Les misophones, ces gens que les bruits rendent fous

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© PRAKASH MATHEMA / AFP
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A l'occasion de la journée mondiale de l'audition, Europe 1 vous présente une pathologie encore peu connue… et difficile à traiter. 

Vous avez envie d'assassiner votre voisin de table qui mange trop bruyamment ? La manière dont votre collègue tape sur son clavier vous empêche de travailler ? Le simple bruit d'une carotte qui se casse est comparable pour vous au crissement des ongles sur un tableau ? Vous êtes peut-être misophone. Ce terme désigne ceux pour qui certains sons, quasi inaudibles aux oreilles d'autres, peuvent entraîner des réactions intenses, et intensément désagréables. A l'occasion de la journée mondiale de l'audition, Europe 1 vous présente cette pathologie identifiée depuis les années 2000… Mais qui reste encore aujourd'hui difficilement surmontable.

  • Quels sont les symptômes ?

La misophonie est un trouble qui désigne les expériences désagréables que vivent des personnes à l'écoute de certains sons. Colère, haine, dégoût, anxiété… Ces sons, parfois moindres, peuvent provoquer des émotions négatives et particulièrement intenses. Et ils peuvent être de nombreuses sortes : aspiration de liquides (le "slurp"), raclement de gorge, coupe des ongles, brossage des dents ou même eau de la douche qui coule ou tic-tac de l'horloge. Outre une émotion particulièrement intense, le misophone peut ressentir des symptômes physique: accélération du rythme cardiaque, transpiration, tension musculaire… Et il peut développer des comportements déviants envers l'objet ou la personne qui est la source du bruit.

A noter que la misophonie se distingue de la phonophobie (la crainte d'avoir à écouter un bruit, de peur qu'il ne soit insupportable) et de l'hyperacousie (une hypersensibilité de l'ouïe : celle-ci peut entraîner de fortes douleurs après n'importe quel type de bruit).

  • Est-ce vraiment une maladie ?

Tous ces symptômes ont été recensés dès la fin des années 90, par des chercheurs américains. Le docteur Jastreboff, de l'université d'Emery d'Atlanta, est le premier à les ranger sous le terme de "misophonie" en 2000. Et un an plus tard, un neuroscientifique de Dallas, Aage R. Moller, inscrit ce terme dans son "Livre de Tinnitus", un ouvrage reconnu internationalement qui recense les pathologies auditives.

Mais de quel type de trouble parle-t-on exactement ?  Pour l'heure, la misophonie n'est pas recensée dans le DSM-5, un manuel américain faisant (plus ou moins) office de référence dans le classement des maladies mentales. Et elle ne l'est pas non plus dans le CIM-10, un répertoire des maladies reconnues adopté par plusieurs pays, dont la France.

Il faut dire que les chercheurs en savent peu sur la nature et l'origine des troubles. Selon Aage R. Moller, il s'agit davantage "d'anormalités psychlogiques" que de problèmes auditifs. Selon lui, les personnes en proie à ces symptômes souffrent d'ailleurs souvent, en parallèle,  de phobies, d'anxiété voire de troubles obsessionnels compulsifs ou de bipolarité. Selon le Dr Jastreboff, il pourrait même s'agir d'une mauvaise connexion de différents composants du système nerveux. Mais lesquels ? En 2013, des travaux conduits par l'Américaine Judith T. Krauthamer émettent l'hypothèse de dysfonctionnements dans les Cortex cingulaire antérieur et insulaire, deux zones du cerveau également impliquées dans le syndrome de Gilles de la Tourette. D'autres travaux évoquent plutôt une anomalie dans le système nerveux central.

  • Y a-t-il des traitements fiables ?

Qui dit lacunes dans le diagnostic, dit également difficultés à trouver un traitement efficace. Le Dr Jastreboff, pour sa part, avance un traitement consistant à écouter les sons impliqués en les associant à un autre son plus agréable et qui capte l'attention, comme de la musique par exemple. Le hic? Ce traitement ne produirait des effets (dans 90% des cas selon le chercheur) qu'après… neuf mois de pratique !

D'autres conseillent simplement d'éviter les sons, en se munissant de casques anti-bruit ou avec de la musique dans les oreilles. Enfin, selon l'étude conduite par Judith T. Krauthamer, le fait d'imiter la source du bruit, de reproduire le bruit soi-même, permettrait également de se sentir mieux et de diminuer l'hostilité à l'égard de l'auteur du bruit. En d'autres termes, si votre voisin de table mâche trop fort, essayez de faire pareil !