pape François 7:36
  • Copié
Pauline Rouquette
Quelques jours après les propos du pape François, qui s'est dit favorable à une "union civile" pour les couples homosexuels, le journaliste Frédéric Martel était l'invité d'Europe 1, dimanche. Pour l'auteur de l'enquête "Sodoma", sur l'homosexualité dans l'Église, si cette parole publique est importante, elle repose sur une sensibilité personnelle et non sur un changement de doctrine de l'Église.
INTERVIEW

"Les personnes homosexuelles ont le droit d'être en famille. Ce sont des enfants de Dieu, elles ont le droit à une famille", a défendu le pape François, mercredi, dans un documentaire présenté mercredi à la Fête du cinéma de Rome. Le souverain pontife s'y dit en faveur du droit des couples gays de vivre au sein d'une "union civile" qui les protège légalement.

"C'est une politique des petits pas", estime Frédéric Martel, journaliste et écrivain, auteur de Sodoma, une enquête publiée en 2019 qui lève le voile sur l'homosexualité dans l'Église. Invité d'Europe 1, dimanche, le journaliste explique que si les propos tenus par le pape sont importants, ils traduisent cependant davantage un positionnement personnel, privé, qu'une position de doctrine, dans la mesure où cela n'a pas été déclaré lors d'un synode.

Parole publique, mais pas au nom de l'Église

Frédéric Martel en est persuadé : "ça correspond à ce qu'il croit profondément". En Argentine, le pape "avait défendu les unions civiles auprès de son entourage, mais ça restait de l’ordre du privé", poursuit le journaliste, évoquant une démarche "très jésuite" :"Je ne parle pas, mais je ne parle pas contre, non plus. Donc au fond, mon silence parle."

En faisant de telles déclarations dans le cadre d'un documentaire, le souverain pontife s'exprime, certes, mais ne parle pas au nom de l'Église. Ses propos n'en demeurent toutefois pas moins publics, "c'est la différence avec ses propos tenus en Argentine ou en Italie", précise Frédéric Martel, comparant cela à la rencontre secrète du pape avec Matteo Renzi (alors président du Conseil italien) "pour lui dire : OK pour les unions civiles, mais à condition qu'il n'y ait pas d'adoption et pas de mariage par la suite". Un pacte secret par la suite confirmé par les principaux conseillers du chef du gouvernement. "Cette fois, c'est une parole publique, ce n'est pas juste ce deal un peu secret et très typique des Jésuites", affirme Frédéric Martel. "C'est en effet un pas de plus, mais ce n'est pas un changement de doctrine."

Une hypocrisie qui énerve le pape

"Ce n'est pas un synode qui l'a décidé", insiste l'écrivain, ajoutant qu'il ne s'agit pas même d'une parole à Rome. D'autant que le conseil des cardinaux (ou collège cardinalice) est très conservateur. "C'est un collège vieux et très homophobe", explique l'auteur de Sodoma, évoquant néanmoins l'hypocrisie qui règle au sein de l'institution, "puisque la règle que j'ai démontré, c'est que plus un prêtre, un évêque ou un cardinal est homophobe, plus il a de chances d'être lui-même homosexuel en privé."

C'est d'ailleurs cette hypocrise qui énerve le pape et le pousse à effectuer de telles sorties, estime Frédéric Martel. "Quand il voit des cardinaux qu'il connaît très bien et dont il sait qu'ils vivent avec un amant, qu'ils ont des prostituées… Cela l'énerve profondément et c'est, je crois, ce qui l'amène à bouger". Bouger, mais pas pour autant réformer. À bientôt 84 ans, Jorge Mario Bergoglio est un pape âgé, mais aussi "un pape péroniste, nationaliste argentin, un peu guévariste, et un jésuite", détaille Frédéric Martel. "Il a ce double regard", poursuit-il. "Je pense qu'il a toujours été, à titre personnel, en faveur des couples homosexuels. En revanche, il sait que ces combats sont très complexes dans cadre du Vatican et du collège des cardinaux".