Sage-femme retraitée, Victoire a aidé une femme réfugiée sans-papiers à accoucher

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Léa Beaudufe-Hamelin
Sage-femme retraitée engagée dans l’aide aux réfugiés, Victoire a aidé une femme réfugiée sans-papiers à accoucher. Cette femme érythréenne a appelé sa fille France-Victoire. Au micro de "La Libre antenne", sur Europe 1, Victoire raconte cet accouchement et les raisons de son engagement.
TÉMOIGNAGE

Victoire est une sage-femme retraitée. Très engagée dans l’aide aux réfugiés, Victoire a aidé une femme réfugiée sans-papiers à donner naissance à sa fille. Cette femme, qui a fui l’Érythrée, a appelé sa fille France-Victoire. Au micro de "La Libre antenne", sur Europe 1, Victoire explique les origines familiales de son engagement. Elle raconte à Olivier Delacroix l’accouchement de cette petite fille et son combat pour venir en aide aux réfugiés.

"Je m’occupe, par le biais de la Cimade, de gens sans-papiers qui sont exclus de toute existence et dont on ne veut pas. Il y a une maman qui était sur le point d’accoucher et les pompiers et les SMUR n’étaient pas disponibles. J’y suis allée et, à 76 ans, j’ai réalisé l’accouchement d’une petite fille. Elle s’appelle France-Victoire. La maman vient d’Érythrée. Le papa est mort pendant le voyage. Elle a perdu un enfant. Elle a un autre enfant et cette petite-fille.

" Je me devais de m’occuper de personnes dans le besoin "

Je suis très engagée. Je viens d’une famille d’immigrés espagnols. Mon papa a connu le camp de Lodi en Algérie pendant 3 ans et demi. Ce sont des gens qui étaient partisans de l’indépendance de l’Algérie et qu’on a internés : des enseignants, des juristes, Henri Alleg qui était auteur et qui dirigeait Alger républicain. Cet engagement, je l’ai connu avec ma maman qui était enseignante.

Ma vie a été marquée par d’autres choses. J’ai un grand frère qui, sous Franco, a subi une mort atroce avec le garrot. Mon engagement était tel que je me devais de m’occuper de personnes qui étaient dans le besoin et dont personne ne semblait se préoccuper, parce qu’il y a des difficultés énormes de langue et cette clandestinité.

" Cela faisait plus de 20 ans que je n’avais pas fait d’accouchement "

La maman, la petite fille et le grand-frère habitent chez quelqu’un de notre association. Nous accueillons des gens chez nous, mais nous n’avons pas le droit. Je n’avais pas de gants, pas de masque. J’ai réalisé l’angoisse après, mais ce n’est pas grave, ça s’est très bien passé. Il y avait des embrassades. J’étais excitée comme une puce. Cela faisait plus de 20 ans que je n’avais pas fait d’accouchement.

Maintenant, avec la Cimade, on va essayer de se démener pour obtenir des papiers, parce qu’elle n’est pas déclarée. Pour le moment cette petite-fille n’est pas considérée, elle est inexistante. Sa maman va certainement atterrir dans un camp de rétention, si on n’arrive pas à trouver d’autres solutions. On va multiplier les demandes pour pouvoir faire durer. Le confinement va lui donner un temps de répit. Elle et les enfants risquent l’expulsion.

" L’arrivée de cette petite-fille est une vraie merveille "

En Érythrée, il y a une misère énorme et la guerre. Les femmes sont continuellement agressées. Elles n’ont pas droit à la parole. Elles sont inexistantes. L’arrivée de cette petite-fille est une vraie merveille. Elle est partie dans des conditions plus que difficiles, mais je voudrais qu’elle ait devant elle un avenir merveilleux, qu’elle puisse s’épanouir, vivre normalement comme tout être humain devrait pouvoir vivre. Ces gens quittent leur pays sans savoir où ils vont atterrir et comment cela va se passer.

 

Je suis dans une région, dans l’Ouest, où il y a un accueil très important. On travaille tous dans le risque de se faire choper. J’ai dû me déplacer, parce que je pouvais être attaquée pour avoir laissé quelqu’un vivre sur le territoire français alors qu’il n’avait pas le droit. Il y a plus de tolérance de la part de gens qui auraient été réticents il y a quelques temps. Ils s’aperçoivent que tout se passe normalement avec eux, alors pourquoi estimer qu’ils sont moins que nous. Un être humain n’est pas moins qu’un autre.

Ils doivent pouvoir vivre autre chose. Il faut qu’ils s’en sortent. Ces gens-là sont capables de donner tout de leur personne pour que leurs enfants puissent vivre. J’étais heureuse d’accueillir cette petite-fille et de voir l’explosion de joie des gens qui étaient autour. Cette petite-fille, c’est une renaissance pour cette maman qui a perdu son mari et un enfant. Peut-être que la vie a pris un tournant."