais vu le tas. C’est pour ça que je le voyais 10, 20, 30 fois par jour et la nuit", explique-t-il. Cette méthode, qui a fait ses preuves sur des vétérans de la guerre du Vietnam, permet, grâce à des mouvements des yeux, de traiter les stress post-traumatique. "Une séance a suffi", raconte Stéphane Saison. Mais une chose est restée. "La culpabilité est toujours là, elle est décuplée car j'étais responsable de l'engin", confie Stéphane Saison.