Peut-on vraiment être fiché S et autorisé à détenir une arme ?

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A.H. , modifié à
Pourtant fiché S depuis 2015, Adam D., l'auteur de l'attentat manqué des Champs-Elysées, avait obtenu en février le renouvellement de son permis de détention d'armes par la préfecture de l'Essonne.

Peut-on parler de raté ? Adam D., l'auteur de l'attentat manqué des Champs-Elysées, disposait d'un permis d'acquisition et de détention d'arme pour pratiquer le tir sportif, alors même qu'il faisait l'objet d'une fiche S depuis deux ans. 

Depuis six ans en effet, cet islamiste radical s'entraînait dans un club de l'Essonne, l'Etrechy Tir Sportif, affilié à la Fédération française de Tir. Avec cette licence, couplée à un casier judiciaire vierge et une pratique assidue et respectueuse des règles de sécurité, il avait obtenu en 2012 l'autorisation d'acheter et de détenir pas moins de sept armes à feu chez lui. Lors de la perquisition menée lundi au domicile de l'assaillant de 31 ans, un "stock d'armes" a été saisi.

Mais pourquoi la préfecture de l'Essonne a renouvelé , en février 2017 - soit deux ans après être rentré dans le radar du renseignement - l'autorisation dont disposait Adam D. de posséder plusieurs armes à feu ? Et comment la surveillance s'organise-t-elle ?

Quelles conditions faut-il remplir pour détenir une arme à feu ?

En premier lieu, distinguons bien la détention d'armes du port d'armes. En France, seule une petite poignée d'habitants est autorisée à porter une arme. Ces personnes doivent prouver auprès du ministère de l'Intérieur - qui gère ces demandes minutieusement, au cas par cas - qu'elles sont sujettes "à des risques exceptionnels d'atteinte à leur vie". Une situation rarissime, contrairement à l'autorisation de détention d'armes, dont disposent environ 150.000 Français.

Toutefois, détenir une arme n'est pas non plus une procédure aisée pour tout un chacun. Âgé d'au moins 21 ans, le tireur dit "sportif", affilié à un club de tir donc, doit effectuer une demande auprès de la préfecture. Dans son dossier, elle doit fournir un avis favorable de la Fédération française de tir, ainsi qu'une copie du carnet de tir indiquant la date de chaque séance contrôlée de pratique de tir comptabilisée dans les 12 mois précédant la demande. Le demandeur doit également fournir un avis médical, attestant de la bonne santé mentale du futur détenteur. 

Mais surtout, le demandeur ne doit pas avoir été condamné à une peine de prison, avec ou sans sursis, de plus de trois mois. "Au moment où Adam D. a effectué une demande de permis de détention d'armes, il a fait l'objet d'une enquête administrative. Son casier était vierge, et il n'avait aucune mention au TAJ, le traitement d'antécédents judiciaires (un fichier d'antécédents commun à la police et à la gendarmerie nationales, ndlr), ni au Fichier des personnes recherchées (FPR). Parallèlement, il avait reçu un avis favorable du club de tir", indique Me Laurent-Franck Liénard, spécialiste du droit des armes, interrogé par Europe1.fr.

Un fiché S peut-il demander à détenir une arme ?

Si la personne cherchant à détenir légalement une arme pour la première fois est déjà dans le radar des services de renseignement, alors il n'y a, a priori, aucune chance pour que la préfecture ne lui délivre son permis. Un stratagème est alors mis au point pour refuser la demande sans éveiller les soupçons du demandeur fiché S, qui ne doit pas savoir qu'il est sous surveillance.

Rappelons qu'Adam D. avait obtenu son autorisation d'acquisition et de détention d'armes en 2012, soit trois ans avant d'être dans le viseur de la DGSI. Mais fin novembre 2016, sa demande de renouvellement de permis n'était pas passée inaperçue. À l'époque, la préfecture de l'Essonne avait sollicité la gendarmerie pour mener une enquête administrative, selon une source proche du dossier. Les gendarmes en charge des investigations, s'étaient adressés à la DGSI qui a considéré inopportun de lui retirer ce permis. Dans le procès-verbal envoyé à la préfecture, les gendarmes ont indiqué qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments concrets pour confirmer ou infirmer le renouvellement de la détention d'armes, selon cette source. "La fiche S n'est qu'un marqueur, pas une condamnation. Si on lui retirait ses armes et son autorisation, on l'informait à coup sûr du fait qu'il était surveillé", plaide Me Liénard. Ce que cherche à éviter les renseignements. La demande de renouvellement a donc été validée, sciemment, en dépit de la fiche S.

Les personnes détentrices d'une arme sont-elles soumises à une surveillance ?

En France, les 150.000 personnes qui possèdent une ou plusieurs armes à feu, à titre sportif ou à titre de chasse, sont inscrites dans un fichier baptisé Agrippa (application de gestion du répertoire informatisé des propriétaires et possesseurs d'armes). Un autre fichier existe, le Finiada (Fichier National des personnes Interdites d'Acquisition et de Détention d'Armes) qui recense les personnes ayant reçu l'interdiction formelle de détenir une arme à feu.

"Les tireurs sportifs font l'objet de tas de vérifications. On vient chez eux, on vérifie qu'ils ont bien un coffre-fort (dans lesquels ils ont obligation de ranger leurs armes à leurs domiciles, ndlr), on les contrôle dans les clubs de tir, etc. On est vraiment sous la loupe de l'administration", décrit Philippe Crochard, président de la Fédération Française de Tir, au micro d'Europe 1 mardi.

Une surveillance accrue, à en croire ce professionnel, qui s'illustre également par le nombre de retraits d'autorisation de détention d'armes. "Depuis les attentats, et encore davantage depuis environ un an, on désarme des tireurs sportifs tous les jours", dénonce Me Liénard, qui affirme que des clients l'appellent tous les jours pour obtenir son aide. "L'un d'eux m'expliquait qu'on lui avait retiré ses armes et son autorisation à cause d'un contentieux avec un automobiliste, il y a 20 ans. L'homme avait mis une gifle au conducteur, et bien qu'il n'ait pas été condamné, cela figurait au TAJ", souffle l'avocat.