Le taux de suicides dans la police est supérieur de 50% à celui de la population générale française. 1:27
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Romane Hocquet, Séverine Mermilliod, avec AFP , modifié à
Un policier sur quatre a déjà été confronté à des pensées suicidaires, les siennes ou celles de collègues, a révélé lundi une enquête menée par la Mutuelle des forces de sécurité (MGP) pour Le Monde et FranceInfo. Martin, jeune recrue de 28 ans, a confié à Europe 1 avoir lui-même pensé au suicide, "enfoncé" par sa hiérarchie, uniquement intéressée selon lui par "le chiffre" d'interpellations et de PV.
TÉMOIGNAGE

Une étude publiée lundi, menée en février et mars par la Mutuelle des forces de sécurité (MGP) pour Le Monde et FranceInfo, confirme le profond malaise des policiers. Quelque 6.246 fonctionnaires - dont le profil majoritaire est celui d'un homme de plus de 45 ans, en couple, avec plus de 20 ans d'ancienneté -, ont répondu à cette enquête de l'organisme d'assurance "maison". Résultat : 1 policier sur 4 (24%) explique avoir eu lui-même, ou entendu des collègues, avoir des pensées suicidaires. Et plus de 1.100 policiers se sont suicidés au cours des 25 dernières années, soit 44 suicides par an en moyenne, un taux de suicide supérieur de près de 50 % à celui de la population française.

Une situation de détresse en lien, selon l'étude, avec une mauvaise ambiance de travail. Un malaise particulièrement présent chez les jeunes policiers. Ces pensées suicidaires, Martin*, jeune recrue (28 ans), les a justement vécues. Il a accepté de témoigner pour Europe 1.

"Pas de soutien" de la hiérarchie

"Cela faisait partie des issues possibles, au point d'y réfléchir avec l'arme posée sur la table basse. À se demander si ce n'était pas la meilleure solution pour arrêter cette spirale", confie Martin, qui a mal vécu la pression du "chiffre" imposée par ses supérieurs. "Au niveau de la hiérarchie, il y a pas de soutien, ça enfonce même dès que possible. Et le seul truc qui les intéresse, c'est le chiffre qu'on va ramener : il faut faire tant d'interpellations, tant de PV..."

"Certains commissaires, certains officiers, attendent qu'on soit des robots. Et quand on ne l'est pas, ça va être des sous-entendus comme quoi on ne travaille pas bien, comme quoi on n'est pas un bon fonctionnaire. On se demande si on est vraiment utiles", déplore le policier.

Selon l'étude, 40% des personnes interrogées considèrent que l'ambiance n'est pas du tout conviviale et 36% de celles qui disent subir un manque de soutien de leur hiérarchie et leurs collègues souffrent "probablement de détresse mentale importante".

Tabou et "peur d'être désarmé"

Le jeune homme confie aussi à Europe 1 ne pas en avoir parlé autour de lui, tellement le sujet est tabou. "Moi je n'en ai parlé à personne. Personne n'a été au courant. En parler aux collègues, c'est montrer une forme de faiblesse, c'est comme dire 'Je n'ai pas les épaules pour encaisser ce taf'. En parler à la hiérarchie, ce n'était même pas la peine".

Autre facteur qui a joué sur le mental de Martin : la "peur d'être désarmé". "Car pendant un certain temps, ils peuvent nous saisir notre arme et du coup je ne pourrais plus aller sur le terrain. Je ne pourrais plus faire ce pourquoi je suis rentré. Un flic désarmé, c'est n'est plus un flic."

Ce policier s'en est sorti depuis, grâce à une consultation chez une psychologue externe à la police. Depuis 1996, année noire avec 71 suicides, la police a mis en place le service de soutien psychologique opérationnel (SSPO), qui met des psychologues à disposition de policiers qui en font la demande sans que cela ait permis d'infléchir durablement la courbe des décès.

* la voix et le prénom du témoin ont été modifiés pour raison d'anonymat. Le phénomène est encore tabou dans la police.