Que prévoit le délit d'entrave numérique à l'IVG ?

Le délit d'entrave à l'IVG sanctionne les personnes qui tenteraient d'empêcher une IVG. (Illustration) © AFP
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Clémence Olivier , modifié à

Les députés doivent se prononcer jeudi sur une extension du délit d'entrave de l'IVG.  L'objectif : limiter la diffusion d'information "faussées" sur l'avortement sur Internet.

Faut-il étendre le délit d'entrave de l'IVG, l'interruption volontaire de grossesse, aux sites Internet diffusant des informations "faussées" ?  C'est l'objet d'une proposition de loi portée par des députés socialistes et écologistes, soutenue par le gouvernement, qui sera examinée jeudi devant l'Assemblée nationale. Marisol Touraine, la ministre de la Santé et des Affaires sociales, voit dans ce texte une façon "d'empêcher que des sites fassent de la désinformation" afin de dissuader les femmes d'avorter. Que prévoit ce texte de loi ? Et quels sont les sites visés? Europe 1 fait le point.

  • Le délit d'entrave de l'IVG c'est quoi ?

Le délit d'entrave de l'IVG a été créé par une loi en 1993 puis étendu en 2001 et en 2014 à l'accès à l'information. Il sanctionne les personnes qui tenteraient d'empêcher une interruption volontaire de grossesse en perturbant l'accès aux établissements ou en exerçant des menaces sur le personnel ou les femmes concernées.  L'entrave peut être punie jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende.

Dans les faits il reste compliqué pour une femme de faire valoir ses droits à porter plainte pour entrave. "Le fait de devoir porter plainte, de s'engager dans une procédure juridique pendant trois ans, ce n'est pas évident.", soulève la présidente du bureau national du planning familial, Caroline Rebhi, qui indique toutefois que des actions collectives ont déjà pu être menées.

En 2015, une antenne du planning familial située à Paris avait été la cible de militants catholiques intégristes. "Ils étaient entrés dans les locaux pour distribuer des tracts. Les militants s'étaient également mis à prier dans la rue en face du bâtiment", nous rappelle la présidente de cette association qui lutte pour le droit à la contraception et à l'avortement. "Le planning a déposé une plainte dès le lendemain pour délit d'entrave".

  • Pourquoi une telle loi?

Avec cette extension du délit d'entrave, les députés qui portent la loi veulent s'attaquer aux sites Internet divulguant des informations faussées sur l'avortement. Trois sites,  qui se font passer pour neutres et qui incitent les femmes à ne pas avorter,  sont dans le viseur. "Ces sites utilisent la fragilité des femmes pour, en réalité, faire de manière masquée leur campagne contre l'IVG. Je les qualifie de manipulateurs", avait précisé en septembre sur Europe 1 Laurence Rossignol, la ministre des Droits des femmes.

Il ne s'agit toutefois pas de faire procéder à une fermeture de ces sites web mais de permettre au justiciable qui s'estime trompé de porter plainte.

  • Quels sont ces sites ?

Parmi eux Ivg.net. Une plateforme qui existe depuis 2008 et qui propose des informations pratiques, des témoignages et même un numéro vert. Sauf que derrière la ligne, les "accueillantes" font tout pour décourager les femmes d'interrompre leur grossesse, rapportent de nombreux témoignages. Même principe pour écouteivg.org, qui se présente aussi sous la forme d'un site très institutionnel. "On a des femmes qui nous appellent pensant avoir la bonne info en étant allées malgré elles sur ces sites. Elles commencent à s'interroger quand les personnes qu'elles ont au téléphone les rappellent constamment et leurs envoient des sms", constate Caroline Rebhi.

Afterbaiz.com, un site lancé en 2016, utilisant les codes d'Internet, manie l'humour, les gifs et les références télé pour faire passer un message anti-ivg auprès des ados, pointe par ailleurs la ministre du Droit des femmes. Son fondateur, Émile Duport, porte-parole des Survivants, un mouvement anti-avortement se défend toutefois de véhiculer un tel message. Contacté par Europe 1 en septembre, il avait assuré "simplement vouloir apporter une vraie information".

 

  • Pourquoi parle-t-on aussi de référencement ?

Ces sites, qui selon le gouvernement, dissimulent leur véritable intention, sont aujourd'hui très bien référencés dans les moteurs de recherche. Lorsque l'on saisit le mot "IVG" dans la barre de recherche de Google, le premier résultat est ivg.net, devant le site officiel du ministère de la Santé : ivg.social-santé.gouv.fr. Sur la première page, on trouve également écouteivg.org et son numéro vert. De quoi offrir à ces plateformes une belle visibilité.

En janvier Marisol Touraine avait appelé à jouer du clic sur le site officiel IVG du ministère, et avait affirmé qu'une refonte serait envisagée pour le faire passer en tête des moteurs de recherche.  Pas suffisant pour  l'algorithme de référencement de Google.

 

  • Pourquoi cette proposition de loi est-elle contestée ?

La proposition de loi passe mal auprès des députés de droite comme Christian Jacob, le chef de file des Républicains à l'Assemblée, qui a indiqué qu'il s'opposera à une telle proposition au nom de "la liberté d'expression".  Même son de cloche chez les ecclésiastiques. Le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Georges Pontier, en a appelé directement lundi à François Hollande pour qu'il s'oppose à cette proposition de loi en dénonçant une atteinte "grave" aux libertés.

La semaine dernière, l'examen de la proposition de loi avait été interrompu en commission des affaires sociales, à l'Assemblée nationale. La question de l'IVG a provoqué de vifs échanges entre députés républicains et socialistes après qu'un député socialiste a évoqué la polémique entre les deux candidats à la primaire François Fillon et Alain Juppé. Le premier s'étant dit "opposé à titre personnel" à l'avortement.