Saint-Étienne-du-Rouvray : la note du renseignement était-elle "urgente" ?

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M.L avec Pierre de Cossette , modifié à
Vendredi, la préfecture de police a affirmé que le document rédigé cinq jours avant l'attentat n'évoquait pas "l'imminence d'un passage à l'acte". L'avocat de victimes n'est pas d'accord. 

L'assassinat du père Jacques Hamel, survenu le 26 juillet 2016 à Saint-Etienne-du-Rouvray, près de Rouen, aurait-il pu être évité ? C'est la question que pose Mediapart dans un article publié jeudi, révélant qu'une note rédigée par un brigadier de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) cinq jours avant le drame n'a jamais été transmise à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). En plein été, le document est resté "coincé" dans le processus de validation par la hiérarchie, débordée ou en vacances. Il concernait pourtant le profil inquiétant d'Adel K., l'un des meurtriers du prêtre.

Pas d'indice de passage à l'acte pour la préfecture. Compte-tenu des messages inquiétants repérés par le brigadier sur Telegram, la note aurait-elle dû être traitée de manière particulière ? Non, a répondu la préfecture de police (PP) par la voie d'un communiqué, vendredi. "La note élaborée le vendredi 22 juillet et datée de ce même jour, identifie un individu qui donne des cours à la mosquée de Saint-Étienne-du-Rouvray, qui appelle, sur les réseaux sociaux, 'les fidèles' à le rejoindre dans le but de former un groupe à vocation terroriste, et qui fait part de sa volonté de se rendre en Syrie pour rejoindre les rangs de Jabbat al Nosra", précise ce texte. 

"En aucun cas cette note n'évoque l'imminence d'un passage à l'acte, et encore moins le ciblage d'un lieu précis", poursuit la préfecture. Pour elle, la note ne comportait "pas de caractère d'urgence" et "s'inscrivait dans le travail de détection quotidien du service". Elle a "suivi le circuit habituel de validation", ajoute le communiqué. 

Une deuxième note le 26 juillet. La PP dément donc l'existence de toute faille. Répondant à l'information de Mediapart selon laquelle les supérieurs du brigadier lui auraient ensuite demandé de post-dater sa note pour faire croire qu'il avait découvert ce profil après coup, elle affirme que c'est le rédacteur lui-même qui, dès la commission de l'attentat, "a immédiatement fait le lien avec l'individu qu'il avait identifié". "Sans délai, la DRPP a informé oralement les services enquêteurs et a rédigé une nouvelle note, datée du 26 juillet", précise le communiqué. 

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Entendu sur europe1 :
Le juge d'instruction en aurait été informé, il aurait immédiatement incarcéré Adel K. pour violation de son contrôle judiciaire
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"Tout son CV" sur Telegram. Me Méhana Mouhou, avocat d'un couple de paroissiens qui se trouvait dans l'église au moment de l'attaque, interprète différemment les éléments présents dans la note du 22 juillet. "L'un des buts poursuivis au renseignement intérieur de la préfecture de police de Paris, c'est quand même de prévenir le terrorisme", souligne-t-il auprès d'Europe 1. "Et là, on a quelqu'un qui communique sur la chaîne Telegram en donnant tout son CV !" 

L'avocat rappelle que, dans les messages lus par le brigadier, Adel K. indiquait "qu'il avait fait deux tentatives" de passage en Syrie et "qu'il était sous bracelet électronique". "Cela suppose qu'il y ait un contrôle judiciaire, un juge d'instruction. Et qu'il soit en train de violer son contrôle judiciaire, puisqu'il appelle des fidèles à venir dans sa mosquée et à rejoindre un groupe terroriste. Le juge d'instruction en aurait été informé, il aurait immédiatement incarcéré Adel K. pour violation de son contrôle judiciaire", poursuit le conseil. "Ça n'a pas été fait. Or manifestement, il y avait un caractère d'urgence, à tel point que cinq jours après il passait à l'acte". 

Demande de déclassification. Me Mouhou s'apprête donc à écrire au procureur de la République François Molins pour demander l'ouverture d'une information judiciaire, afin d'obtenir la déclassification de ces fameuses notes, pour l'instant secret-défense. Une procédure qui pourrait permettre de déterminer si la deuxième note est distincte ou s'il s'agit d'un "écrasement" de la première, destiné à camoufler une faute. 

De son côté, la préfecture indique que "les deux documents originaux, enregistrés et traçables dans les serveurs de la DRPP, sont à disposition de toutes les autorités administratives et judiciaires qui ont ou auront le besoin d'en connaître." 

 

Une surveillance divisée en plusieurs branches

Pourquoi la DRPP n'a-t-elle pas cherché à identifier directement l'utilisateur Telegram se cachant derrière le pseudo repéré par le brigadier ? "L'administrateur de la chaîne était localisé dans la région rouennaise, vraisemblablement dans la commune de Saint-Etienne-du-Rouvray, son cas n'est pas du ressort de la DRPP, qui opère sur Paris et la petite couronne, mais de la DGSI, à compétence nationale", écrit Mediapart. Les réformes du renseignement de 2008 et 2013, qui ont créé la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) puis l'ont transformée en Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), ont en effet maintenu l'exception parisienne  au nom des "particularismes de la ville capitale", rappelait un rapport d'information du Sénat en 2015. Des officiers de liaison sont censés assurer la transmission du renseignement d'un organe à l'autre. Mais en pratique, ces informations ne font l'objet d'aucun coup de fil, par exemple, mais de "notes blanches", qui doivent être validées par plusieurs strates hiérarchiques, instaurant, de fait, un certain délai.