Notre-Dame : trois questions sur un projet de loi qui ne fait pas l'unanimité

Le projet de loi vise à accélérer et faciliter la restauration de Notre-Dame de Paris.
Le projet de loi vise à accélérer et faciliter la restauration de Notre-Dame de Paris. © Lionel BONAVENTURE / AFP
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Anne-Laure Jumet et Eve Roger, édité par Thibaud Le Meneec , modifié à
Présenté mercredi en conseil des ministres, le projet de loi pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris est aussi précis dans la manière dont la restauration de la cathédrale va se dérouler qu'attendu avec scepticisme par les spécialistes du patrimoine.
ON DÉCRYPTE

Le projet de loi pour la reconstruction de Notre Dame est présenté mercredi matin en conseil des ministres. Un texte qui va notamment entériner des règles fiscales plus avantageuses pour les dons inférieurs à 1.000 euros, avec d'autres dispositions destinées à faciliter cette restauration. Mais les spécialistes du patrimoine alertent entre autres sur la "précipitation" avec laquelle ce projet est mené. Explications.

Que contient le projet de loi pour ces dons ?

Parmi les donateurs, une grande majorité (67%) a donné jusqu'à 1.000 euros pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris. Cette somme correspond au plafond fixé pour bénéficier d'une réduction de 75%. En clair, pour un don de 100 euros, on pourra déduire 75 euros de son impôt sur le revenu. Selon nos informations, cette déduction de 75% sera cependant limitée dans le temps, avec une date fixée ultérieurement par décret. Au dessus de 1.000 euros, l'avantage fiscal reste inchangé, à 66%.

Il faudra attendre un an pour déclarer ces dons au fisc, puisqu'ils sont réalisés sur l'année 2019 et le prélèvement à la source ne change rien en la matière. Et l'avantage fiscal sera effectif à l'été 2020, au moment de l'envoi de l'avis d'imposition.

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Le texte prévoit aussi d'assurer la transparence en matière de gestion, afin que "chaque euro serve effectivement à la reconstruction de Notre-Dame" comme l'a dit la semaine dernière Édouard Philippe. Un comité présidé par le premier président de la Cour des comptes et avec les présidents des commissions des Finances et de la Culture de l'Assemblée et du Sénat sera affecté à cette tâche.

Et pour la restauration de la cathédrale ?

Le texte prévoit d'autoriser le gouvernement à légiférer par ordonnances pour alléger les contraintes liées aux futurs travaux de reconstruction.

Les travaux pourraient ne pas être soumis au code des marchés publics. Pas besoin, par exemple, de relancer un appel d'offres si le budget d'un chantier explose. Il y aurait également moins de contraintes liées aux normes environnementales. Il pourrait par exemple ne pas avoir d'étude d'impact des travaux sur l'environnement.

Notre-Dame pourrait enfin s'exonérer aussi des règles strictes qui régissent les travaux sur les monuments historiques. En clair, il y aurait plus de souplesse, avec moins de procédures, d'autorisations et de passages en commission. Cela veut dire qu'il n'y aurait pas d'architecte en chef des monuments historiques, d'ordinaire maître à bord dans ce genre de projet.

Sur quoi portent les critiques ?

Certains défenseurs du patrimoine ont exprimé leurs vives inquiétudes sur ce projet de loi, "taillé sur mesure pour l'affaire Notre-Dame" et mené avec "précipitation", selon le professeur d'histoire de l'art à la Sorbonne Alexandre Gady, qui insiste auprès d'Europe 1 sur le besoin d'architectes spécialistes pour ce projet : "Si vous êtes un très grand architecte contemporain en Australie, aux États-Unis ou au Japon, c'est bien, mais quand vous arrivez devant une cathédrale du 12ème siècle, ce n'est pas votre boulot parce que vous n'avez pas été formé pour ça. Les architectes des monuments historiques ont reçu une formation. On ne peut pas jeter tout le système par dessus bord pour faire plaisir à ce calendrier caprice de cinq ans."

Selon le professeur, il n'y a pas besoin de changer la loi. La pyramide du Louvre est bien sortie de terre malgré la présence d'un architecte en chef des monuments historiques et l'avis négatif de la commission nationale du patrimoine et de l'architecture. "Peut-être que faire une loi exprès pour faciliter et accélérer la restauration de Notre-Dame alors que tous les outils existent, que le service des monuments historiques fonctionne depuis maintenant presque deux siècles, qu'on a l'habitude de ces grands chantiers un peu traumatisants, parce que ce n'est pas la première fois, malheureusement, qu'il en arrive de tels dans l'Histoire de France" n'est pas indispensable, selon lui.

La vigilance est aussi de mise pour les structures qui ont récolté les dons qui ont afflué pour Notre-Dame de Paris. "Nous avons reçu et nous continuons à recevoir un assez grand nombre de messages qui insistent bien sur le fait que la cathédrale doit rester un lieu de culte", rappelle le délégué général de la Fondation Notre-Dame Christophe Rousselot. "Certains demandent qu'elle soit reconstruite à l'identique. Il y a un certain nombre d'éléments, assortis aux dons, qui sont demandés. On doit en tenir compte donc on ne peut pas tout verser dans un pot commun, je pense qu'il faut associer les donateurs à travers les fondations, à tout le travail" de reconstruction.

Combien de dons ont été effectués ?

Les dons ont afflué et continuent d'affluer par centaines de milliers aux quatre organismes chargés de la collecte, à savoir la Fondation du patrimoine, la Fondation de France, la Fondation Notre-Dame de Paris et le Centre des monuments nationaux.

À ce jour, la Fondation du patrimoine a indiqué mardi avoir récolté 163 millions d'euros, répartis entre 142 millions d'euros provenant du mécénat d'entreprise et 21,5 millions d'euros issus de 216.000 dons de particuliers. La Fondation de France a elle récolté au total un peu plus de 6 millions d'euros auprès de 49.000 particuliers. Le Centre des monuments nationaux fait lui état de 3 millions d'euros récoltés, avec un don moyen de 125 euros.