Mathilde, 25 ans, infirmière : "Quand il y a une aide-soignante pour 22 résidents, comment créer de la vie ?"

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Photo d'illustration © JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
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Anaïs Huet , modifié à
À 25 ans, Mathilde, infirmière, s'apprête à publier un ouvrage dans lequel elle raconte les désillusions qui l'ont poussée à quitter le milieu hospitalier. La jeune femme a raconté son histoire à Olivier Delacroix jeudi.
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Au sortir du bac, Mathilde rêvait plus que tout de revêtir la blouse blanche et d'aider les autres. Mais une fois le diplôme passé, elle a connu un désenchantement tel qu'elle a décidé de "rendre son uniforme". C'est d'ailleurs ainsi qu'elle a titré le livre qu'elle s'apprête à publier le 23 janvier, et qui raconte son histoire, partagée par tant d'autres soignants. Elle y dénonce le manque de moyens, de personnels et de temps qui conduisent parfois à traiter les patients sans la délicatesse que le métier exige.

Mathilde a livré son témoignage, vu de l'intérieur, au micro d'Olivier Delacroix, jeudi sur Europe 1.

"Mon livre J'ai rendu mon uniforme est un témoignage sur ma vie d'infirmière comme je l'envisageais avant le concours, comme je l'ai vécue durant mes études et une fois diplômée. Au fil du livre, on s'aperçoit des différentes déconvenues que peut avoir une jeune infirmière qui sort de l'école avec des valeurs soignantes bien ancrées. Le milieu professionnel n'a finalement rien de ce qu'on veut bien nous apprendre au cours de nos études. Quand on y est, c'est très violent. Et c'est un soulagement énorme quand on en sort.

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J'ai commencé à réaliser à partir des stages. Il y a des situations qui interpellent en tant qu'étudiant. Quand une infirmière nous dit : 'tu mangeras plus tard car je préfère que tu finisses l'administratif. Ne t'inquiète pas, ton corps s'habituera au jeûne', on se dit qu'il y a un problème. Quand on s'autorise en tant que soignants à se rendre malades, comment on va faire pour soigner des gens de qui on est responsables ? Il y a déjà quelque chose de caduque à ce moment-là.

Attention, quand on parle de patients maltraités, on ne parle pas d'actes volontaires. C'est de la négligence plus que de la maltraitance. Je pense que ça vient de l'épuisement professionnel, qui prend plein de formes différentes. Parfois, en tant qu'infirmières, on se dit : 'Ben non, je n'ai pas le temps d'aller voir l'ampoule de Madame Machin, ou l'escarre de Monsieur truc, ça peut attendre un jour de plus'. Ça, c'est déjà de la maltraitance. Mais c'est seulement parce qu'on a une liste de tâches à accomplir en l'espace de quelques heures, on doit donc prioriser de manière un peu arbitraire. On ne peut pas faire autrement.

Entendu sur europe1 :
Peut-être que les personnes qui sont à l'origine des maltraitances auraient mieux fait d'arrêter avant d'en arriver là ?

Ces maltraitances, ça peut être un médicament prescrit qui ne peut pas être distribué, ou un collyre qu'on n'a pas le temps de mettre. Un jour, une soignante a crié des propos grossiers au milieu d'un couloir. Elle disait : 'Oh non, il a encore chié !' On ne parle pas comme ça en sortant d'une chambre, le patient entend ! Ce n'est pas rare. Ça n'appartient pas à une soignante, ça peut arriver à n'importe qui dans le milieu.

Peut-être que les personnes qui sont à l'origine des maltraitances auraient mieux fait d'arrêter avant d'en arriver là ? Si elles en sont là, ce n'est pas de gaieté de cœur. C'est qu'à un moment donné, quelque chose les a fait lâcher. Elles ont perdu la petite flamme qui les animait.

Quand on parle des Ehpad, on parle de 'lieux de vie', dans lesquels on entasse tous nos aînés. Mais où est-ce qu'on crée de la vie si on ne met pas en place des après-midis d'animations, des rassemblements entre familles et résidents ou des rencontres intergénérationnelles ? Ça se fait dans certains établissements, mais dans d'autres, il n'y a pas le personnel ou pas le temps. Les aide-soignantes ont mille autres choses à faire que de créer des animations. Quand il y a une aide-soignante pour 22 résidents, comment créer de la vie, du lien, de la récréation ?

Je travaille toujours en tant qu'infirmière, mais sans uniforme cette fois. Aujourd'hui, je pense à celles et ceux qui sont encore dans les services. La question de fond de mon livre, c'est comment faire pour continuer à travailler dans un univers qui ne ressemble plus aux valeurs soignantes pour lesquelles on a choisi ce métier ? Et comment faire pour y trouver encore du plaisir ? On est en train de se rendre compte qu'on est suffisamment désadaptés, suffisamment aliénés, pour supporter de telles conditions de travail."