Pourquoi il ne peut pas mettre "sexe neutre" sur son état civil

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avec AFP
La cour d'appel d'Orléans refuse le droit à un intersexué de mettre "sexe neutre" sur son état civil. 

En France, on est soit une femme, soit un homme. C'est le sens de la décision de la cour d'appel d'Orléans, qui a refusé de reconnaître à un sexagénaire la possibilité de faire figurer la mention "sexe neutre" sur son état civil. Déclaré de sexe masculin à la naissance, le requérant porte un prénom d'homme. Mais, il a, selon son médecin, "un vagin rudimentaire et un micropénis, mais pas de testicules". En août dernier, le tribunal de Tours avait pourtant rendu un avis favorable. Pourquoi la cour d'appel est-elle revenue en arrière ? L'affaire va-t-elle s'arrêter là ? Décryptage.

Quel est le profil du requérant ? Âgé de 64 ans, marié, le requérant a adopté un enfant. Il vit dans l'Est de la France mais sa demande a été déposée à Tours, car il s'agit de sa ville natale. Il assure avoir pris conscience dès l'âge de 12 ans qu'il était intersexué. Jusqu'à l'âge de 35 ans, il avait une apparence androgyne, plutôt féminine, jusqu'à ce qu'il suive un traitement hormonal à base de testostérone afin notamment de prévenir l'ostéoporose, une maladie du squelette. Ce traitement lui a donné une apparence plus masculine. Mais lors de l'audience du 5 février, le requérant a expliqué n'avoir jamais souhaité cette apparence physique, qu'il a qualifiée de "purement artificielle". Si cela ne changera rien en termes de droits, il demande à être reconnu comme de "sexe neutre", ou à défaut d'"intersexué", dans l'état civil, le registre d'identification des individus au sein de la société.

" Cette reconnaissance pose une question de société "

Pourquoi la cour d'appel lui refuse-t-elle le changement ? Dans un arrêt rendu lundi, les magistrats de la cour d'appel ont estimé "qu'admettre la requête de Monsieur X reviendrait à reconnaître, sous couvert d'une simple rectification d'état civil, l'existence d'une autre catégorie sexuelle". Or il faudrait pour cela modifier la loi, estiment-il. Une telle décision irait en effet "au-delà du pouvoir d’interprétation de la norme du juge judiciaire". La création "d'une autre catégorie sexuelle" relève "de la seule appréciation du législateur". "Cette reconnaissance pose en effet une question de société", écrit la cour. "La loi française ne prévoit en aucune façon la possibilité de porter la mention 'sexe neutre' sur un acte d'état civil'", avait déjà déclaré le parquet général, qui avait fait appel de la décision du tribunal de Tours.

Pour les magistrats de la cour d'appel, il faut rechercher "un juste équilibre entre la protection de l'état des personnes, qui est d'ordre public, et le respect de la vie privée des personnes présentant une variation du développement sexuel". Partant de là, ils ne se disent pas fermés à toute modification de l'Etat civil. Et ouvrent la porte à une suppression des catégories homme/femme. "Ce juste équilibre conduit à permettre (à ces personnes) d'obtenir, soit que l'état civil ne mentionne aucune catégorie sexuelle, soit que soit modifié le sexe qui leur est assigné, dès lors qu'il n'est pas en correspondance avec leur apparence physique et leur comportement social", poursuit la cour.

Le hic ? Selon les magistrats, le prévenant ne peut même pas se passer de catégorie sexuelle sur son état civil. Selon la cour, c'est clair : il s'agit d'un garçon. Il doit donc être identifié comme tel. "Monsieur X présente une apparence physique masculine, il s'est marié en 1993 et son épouse et lui ont adopté un enfant", écrivent les magistrats. Ils en concluent que sa demande de changement d'état civil serait "en contradiction avec son apparence physique et son comportement social".

" C'est une violence supplémentaire infligée à mon client "

L'affaire va-t-elle s'arrêter là ? Le cas sera sans doute porté devant la Cour de cassation, et éventuellement devant la Cour européenne des droits de l'Homme à Strasbourg. Me Mila Petkova, avocate du sexagénaire, s'est déclarée mardi "très déçue" par la décision de la cour d'appel. Elle conteste les deux arguments de la cour : celui de la non-conformité à la loi, et celui de la masculinité de son client.

"Rien ne s’oppose à l’inscription d’une mention 'neutre' à l’état civil dans la loi française. D’autre part, la Cour refuse de reconnaître la vérité de l’identité sexuée du demandeur qui n’est ni celle d’un homme ni celle d’une femme", dénonce l'avocate. Et de poursuivre : "Il lui appartenait pourtant de tenir compte de la spécificité du parcours intersexué de cette personne. Sur ces deux points, la Cour s’écarte visiblement de la jurisprudence européenne la plus récente."

"C'est une violence supplémentaire infligée à mon client", s'est encore indignée Me Mila Petkova. Son client "ira jusqu'au bout, parce que c'est sa vie privée", avait expliqué Me Petkova, lors de l'audience devant la cour d'appel le 5 février dernier. L'avocate a notamment invoqué l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, qui consacre le "droit à la vie privée et familiale".

Le parquet lui-même a reconnu que la Cour européenne des droits de l'Homme admet "un droit à l'identité sexuelle, droit lié à l'épanouissement personnel, qui est un aspect fondamental du droit au respect de sa vie privée". Mais la loi française ne va pas jusqu'à reconnaître ce droit dans l'Etat civil, selon lui.

Que dit vraiment la loi ? En réalité, la loi ne prévoit que deux sexes pour l'Etat civil. Mais elle ne dit rien sur l'éventualité d'une "neutralité", comme le demande Monsieur X. C'est ce qui avait poussé le tribunal de Tours à accorder la possibilité de faire inscrire "sexe neutre" au prévenant. "Le sexe qui [lui] a été assigné à sa naissance apparaît comme une pure fiction (…) imposée durant toute son existence. Il ne s'agit aucunement de reconnaître l'existence d'un quelconque ‘troisième sexe' mais de prendre acte de l'impossibilité de rattacher l'intéressé à tel ou tel sexe", avait déclaré le juge à l'époque, cité par 20 Minutes qui avait eu accès au jugement.

En mai dernier, un rapport du Conseil de l'Europe préconisait la suppression des classifications binaires homme/femme dans les documents administratifs. L'Allemagne, comme le recommande d'ailleurs la cour d'appel d'Orléans pour d'éventuels autres cas, laisse la possibilité de ne pas faire mention du sexe sur l'Etat civil. Quant à l'Autriche, elle prévoit l'existence d'un "genre non spécifique".