Nestor, le logiciel intelligent qui traquera bientôt le manque de concentration des étudiants

amphi étudiants © FRED DUFOUR / AFP
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Élise Racque , modifié à

Un professeur français a créé un logiciel basé sur la reconnaissance faciale, capable de repérer le moment où l’élève n’est plus attentif pendant les cours en ligne. 

Suivre des cours à distance en ligne est devenu fréquent. Les universités et les écoles proposent très souvent une formation via des vidéos postées sur le net. Problème : les élèves ont souvent du mal à se concentrer depuis chez eux, seul face à leur ordinateur. A la maison, les tentations sont grandes, et en premier lieu, les sollicitations incessantes des réseaux sociaux et du téléphone portable.

Marcel Saucet, professeur français de gestion à l’université de San Diego en Californie, pense avoir trouvé la solution. Avec sa société LCA Consulting, il a créé un logiciel intelligent capable, grâce à des caméras, de détecter sur le visage des élèves le moindre signe d’inattention. Un système appelé A.I Learning, Nestor pour les intimes.

Une caméra et des alertes pour détecter et éviter la déconcentration. Contacté par Europe1.fr, le professeur : "La génération actuelle d’étudiants a beaucoup de mal à se concentrer longtemps. Et le fait est que les cours en ligne ne fonctionnent pas vraiment. On s’inscrit et on participe une fois mais on se démotive ensuite. Je me suis dit qu’une l’intelligence artificielle pouvait aider à améliorer la concentration des élèves."

Concrètement, le logiciel intelligent est capable de repérer 300 mouvements sur un visage filmé. Dès que l’étudiant quitte l’écran du regard, Nestor note le moment où il s’est déconcentré. A la fin du cours, un quizz interroge l’élève avec des questions portant en priorité sur les points du cours évoqués au moment de la déconcentration.

Le créateur de Nestor va plus loin : "A partir du troisième ou quatrième cours, il connaît la personne par cœur. Il sait par exemple qu’elle se déconcentre au bout de trois minutes de cours. Juste avant, Nestor envoie donc une alerte qui s’affiche dans la fenêtre pour prévenir l’élève en disant : attention, déconnexion imminente !"

Des caméras pour faire la police dans les amphis ? Pour Marcel Saucet, ce système permet à l’élève d’être "coaché", même à distance. Et plus encore, puisqu’il prévoit d’installer par la suite le système dans des amphis, pour de vrais cours, grâce à plusieurs caméras. "A la fin de chaque leçon, le professeur aura accès à un rapport lui indiquant quel élève a décroché quand. Il délègue à Nestor le flicage des étudiants. Et si tout le monde décroche au même moment du cours, l’enseignant peut faire son autocritique."

Si le professeur reconnaît en plaisantant que son invention pourrait faire penser à Big Brother numérique, il est persuadé du succès à venir du logiciel. L’intelligence artificielle de Nestor a d’ailleurs déjà séduit l’école française de finance ESG, qui intègrera le système à ses cours en ligne dès la rentrée 2017. L’entreprise Galiléo, l’un des géants de l’e-learning, a également prévu de l’utiliser. Nestor devrait aussi être testé par des professeurs qui donneront des cours aux étudiants de Sup de Co Dakar, au Sénégal, avec des vidéos filmées en Europe et en Amérique.

Un système trop uniformisant ? Christine Develotte, linguiste spécialiste de la communication par écrans et de l’e-learning, trouve l’invention "intéressante et stimulante". Contactée par Europe1.fr, elle émet toutefois quelques doutes. "Ce n’est pas parce qu’on ne regarde plus l’écran qu’on n’est pas concentré. Regarder en l’air peut-être un signe de réflexion par exemple", fait remarquer l’universitaire.

Son expérience de visio-conférences lui a montré que chacun apprend à sa manière. "Chacun a sa manière d’apprendre, et ses mimiques propres. Il faut prendre en compte l’humain dans sa complexité. Pour beaucoup, de courts moments de déconcentration sont nécessaires pour redonner des forces au cerveau", explique-t-elle.

Et les données personnelles ? Autre point qui pourrait inquiéter à l’avenir : l’utilisation des données personnelles accumulées par Nestor. Si Marcel Saucet affirme que l’objectif premier n’est pas de les revendre, il ne ferme pas la porte. "Dans dix ans, nous aurons un stock énorme de données. A ce moment-là, il faudra peut-être reconsidérer l’option de les monétiser. Mais pas pour le moment."

En attendant l’avenir, le créateur de Nestor fait tout pour réussir ses débuts. A partir de lundi dans les rues de Lille, le système de reconnaissance faciale sera testé sur des publicités pour jouet. Les Lillois qui regarderont, ou souriront aux panneaux publicitaires seront interpellés par Nestor, qui leur présentera le produit, et les invitera à entrer dans le magasin.

L’Éducation nationale intéressée. L’année prochaine, Nestor sera présenté au salon high-tech de Las Vegas. En France, Marcel Saucet assure avoir été contacté par le ministère de l’Éducation nationale. "Bouleverser cette vieille dame de l’éducation, c’est mon but ultime", s’enthousiasme le professeur. "Nestor nous montrera peut-être que les longs cours en amphis ne sont pas adaptés aux capacités de concentration des étudiants. Je crois que la technologie peut apporter de profonds bouleversements sociologiques."